Richbond poursuit sa diversification africaine en s’installant au Kenya

Alors que son usine ivoirienne de matelas vient à peine de démarrer, le groupe Richbond annonce le rachat de Silent Night Kenya, un fabricant de literie à Nairobi. Une stratégie de diversification géographique associée, au Maroc, à une diversification hors industrie.

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Karim Tazi, administrateur du groupe Tazi, en charge du développement de Richbond Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Le groupe Richbond a annoncé le 30 mai qu’il avait finalisé fin avril le rachat de 67% du capital du fabricant de matelas Silent Night Kenya, qui possède une usine de 80 employés à Nairobi. Le groupe marocain qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliard de dirhams déboursera 110 millions de dirhams pour sa prise de participation et la mise à niveau de l’entreprise.

« J’ai sillonné tous les pays africains en quête d’une perle à acheter. Parmi ces perles à vendre, il y avait donc cette marque britannique qui date de la présence des Anglais au Kenya, et qui a ensuite été cédée à une famille indienne pour qui le développement de l’entreprise n’était pas une priorité », explique Karim Tazi, administrateur du groupe Tazi, en charge du développement international de Richbond.

Au Kenya, Richbond continuera de fabriquer et commercialiser les matelas de la marque Silent Night Kenya, auxquels il ajoutera ceux de la marque et des sous-marques Richbond. Le premier matelas « type Richbond » est d’ailleurs sorti de l’usine de Nairobi le 30 mai. Les matelas de la marque américaine Simmons, dont le groupe détient la licence au Maroc, devraient s’y ajouter.

Alors que les investissements d’entreprises marocaines se font encore rares en Afrique de l’Est, Karim Tazi explique que son choix s’est porté sur le Kenya, car « l’intégration régionale fonctionne réellement sur cette partie du continent. Depuis Nairobi, nos marchandises vont vraiment pouvoir entrer en Ouganda, en Tasmanie, au Rwanda, au Burundi ».

Il relève aussi que l’économie kenyane comme une « économie résiliente », non sujette aux grandes fluctuations des cours des matières premières sur lesquelles sont basées d’autres économies africaines.

« Parmi les conditions qui ont été fixées lors de la transaction, il y a le fait de continuer à être accompagné par les anciens propriétaires qui connaissent le marché. Cette fois, on a racheté une entreprise existante, parce qu’on en a bavé pour s’implanter seul en Côte d’Ivoire », souligne encore Karim Tazi.

La gueule de bois ivoirienne

Une usine Richbond de 18.000 mètres carrés tourne en effet en « soft opening » depuis quelques semaines, avec une centaine d’employés, dans la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan. Ce projet, initié en 2014, a nécessité un investissement de 120 millions de dirhams, et valu quelques sueurs froides au groupe marocain.

Richbond a en effet construit son usine sur un terrain que le groupe loue à l’État ivoirien. Problème : « ce terrain avait été précédemment loué à un investisseur libanais. Or, celui-ci n’a pas effectué les investissements promis, et l’État ivoirien a donc repris le terrain. Furieux, l’ancien locataire y a placé des containers pour nous bloquer. Ça nous a pris deux ans pour le déloger», raconte Karim Tazi.

Malgré ces galères pour se faire une place au soleil en Afrique de l’Ouest, Karim Tazi loue les bénéfices de la présence marocaine sur place. « Notre investissement en Côte d’Ivoire est financé pour un tiers (40 millions de dirhams) par la filiale locale d’Atijariwafa Bank. Sans des partenaires qui vous connaissent parce que vous travaillez déjà avec eux au Maroc, ça aurait été encore plus dur », note-t-il.

Autre présence marocaine utile à Richbond, les distributeurs. 40 % du circuit de distribution ivoirien de literie serait ainsi détenu par des Marocains. Même l’arrivée en Côte d’Ivoire, en 2017, de son éternel concurrent marocain Dolidol pourrait tourner à l’avantage de Richbond. « Le marché de la literie était jusqu’à présent dominé par les Libanais. L’arrivée de Dolidol a déclenché une guerre des prix. On arrive à un moment où on peut se caler sur les prix, tout en proposant une qualité de mousse légèrement supérieure », explique l’administrateur du groupe Tazi.

Le groupe marocain produira donc dans un premier temps de simples matelas de mousse recouverts de tissu, qu’il commercialise pour environ 300 dirhams sous la marque Dorelux.

«C’est du très bas de gamme, mais ça correspond à la demande actuelle en Côte d’Ivoire. Impensable d’associer la marque Richbond à ces produits que l’on a plus produits au Maroc depuis 35 ans. On n’utilisera la marque Richbond que lorsqu’on vendra des matelas à partir de 800 dirhams», détaille Karim Tazi.

Si la rentabilité de l’usine est attendue d’ici deux à trois ans, l’ambition de Richbond est néanmoins de produire à terme des matelas à ressorts, pour accompagner la hausse du pouvoir d’achat ivoirien, mais également de la sous-région (Ghana, Mali, Burkina, Sierra Leone et Guinée). « Pour le marché ivoirien, l’usine est clairement surdimensionnée, on a vu large en termes d’extension», déclare Karim Tazi.

Diversification forcée

Folie des grandeurs ? « L’acte de foi, c’est que le film que le groupe a vécu au Maroc, après l’idée du fondateur [feu Abdelaziz Tazi, NDLR] de substituer à la laine de la mousse pour la confection des salons marocains, peut se rejouer en Afrique de l’Ouest, » explique son fils, aujourd’hui en charge du développement du groupe.

Un constat déjà établi lors du cinquantenaire du groupe, en 2015, marquant le début de la diversification du groupe, tant géographique que sectorielle (hors industrie). La holding Richbond Africa a d’ailleurs été créée à Casablanca Finance City depuis pour porter les activités de la maison mère sur le continent. Objectif des filiales africaines : « devenir des clients captifs du groupe et ainsi approcher de la saturation de notre outil de production marocain, en exportant depuis le Maroc des produits semi-finis».

«Le marché marocain de la literie n’est pas saturé. Nous comptons 26 magasins sous l’enseigne ‘L’Expert du sommeil’ dans lequel nous vendons nos produits de literie, et nous continuons d’en ouvrir un par mois», diagnostique Karim Tazi.

«Mais on a l’impression que si l’État avait voulu tuer l’industrie, il ne s’y serait pas pris autrement. Pendant 50 ans, nous n’avons fait que de l’industrie, et nous affichions une croissance de 6 à 7 % par an. Depuis 2012, la croissance est nulle, notamment à cause de la prolifération de l’informel et des importations de Chine et de Turquie», poursuit-il pour justifier «l’obligation de se diversifier».

Outre la literie, le groupe Richbond est aussi dans le plastique. SIMEC, la plus ancienne société du groupe, fabrique notamment les produits de la marque Atlas Plastics. L’usine de Côte d’Ivoire servira d’ailleurs de plateforme de négoce pour ses tiroirs et table de jardin en plastique.

Au Maroc, à travers sa filiale Baltimar, Richbond importe également de l’huile de palme qu’il revend aux industries pour la fabrication de la margarine, les conserves et la biscuiterie. Richbond fabrique aussi avec cette huile une pâte à tartiner à base d’amandes marocaines dont elle constate le succès en épicerie. Le groupe envisage de l’étendre à la grande distribution.

Mais depuis 2013, Richbond a aussi investi dans l’immobilier. Sa filiale Edifoncia est en cours de commercialisation de son premier projet immobilier, des appartements à proximité du port de Casablanca. Edifoncia devrait aussi annoncer prochainement le nom du gestionnaire français de ses apparts-hôtels à destination d’une clientèle d’affaires sur le Boulevard Bir Anzarane à Casablanca.

En Afrique, Richbond pourrait annoncer courant de l’année ou début d’année prochaine, de nouveaux investissements dans la literie. Seul indice : « L’Afrique australe ce n’est pas pour demain, car les Sud-Africains défendent bien leur pré carré ».

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