Saeed Kamali Dehghan, journaliste pour le quotidien britannique The Guardian se souviendra de son premier séjour express sur le sol africain. Selon des sources concordantes, confirmées par les autoritées, il a été contraint de prendre un avion le 28 septembre au départ de Casablanca, après avoir été interpellé par les autorités la veille à Al Hoceima, alors qu’il rencontrait des figures du mouvement de contestation rifain.
Le journaliste, davantage habitué aux sujets liés à l’Iran, a atterri le 25 septembre à Marrakech avec enthousiasme. « Première fois en Afrique. Bonjour Marrakech, » publie-t-il alors sur Facebook. Dans la cité ocre, il couvre le Forum Women in Africa qui réunit des femmes influentes de tout le continent. À son issue le 27 novembre, il se rend à Al Hoceima pour un reportage sur le Hirak. Il rencontre alors des figures du mouvement avec lesquelles il a préalablement établi le contact.
« Il m’avait contacté pour me voir et faire un article sur le Hirak. Avec Nawal Benaissa [figure du mouvement NDLR], on l’a vu le 27 septembre, à l’hôtel Mercure. On a parlé du Hirak, de mon rapport à la salafia…« , nous explique El Mortada Iamrachen, ancien salafiste et autre figure du Hirak. Il poursuit : « Au bout d’une trentaine de minutes, des hommes en civil sont venus le chercher. Il s’est levé, et il est revenu nous dire qu’il devait aller au commissariat. J’ai demandé ce qu’il se passait. On n’a rien voulu me dire, simplement que tout allait bien. Depuis, on n’a pas de nouvelles« .
D’après le journaliste indépendant Imad Stitou qui était en contact avec Saeed Kamali, ce dernier a été transféré vers Casablanca dans la soirée du 27, quelques heures après son interpellation. Le 28 au matin, Saeed Kamali a alors indiqué à ses proches qu’il devait prendre un avion à midi, pour Londres.
des policiers en civils l'ont interpellé a 20 H alors qu'il était avec un contact, avant d’être transféré 2 heures après a Casablanca. 3/3
— imad stitou (@StitouImad) September 28, 2017
Son portable sur répondeur, Saeed Kamali n’a pas pu être joint par Telquel.ma dans l’immédiat. Quant à sa rédaction, elle préfère attendre avoir pris contact avec lui pour se prononcer. Une source autorisée au gouvernement nous déclare : « Nous étions obligés de prendre cette mesure pour respecter la loi qui impose de prendre contact avec l’administration pour se faire accréditer lorsqu’on est journaliste étranger au Maroc. Ce journaliste n’a malheureusement pas contacté l’Administration pour faciliter son travail« . Elle nous renvoie ainsi vers les articles 26 et 29 de la loi 89-13 relative au Statut des journalistes professionnels (voir encadré).
Problème : Saeed Kamali n’est pas correspondant, cas que prévoit la loi, mais envoyé spécial. Son travail lui a d’ailleurs valu d’être désigné journaliste de l’année en 2010 par la Foreign Press Association. « Ils sont assimilés au correspondant, » élude notre source officielle. Deuxième problème : Saeed Kamali était au Maroc depuis quelques jours, mais à Al Hoceima depuis seulement quelques heures lorsqu’il a été appréhendé. Pourquoi n’a-t-il pas été interpellé alors qu’il couvrait le Forum Women in Africa à Marrakech ? « Lorsqu’un journaliste étranger arrive au Maroc, on attend quelques jours de voir s’il va contacter l’Administration. C’est comme ça qu’on fait en général, » nous répond-on. Notre source se souvient d’ailleurs avoir été contactée par un journaliste de The Guardian désireux de se rendre à Laayoune, il y a quelques années. « Nous avons facilité leur travail à une seule condition : refléter la diversité qui existe dans la région, » s’enorgueillit-il.
L’expulsion de Saeed Kamali s’ajoute à la liste des journalistes étrangers expulsés alors qu’ils couvraient les évènements du Rif sur laquelle figure déjà Djamel Alilat d’El Watan et José Luis Navazo et Fernando Sanz du Correo Diplomático. À laquelle il faut ajouter sept journalistes-citoyens et collaborateurs de médias également été arrêtés dans la région d’Al-Hoceïma, selon RSF, ainsi que la condamnation du journaliste Hamid El Mahdaoui à un an de prison de ferme.
Mise à jour à 18h27 : Dans un communiqué transmis à Telquel.ma, un porte-parole de The Guardian déclare: « Saeed Kamali Dehghan se porte bien et est de retour à Londres. Nous sommes surpris qu’on ait dit à un reporter respecté du Guardian de quitter le pays, et nous nous renseignons plus en profondeurs sur les circonstances ».
Ce que prévoit la loi« Le journaliste professionnel accrédité est tout journaliste professionnel exerçant la profession de journaliste en tant que correspondant d’une ou plusieurs entreprises de presses […] dont le siège est situé à l’étranger, et qui tire son salaire principal de l’exercice de la profession, » dispose la loi en son article 26. « Une carte de journaliste professionnel accrédité ou assimilés est délivrée par l’Administration […] aux journalistes professionnels accrédités ou assimilés, pour une année d’une année renouvelable, » ajoute l’article 28. « Les journalistes professionnels accrédités et assimilés sont tenus d’exercer leur profession dans le cadre du respect de la législation en vigueur et du code de la déontologie de la profession. […] Le juge peut décider du retrait de la carte de journaliste professionnel accrédité en cas de condamnation du journaliste professionnel accrédité, » détaille quant à lui l’article 29.[/encadre] |
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