Si la « petite reine » – comme on surnomme le cyclisme – ne passionne plus autant le public marocain qu’au temps des grandes gloires de ce sport, le Tour du Maroc s’est fait remarquer cette année pour une tout autre affaire.
L’édition 2018 (du 6 au 15 avril) a été marquée par l’abandon des coureurs de l’équipe nationale, à l’issue de la 8e étape, soit à deux pas de la fin, à Agadir. Pourquoi donc une telle attitude pour laquelle ils ont été suspendus ?
Leur décision jugée « inacceptable et irresponsable » par la fédération royale marocaine du cyclisme. « Nous avons tout fait pour mettre les cyclistes dans les meilleures conditions« , lit-on dans le communiqué de la fédération royale, diffusé le soir même du retrait, le 13 avril.
« Ils croient que nous sommes dans le professionnalisme. Ils doivent savoir que nous sommes juste des amateurs« , s’insurge Mohammed Belmahi, président de la fédération de cyclisme. « Nous avons tout mis à la disposition des coureurs« , ajoute-t-il. Sauf que les coureurs avancent une autre version.
L’idée de se retirer de la course a commencé à germer bien avant le coup d’envoi du Tour. Lorsqu’ils étaient en stage de préparation, au stade Vélodrome, à Casablanca. « Ce n’est pas la ville idéale pour préparer le Tour du Maroc. Nous avons demandé aux membres de la fédération de nous transférer vers une autre ville, moins polluée et plus calme. Nous n’avons reçu que des promesses« , témoigne Soufiane Sahbaoui, un des douze coureurs qui ont abandonné la course.
Pour le choix de la capitale économique, Adil Jelloul, le leader de l’équipe nationale, explique que « les responsables de la fédération ont choisi cette ville rien que pour s’économiser de l’argent« .
D’une édition à l’autre, les conditions deviennent de plus en plus inquiétantes, selon les deux coureurs. « Nous nous attendions à un changement, mais la situation a empiré« , fait savoir Soufiane Sahbaoui. Et d’ajouter que « pendant les 20 jours du stage, nous avons eu droit à des repas inadaptés aux besoins des coureurs« .
Pour une journée de stage, chaque coureur recevait 70 dirhams, enchaînent-ils. « Est-il concevable qu’un coureur de l’équipe nationale reçoive 70 dirhams par jour?« , s’interroge Soufiane Sahbaoui. Les coureurs disent avoir dû mettre la main à la poche pour se procurer du matériel : protéines, vélos, roues et produits du ravitaillement. Ils ne nient pas que la fédération leur a acheté une première fois ces produits, mais affirment que ces derniers étaient « d’une mauvaise qualité« .
Juste avant le coup d’envoi de la compétition, les coureurs assurent avoir adressé à Mohamed Belmahi, une liste de ce dont ils avaient besoin. « Ne vous inquiétez pas. Nous mettrons à votre disposition ce que vous voulez« , avait promis le président de la fédération, selon Soufiane Sahbaoui.
Contre la montre… et manque de moyens
Après le départ du Tour, des problèmes liés au déroulement de la course sont apparus et ont exacerbé la colère des coureurs. C’est cet enchaînement d’évènements qui a conduit au retrait de l’équipe nationale, assurent les coureurs.
Le départ a eu lieu à Rabat, le 5 avril, en direction de Meknès. Une fois arrivés à l’hôtel qui devait accueillir les coureurs, ces derniers se sont rendu compte qu’ils avaient pédalé plus vite que le convoi chargé d’apporter leurs affaires. « Alors que des responsables de la fédération et leurs amis suivaient le Tour à bord de voitures luxueuses, nous ne disposions pas d’un autocar qui pouvait transporter nos affaires« , dénonce Soufiane Sahbaoui. « Depuis le début du Tour, nous n’avons lavé nos combinaisons que deux fois« , a ajouté le leader de l’équipe nationale.
« Moralement détruits« , d’après ce dernier, les coureurs ont continué la course, en manque de moyens et de ravitaillement. « Un responsable marocain d’une équipe italienne a eu la gentillesse de donner de quoi manger aux membres de l’équipe nationale« , nous confient les cyclistes.
« Après chaque étape, je parlais au président de la fédération de nos problèmes. Il me disait que s’il y a quelqu’un qui veut partir, qu’il parte« , dénonce Jelloul. « Est-ce qu’il y a un sportif qui se bat pour son drapeau, et qui, au milieu de la compétition, abandonne, sans aucune raison valable?« , s’interroge, pour sa part, Soufiane Sahbaoui.
La goutte d’eau qui fait déborder le vase
La version des coureurs regorge d’accusations, mais c’est une banale histoire de dîner qui a finalement mis le feu aux poudres. « Nous sommes arrivés tôt à Agadir. Nous avons alors commandé une pizza, comme toutes les autres équipes. Lorsque le directeur technique nous a vu manger, il a fait savoir à Jelloul que ‘ces indisciplinés ne seront plus jamais appelés dans l’équipe nationale’« , raconte encore Sahbaoui.
Une scène que confirme son coéquipier Adil Jelloul, et que Yann Dejan, le directeur sportif, n’a pas voulu commenter, en précisant que « le président de la fédération nous a interdit de donner des déclarations aux médias« , et nous priant de le rappeler dans les prochains jours.
C’est après cet ultime détail que les coureurs ont décidé de se retirer. « Nous nous sommes retirés de la course pour montrer à l’opinion publique pourquoi le cyclisme ne décolle toujours pas au Maroc« , explique Soufiane Sahbaoui.
Mustapha Nejjari, proche de la fédération, lui aussi visé par les accusations des coureurs, nous a répondu en évoquant la théorie du complot. En effet, pour lui, « ces coureurs sont manipulés par des personnes qui veulent évincer le bureau actuel de la fédération« .
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