Elections législatives au Sénégal : un test à mi-mandat pour le président Macky Sall

Le 30 juillet, plus de six millions d'électeurs sénégalais sont appelés aux urnes pour renouveler les députés de l'Assemblée nationale. Un test pour le président Macky Sall. Les enjeux en cinq points.

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Des partisans tiennent des affiches électorales du président sénégalais Macky Sall, lors d'un meeting de campagne, le 27 juillet 2017 à Dakar (SEYLLOU / AFP)

Après une campagne électorale empreinte de polémique sur la non distribution des cartes électorales, les 6 millions d’électeurs sénégalais vont se déplacer dans l’isoloir, dimanche 30 juillet, pour élire les 165 députés de  l’Assemblée nationale. Lors des précédentes élections législatives, 64% des électeurs se sont abstenus. Mais ces élections 2017 ont pris une toute autre ampleur aux vues des différents enjeux primordiaux pour le futur du pays.

1– Test pour le régime de Macky Sall

A un an et demi de l’élection présidentielle de février 2019, les législatives 2017 prennent une toute autre saveur, avec un arrière-goût de bilan pour le régime de Macky Sall dont la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) détient la majorité à l’Assemblée nationale depuis 2012. « C’est la première fois que les élections législatives sénégalaises se déroulent à mi-mandat d’un président en exercice« , rappelle Babacar Ndiaye, politologue sénégalais.

« C’est alors un test grandeur nature pour le régime de Macky Sall, tant au niveau de sa popularité que sa légitimité« , analyse Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute. « C’est aussi un test pour les ténors de l’opposition qui doivent se positionner comme challengers du président actuel« , poursuit-t-il. Exemple de  Manko Tawaxa Sénégal, l’une des principales forces d’opposition, qui se targue d’avoir de nombreux présidentiables dans sa coalition. Elle veut faire face au président en exercice qui souhaite « candidater à un troisième mandat« , apprend-on de Mael Thiam, l’administrateur du parti du président. « L’enjeu est de permettre au président d’avoir une majorité confortable pour continuer sur son plan de développement à vision 2035« , explique-t-il.

2- Le retour de l’ancien président Wade

L’autre fait marquant de cette élection, c’est le retour d’Abdoulaye Wade, ancien président du Sénégal de 2000 à 2012. « Abdoulaye Wade est un opposant éternel qui aime être au combat« , raconte le politologue Babacar Ndiaye. A la question de savoir s’il se présentera à la présidentielle en cas de victoire, son frère et président du groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (PDS) répond : « Nous n’en sommes pas encore là, nous allons conquérir les suffrages à l’assemblée pour obtenir une majorité légitime parlementaire« .

A la tête du PDS créé en 1974, Abdoulaye Wade s’est positionné en tête de liste à l’âge de 91 ans face à « un manque de relève » et à « l’incapacité de son fils de lui succéder alors qu’il est allé au Qatar à sa sortie de prison », explique le politologue Bakary Sambé. Pour son frère Wade, c’est un « choix » de la coalition qui est composée du PDS mais aussi d’autres partis.

3- Deux listes principales d’opposition

La coalition menée par Abdoulaye Wade est l’une des deux listes principales d’opposition, qui ont des revendications assez proches. Celle de l’ancien président reproche d’abord au régime de Macky Sall d’être « répressif« . Lors de la marche organisée par le PDS sur la place de l’Indépendance à Dakar pour réclamer des cartes d’électeurs pour tous les Sénégalais, des manifestants ont été écartés par des gaz lacrymogènes. « Cette manifestation de déstabilisation place de l’indépendance a été interdite comme le prévoit un arrêté puisqu’elle est contingente au palais du président« , réagit Mael Thiam, administrateur du parti du président Macky Sall.

D’un autre côté, ils revendiquent un autre mode de gouvernance. « Nous souhaitons une assemblée souveraine qui contrôle le gouvernement et qui mène des commissions d’enquête comme sur la licence d’exploitation du pétrole donnée à la famille du président, et qui répond aussi aux questions du parlement« , revendique Amadou Wade. « L’Assemblée nationale est faible et propose peu de lois, une seule lors du dernier mandat« , explique le politologue sénégalais Babacar Ndiaye. « L’opposition propose alors une assemblée plus représentative, avec des personnalités fortes qui contrôlent l’action gouvernementale et qui regardent et dissèquent le programme et projet du gouvernement« , poursuit-il.

Pratiquement les mêmes revendications de la coalition d’opposition Manko Taxawa Sénégal, dont la tête de liste Khalifa Sall fait campagne depuis sa cellule de prison alors qu’il a été accusé de détournement de deniers publics. « C’est symbolique de faire campagne depuis sa cellule, nous décrions la manipulation de la justice contre les opposants politiques« , explique Thiormo Bocoum, député et coordinateur de campagne de Manko.

Les deux coalitions cherchent à faire tomber la majorité présidentielle afin de lui imposer une cohabitation. « Macky Sall ne prévoit pas de partir, il va exercer ses sept ans de mandat quoi qu’il arrive. Nous sommes conscient des dangers, l’essentiel est de continuer à nous battre pour une majorité confortable, ce qui est à notre portée« , répond Mael Thiam.

4- De 24 à 47 listes en cinq ans

C’est inédit. 47 listes concourent pour ces élections législatives. Trop pour un pays de 14 millions d’habitants. Les électeurs sont pour cela autorisés à ne prendre que cinq bulletins dans l’isoloir, afin d’éviter la confusion. « Les 47 listes ne concernent pas les leaders de l’opposition, beaucoup ont été financées par le pouvoir afin d’appauvrir la vraie opposition« , dénonce Thiorno Bocoum de la coalition Manko.

Pour le politologue Bakary Smabé, c’est « le signal d’une forme de désaffection des Sénégalais pour une classe politique qui n’évolue pas et qui est sclérosée depuis l’indépendance« . « Par cette désaffection, certains électeurs se dirigent aussi vers de nouvelles têtes jeunes comme Othman Sonko, ancien fonctionnaire des impôts qui a été écarté du pouvoir« , décrit-il.

5- Risque de fraude ?

Le jour J, les bureaux de vote seront scrutés de près, alors que les électeurs peuvent voter avec leurs anciennes cartes d’identité, permis de conduire ou passeport. Sans que la nouvelle carte d’électeurs biométrique soit obligatoire, puisque 30% des Sénégalais concernés ne l’ont encore pas reçue. Cette solution, proposée par Macky Sall, a été approuvée le 27 juillet par le Conseil constitutionnel, soit trois jours avant le jour du vote. Malgré la possibilité pour les partis d’opposition de faire une démonstration massive de force, « c’est la porte ouverte aux fraudes, il y aura des polémiques le jour J qui pourront créer des tensions voire des violences« , estime le politologue Babakar Ndiaye. « Nous allons vers une désorganisation totale« , prévient Amadou Wade. « Cette mesure aurait dû passer après un vote au parlement« , critique pour sa part Thiorno Bocoum de la coalition Manko. Résultat dimanche soir.

Un député pour les Sénégalais d’Afrique du Nord, dont ceux installés au Maroc

Elus pour cinq ans, les 165 députés se répartissent dans 53 circonscriptions, dont huit nouvelles composée de 15 députés représentant les Sénégalais de la diaspora . Une des circonscription va d’ailleurs représenter l’Afrique du nord, qui comprend le Maroc où de nombreux électeurs sont invités à voter. « Depuis Wade, la diaspora est présentée comme la 15e région du Sénégal car elle apporte plus en volume de transfert d’argent que l’aide internationale. Ce sont des gens influents qui ont de l’argent et qui ont un fort poids symbolique« , explique Bakary Sambé, politologue sénégalais et directeur du Timbuktu Institute.[/encadre]

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