Raja de Casablanca: chronique d'un géant vert aux finances dans le rouge

Le Raja Casablanca traverse une crise financière sans précédent. Adhérents et supporters accusent le président du club, Saïd Hasbane, de mener le club droit vers le mur et le somment de quitter son poste. Le concerné, lui s'accroche à son fauteuil, essayant de faire porter le chapeau à son prédécesseur.

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Crédit Aicpress

« Hasbane est un fils de p*** « . C’est ainsi que les 40.000 supporters du Raja qui se sont déplacés au Complexe Moulay Abdellah de Rabat pour la finale de la Coupe du Trône 2017, se sont adressés au prince Moulay Rachid qui, au bout de 120 minutes et une séance de tirs au but, a remis le trophée à Issam Erraki et ses coéquipiers.

Malgré l’ivresse de la victoire, une atmosphère de mécontentement se dégage de la Curva Sud. Les supporters ne cessent de tancer leur président. Certains le menacent de mort, d’autres lui font savoir que « ce n’est pas ce titre qui les fera taire ».

Passées les scènes de liesse et les autocongratulations de circonstance, un mini-scandale éclate. Le 29 novembre, soit 11 jours après le sacre, les joueurs du Raja entament une grève ouverte. Ils refusent de s’entraîner pour « réclamer les arriérés de primes et de salaires » et reprochent au président du club de « ne pas respecter ses engagements« .

L’entraîneur espagnol du club, Carlos Garrido, fulmine. Dans une vidéo qu’il publie sur les réseaux sociaux, il fait part de son mécontentement. « Je n’accepte pas cette situation parce que ce n’est pas professionnel« , dit-il en substance.

Le boycott des joueurs durera six jours. Au septième, ils décident de reprendre les entraînements, après que la Fédération royale marocaine de football se soit elle-même chargée de verser cette prime sur les comptes bancaires des frondeurs. Il ne s’agit là que du dernier épisode d’un long feuilleton qui a animé pendant près de 18 mois la vie interne du Raja.

Au commencement était Boudrika

Lorsque, en 2012, Mohamed Boudrika, riche promoteur immobilier, est élu à la tête du Raja, supporters et responsables du club sont débordants d’enthousiasme à l’idée de voir un fervent supporter du club prendre les rênes de la maison verte.

Pourtant, il s’agit d’une prise de risque conséquente, car le Raja, comme bon nombre d’autres clubs locaux, était habitué à être géré par un cercle très fermé de « vieux sages » qui se relayaient à la présidence.

« Le Raja est sorti de sa zone de confort en élisant Boudrika à sa tête. Il faut lui reconnaître le fait d’avoir été le premier à présenter un réel projet de développement. Mais il faut aussi dire que c’est avec lui que nous avons découvert le président « Moul chkara« , analyse Adil Baqili, l’ex-trésorier du club, qui a démissionné en novembre 2017.

Mohamed Boudrika doit son surnom de « Moul Chkara » à sa gestion des finances, à coup de millions de dirhams injecté dans les caisses du triple champion d’Afrique. Dans la foulée de son élection, il engage M’hamed Fakhir, le coach le plus titré du pays, et recrute une dizaine de joueurs « all-stars » de la Botola.

La première saison est une réussite, un titre de champion et une qualification assurée pour la Coupe du monde des clubs, organisée au Maroc en 2013. Une compétition lors de laquelle le Raja réussit l’exploit d’atteindre la finale, perdue contre le champion d’Europe, le Bayern Munich, sur le score de 2-0.

Lors des autres années du mandat de Boudrika, le Raja soufflera le chaud et le froid, tout en continuant à dépenser sans compter pour se renforcer. « Il n’y avait personne pour tirer la sonnette d’alarme, car Boudrika, fort de son charisme, savait amadouer les adhérents et les rassurer quant à l’avenir du club, malgré les difficultés financières« , se souvient Adil Baqili.

À la fin de la saison 2015-2016, qui coïncide avec la fin du mandat de Boudrika, la crise a déjà atteint des proportions dangereuses. Le président sortant présente un rapport financier et moral litigieux qui sera validé de justesse lors d’une assemblée générale houleuse, lors de laquelle Saïd Hasbane, seul candidat à la succession de Boudrika, est propulsé à la tête du club. À ce moment-là, le déficit de la caisse est estimé à 19 millions de dirhams.

« Les recettes du club ont pris un sacré coup avec la sanction de la FRMF (6 matchs joués à huis clos suite aux violences lors du match Raja – Chabab Rif Al Hoceïma qui ont fait 3 morts, NDLR), la baisse des recettes marketing et la perte de confiance des sponsors », explique Mohamed Harouchi, un adhérent du club.

Ce dernier met en doute les chiffres annoncés dans le rapport moral et financier: « on a annoncé 19 millions de dirhams de dettes, mais en réalité, le Raja était débiteur d’environ 150 millions dirhams, en comptant les crédits à long terme, les engagements avec les joueurs et le staff« .

Plus dure sera la chute

La prise de pouvoir de Saïd Hasbane aurait dû calmer la tempête, elle n’a fait que l’exacerber. « Au lieu de faire preuve de transparence avec les adhérents et les supporters, il a préféré agir seul dans son coin, en répétant que le club est en faillite et que seule une intervention de l’État pouvait le sauver« , regrette Mohamed Harouchi. Très vite, l’étau se resserre autour de Hasbane, confronté aux grèves des joueurs et aux sit-in des supporters en colère.

En février 2017, 48 des 51 adhérents qui composent l’assemblée du Raja retirent leur confiance au président et à son comité, appelant à une assemblée générale extraordinaire, en vue d’élire un nouveau président. Mais Hasbane n’est pas de cet avis, et déclare qu’il reste au Raja « pour le bien du club« .

Il accuse notamment son prédécesseur « d’être à l’origine de la crise que traverse le Raja« , tout en estimant qu' »il doit être présenté à la justice pour ingérence dans les affaires du club« . De son côté, Boudrika multiplie les sorties médiatiques où il se dit « prêt à reprendre le club en main et à le sortir du gouffre financier« .

Les détracteurs de Saïd Hasbane essaient tant bien que mal de le pousser vers la sortie, en tentant d’organiser des assemblées générales extraordinaires, toutes soldées par des échecs, soit en raison du nombre insuffisant d’adhérents présents, soit faute de lieu pouvant accueillir l’assemblée générale élective (AGE).

Dernière tentative en date: une énième AGE est convoquée le 21 décembre. Les adversaires de Hasbane pouvaient compter sur un soutien de poids, celui de Mohamed Saiboub, président de toutes les sections sportives, qui s’est réuni avec les adhérents.

Cependant, il finit par se rétracter, et annule l’AGE des « putschistes » pour la transformer en simple réunion, ouverte à tous pour discuter des solutions futures, indiquent nos confrères de le360.ma.

Dans le même temps, Saïd Hasbane affirme qu’il partira le 8 janvier, lors d’une assemblée générale, qu’il a lui-même convoquée. Nouvel épisode ou fin de saison? Réponse l’année prochaine.

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