Au cours du conseil de gouvernement du 10 mai, le ministre de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy a demandé au Chef du gouvernement Saâdeddine El Othmani, l’ouverture d’une enquête sur les activités du groupe Saham, dont il est lui-même président. La démarche est inédite. « L’objectif est simple : mettre la vérité sur la place publique de façon transparente et définitive, » explique une source proche du dossier consultée par Telquel.ma.
La demande de MHE porte à la fois sur l’obtention par la Fondation Saham du statut d’utilité publique en novembre 2017, mais aussi sur l’introduction d’une disposition dans la loi de finances 2018 prévoyant l’exonération des droits d’enregistrement dans les cas de cession de parts d’une société.
Quelques mois après l’adoption de cette loi, Saham annonçait le 8 mars la vente de Saham Finances, son pôle assurance, au Sudafricain Sanlam pour un montant de 1,05 milliard de dollars. Précédemment, une taxe de 4 % du montant de la transaction était appliquée. En l’occurrence, si la vente de Saham Finances avait eu lieu l’an dernier, le fisc aurait perçu à ce titre environ 420 millions de dirhams. Un manque à gagner pour l’État, et une coïncidence heureuse pour les acteurs du deal.
Coïncidences
Elle a même éveillé les soupçons, lorsqu’on relève que Moulay Hafid Elalamy fait partie du même gouvernement et du même parti que le ministre RNIste des Finances Mohamed Boussaid. Le droit d’enregistrement était certes à la charge de l’acquéreur, en l’occurrence Sanlam, mais cette exonération permet toutefois au vendeur de valoriser son deal. En outre, la coïncidence n’est pas s’en rappeler l’exonération en cas de fusion de « l’impôt sur la plus-value nette réalisée à la suite de l’apport de l’ensemble des éléments de l’actif immobilisé et des titres de participations« , introduite par la loi de finances 2010, quelques mois avant la fusion de l’ONA et de la SNI.
« Depuis un certain temps, des informations circulent, notamment poussées par une personne mal intentionnée, disant d’une part que Saham s’était transformée à 100 % en Fondation pour être défiscalisée et d’autre part que MHE avait magouillé avec le ministre des Finances pour gagner une marge de 4 % sur les droits d’enregistrement, » fait valoir une source proche du dossier. « En conseil du gouvernement, MHE a donc dit en substance ‘on fait notre job de gouvernement : ou bien je suis blanc et il faut arrêter les détracteurs, ou bien je ne le suis pas et il faut me sanctionner' », poursuit-elle.
Sur les 4 % de droits d’enregistrement, il est à rappeler que cette disposition ne bénéficie pas qu’à Saham, mais à l’ensemble des investisseurs depuis le 1er janvier 2018, et faisait d’ailleurs partie des revendications du patronat depuis un certain temps. « Ça va inciter à l’investissement, car il ne consiste pas uniquement à acheter du terrain et des bâtiments. L’investissement, c’est aussi acheter des actions« , plaide une source à la CGEM qui, comparant la situation dans d’autres pays où cette taxe à l’investissement n’existe pas, qualifie l’ancienne disposition d’ »aberration« . Enfin, ces 420 millions de dirhams de manque à gagner pour l’État sont en fait une goutte d’eau dans l’impôt que devra payer Saham. Une source proche de Saham fait également remarquer que « sur une transaction comme celle-ci, Saham n’est pas à 4 % près. Elle se préoccupe davantage de la fluctuation des changes par exemple. Entre la précédente transaction, et celle de mars, Saham avait déjà perdu 10 % sur le taux de change. »
Opération chirurgicale
Autre point que MHE demande au gouvernement d’investiguer, l’obtention par sa fondation du statut d’utilité publique et publiée dans le bulletin officiel du 6 novembre 2017. « Là encore, de fausses informations ont circulé sur le fait que Saham allait se transformer en Fondation pour soi-disant être complètement défiscalisée, » explique une source proche du ministre, convaincue du caractère « mal intentionné » de l’auteur de ces informations. Selon elle, « le statut de la Fondation a été obtenu après plusieurs années de caravanes chirurgicales en Afrique notamment, et le dépôt d’un dossier en bonne et due forme. Saham communique peu sur cet aspect-là, parce que le but est simplement que lorsque les filiales du groupe veulent faire des dons ou du bénévolat, elles puissent le faire dans le cadre d’une fondation« .
En requérant une enquête le visant lui-même, MHE donne le sentiment d’être sûr de son coup. Mais pourquoi demander cette enquête maintenant, alors que le deal avec Sanlam remonte à 2 mois, et le statut de la fondation à 5 mois ? « Il y a eu de nouvelles vagues de fausses informations depuis deux semaines. C’est chaque jour des chaînes sur WhatsApp et les réseaux sociaux, où les gens mélangent jusqu’aux dirhams avec les centimes. Ça devient en plus mélangé au fait que MHE a des responsabilités dans le cadre de la candidature marocaine à l’organisation du Mondial 2026. Bref, MHE a dit ‘ça suffit’. Il l’a fait, comme il sait le faire, à sa manière chirurgicale, en disant au conseil du gouvernement ‘je suis prêt à faire face à une enquête », » explique notre source.
N’y aurait-il pas non plus un lien avec la campagne de boycott qui atteint actuellement, par le biais de leurs sociétés Afriquia et Sidi Ali, deux figures de la vie publique également à la tête de grandes entreprises ? Est-ce que MHE ne cherche pas, par anticipation, à montrer patte blanche, pour ne pas lui-même se retrouver dans le collimateur d’une telle campagne comme Aziz Akhannouch et Miriem Bensalah ? « Non, les assurances ont été vendues, ça ne concerne plus Saham. En outre, les prix de l’assurance automobile n’ont pas augmenté depuis 1984. De là à penser qu’on se dirige vers un boycott des écoles détenues par Saham…, » liste notre source. En tout état de cause, l’argumentaire est prêt, au cas où.
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