Dans un costume bleu impeccable, Jérôme de Lavergnolle nous accueille tout sourire dans le nouveau showroom de 90m² de la Cristallerie Saint-Louis, au cœur du Triangle d’Or de Casablanca. Derrière lui, un mur rempli de luminaires et pièces de lustres « facilite le choix des décors de la collection Royal avec plus de 15 000 possibilités », explique un communiqué de la cristallerie qui fait partie du groupe Hermès. Au moment de prendre la photo au milieu des modèles d’exposition en cristal, l’homme d’affaires français aux cheveux grisonnants s’inquiète s’il doit mettre une cravate. La veille, il a inauguré à Casablanca ce premier showroom Saint-Louis sur le continent africain qui sera géré par la boutique des arts de la table Nuances Maison. Interview avec l’homme à la tête de la cristallerie française, vieille de 430 ans.
Telquel.ma: Pourquoi ouvrir un showroom Saint-Louis à Casablanca alors que vous avez déjà deux boutiques qui distribuent vos produits au Maroc ?
Jérôme de Lavergnolle: Nos produits vendus étaient jusqu’à présent essentiellement dans l’art de la table et de la décoration, grâce au partenariat que nous avons initié avec Nuances Maison il y a plus de 13 ans. Or, la stratégie de Saint-Louis est d’évoluer dans le domaine de la lumière et nous avions besoin de présenter nos produits. Nuances Maison a déjà commencé à vendre des luminaires, cela marchait bien. Nous avons décidé de passer à la vitesse supérieure en installant notre premier showroom sur le continent africain à Casablanca, qui est la première ville économique du pays. Il est opéré par notre partenaire local, Nuances Maison.
Quelle est la clientèle visée dans ce showroom ?
Avec la lumière, nous ciblons une clientèle privée qui va venir avec son décorateur ou son architecte d’intérieur pour un projet de rénovation, d’agrandissement ou même de construction de maisons ou appartements particuliers. Nous nous adressons aussi aux clients professionnels, notamment les hôtels puisque nous avons la capacité de décorer un lobby d’hôtel avec un lustre important.
L’ouverture de ce showroom entre-t-il dans une stratégie plus globale de Saint-Louis ?
Le chiffre d’affaires de Saint-Louis en 2010 était à 65% fait par l’art de la table. La lumière était à 15% et la décoration faisait le reste. Nous avons rééquilibré, avec maintenant la table et la lumière qui sont à 40%. Cela s’explique par une évolution des habitudes de consommation. Les gens cherchent des tables moins formelles et nous sommes face à une véritable demande pour la lumière qui est un investissement. Nos clients auront du mal à payer 120 euros pour@ un verre mais auront plus facilement tendance à investir 4000 euros dans un lustre. Le chiffre d’affaires dans les années 1990 étaient fait à 40% par les listes de mariage, maintenant cela ne représente que 3%. Nous devons alors sortir de nouvelles lignes aux usages différents. Nous sortons par exemple une nouvelle ligne de cocktail au mois de septembre 2018.
Pourquoi se lancer au Maroc plutôt que dans les autres pays de la région ?
Il existe déjà une véritable culture Saint-Louis au Maroc. Beaucoup de familles marocaines ont le fameux gobelet Rabat chez elles. Cela s’est fait plus naturellement par rapport à la Tunisie ou l’Algérie. C’est avec le père de Hassan II, Mohammed V, que nous avons eu les premières créations pour la famille royale dans les années 1950. Mais les contacts doivent sûrement remonter avec les sultans, alors que les Anglais sont arrivés avec le thé et leurs théières en argent.
Lire aussi : Les secrets du verre Saint-Louis, un must-have de la bourgeoisie marocaine
Le verre à thé Rabat porte le nom de la capitale marocaine. Le vendez-vous dans d’autres pays ?
Il a été fait à l’origine pour le Maroc quand nous sommes venus décorer les tables royales marocaines par des commandes spéciales. Cela s’est ensuite répandu dans la bourgeoisie marocaine. Nous nous sommes rendus compte que cela marche dans d’autres pays qui consomment du thé, comme en Asie, mais dans des proportions plus faibles puisque c’est plus récent : ces clients étaient traditionnellement habitués à utiliser de la porcelaine et non du cristal.
Le succès de ce verre est si grand que l’on retrouve des imitations au Maroc…
C’est parfois frustrant de trouver des copies sur le marché marocain. Mais ce sont de pâles copies, peintes et faites en verre et non pas en cristal. Le verre Saint-Louis est réalisé à partir de deux couches de cristal, l’une colorée et l’autre claire. Le gobelet Rabat n’est pas déposé car la contrefaçon de marque est beaucoup plus facile à attaquer que la contrefaçon de dessin. Nous pouvons attaquer si l’estampille est inscrite sur les copies.
Quelle est la spécificité de la région Afrique-Moyen Orient pour Saint-Louis ?
C’est une région en devenir. Le Moyen-Orient et l’Afrique représentent 15% de notre business, contre 25% pour l’Asie. Elle est assez comparable en table à l’Amérique. L’Europe reste à 45%. Ce qu’on a beaucoup plus que la liste de mariage, ce sont les cadeaux des mariés pour les invités. Au Moyen-Orient, les décorations en or ou en platine plaisent plus qu’en Europe.
Combien d’artisans travaillent dans la manufacture et comment les former ?
Pour faire un bon verrier, il faut dix ans. Je fais attention à la pyramide des âges, la moyenne d’âge de nos verriers est de 26 ans. C’est une tradition orale à maintenir. Nous avons des jeunes qui sont formés. Nous sommes moins de 300 au niveau de Saint-Louis, dont 200 personnes au niveau de la production. Avec une croissance supérieure à 60% sur les 5 dernières années, nous faisons plusieurs dizaines de milliers de verre par année.
Comment apporter de l’innovation à une manufacture qui a plusieurs siècles ?
Nous sommes dans un mélange de tradition et d’innovation. La manufacture date de 1586 et nous souhaitons innover à partir de nos racines. A chaque fois que j’accueille un designer à Saint-Louis, je lui donne un cahier des charges et je lui demande de passer quelques temps dans la manufacture pour regarder les artisans, les archives etc. Un jour j’ai accueilli la designer Kiki van Eijk qui s’est baladée dans le sous-sol de Saint-Louis et tombe sur une cave où sont stockés d’anciens moules métalliques qui s’ouvrent en deux. Elle s’en est inspiré pour faire une lampe en cristal. Un autre designer a utilisé d’anciens modèles de verres qui étaient rangés à l’envers sur une étagère pour en faire les lumières d’un lustre.
Qu’est-ce que cela a apporté à Saint-Louis de faire partie du groupe Hermès depuis 1989 ?
Le groupe nous donne les moyens d’avoir des nouveaux fours, de conquérir de nouveaux marchés, qui me permet de lancer deux collections par an. Le dernier four qui date de novembre dernier est un investissement de 5 millions d’euros.
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