Dix clés pour comprendre le marché de l'art contemporain

Véritable phénomène planétaire et médiatique, il brasse aujourd’hui de plus en plus d’adeptes, d’intérêts et d’argent. Flambée des prix, cote artistique, circuits de vente… voici ce qu’il faut savoir sur ce milieu qui concentre tous les records et focalise tous les regards.

Par

Mounir Fatmi, I Like America (2007), installation composée de barres d’obstacles et d'échelles métalliques.

S’il est un art qui échappe aux définitions et au consensus, c’est bien l’art contemporain. En situant ses origines dans la célèbre Fontaine de Marcel Duchamp, urinoir industriel en porcelaine daté de 1917, il se pense en rupture des règles de l’art et des canons de beauté. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il prend corps comme un nouveau regard sur un monde en ruines, et un courant affranchi des normes, voire des notions d’œuvre et d’artiste, jusqu’à dissoudre parfois les frontières de l’art.  Aujourd’hui, les œuvres des artistes nés après 1945 questionnent toujours mais s’imposent comme un nouveau business, en plein essor et évolution. En 2014, le marché de l’art contemporain franchissait la barre historique du milliard d’euros. Depuis il se valorise encore et est en progression constante. Au Maroc, bien que son marché soit encore modeste, il se voit consacrer un nombre croissant d’évènements et de lieux comme le musée Mohammed-VI à Rabat.

Phantom, de Peter Lik.

1-La ruée vers l’art contemporain

En 20 ans, le nombre de collectionneurs est passé de quelques milliers à près de 70 millions. À cela s’ajoutent plus de 270 millions d’amateurs, avides d’expositions, de produits dérivés et prêts à débourser un peu, beaucoup, passionnément pour une ou quelques œuvres. Si l’art contemporain s’est démocratisé, il s’est surtout mondialisé, dopé par l’appétit et la concurrence des pays émergents, Chine en tête. Le Moyen-Orient n’est pas en reste. En quelques années, Dubaï a su attirer les plus grands musées et créer un véritable hub pour la création arabe contemporaine. L’été 2014, celle-ci s’est vu dédier sa première grande exposition à New York, Here and Elsewhere, avec notamment les artistes marocains Yto Barrada, Bouchra Khalili et Mohamed Larbi Rahali.

Red Sea, collage d’Ali Jabri issu de la série Nasser (1977-83).

2-Pourquoi cette effervescence ?

L’art contemporain n’est plus un consumérisme d’élite passionnée, il est aussi devenu un enjeu d’argent et de prestige.

Signe de reconnaissance sociale et passeport mondain pour les nouvelles fortunes des pays émergents.

Pour les commanditaires publics, il s’agit souvent de répéter un « effet Bilbao », c’est-à-dire créer une dynamique, notamment touristique, autour d’une offre artistique et souvent d’un projet architectural monumental. Pour nombre de nouveaux collectionneurs privés, l’art de notre temps est aussi devenu « bankable ». Signe de reconnaissance sociale et passeport mondain pour les nouvelles fortunes des pays émergents, il apparaît aussi de plus en plus comme un placement financier à l’épreuve des crises.

3-La flambée des prix

Depuis la « vente du siècle » de 2008, à l’origine du sacre de l’artiste Damien Hirst, l’art de notre temps ne cesse d’enregistrer les records et de creuser l’écart entre le top du marché et le milieu de gamme. Alors que 2013 avait défrayé la chronique à force d’enchères vertigineuses, la vigueur du marché ne se dément pas, contre toute attente et avis de bulle spéculative, comme on peut le constater avec l’oeuvre Nurse de feu Roy Lichtenstein vendue pour plus de 95,4 millions de dollars en 2015.

For the Love of God, de Damien Hirst, réplique en platine d’un crâne humain du XVIIIème siècle incrustée de 8601 diamants.

4-L’art des affaires

De plus en plus prisé, l’art contemporain est aussi de mieux en mieux « marketé » par les multinationales de l’art, Christie’s en tête, et les galeristes dont les noms ont valeur de label, comme Gagosian. Il s’inscrit dans de nouvelles stratégies marketing proches du luxe : une logique moins snob que « swag », ainsi que le marché désigne ses produits d’exception (Silver, Wine, Art and Gold). Les stars de l’art contemporain se révèlent également douées lorsqu’il s’agit de vendre ou valoriser leurs cotes : autopromotion, logo, collaborations commerciales et bataillons d’assistants… Si l’art devient un business, les entreprises aussi versent davantage dans la création, à l’instar du groupe LVMH. Dès 2006, Louis Vuitton expose Olafur Eliasson dans ses vitrines, en lieu et place de ses produits : son image et ses ventes décollent. Depuis, « artketing » et mécénat se sont multipliés avec succès.

Nurse, de feu Roy Lichtenstein, 1964, vendue pour plus de 95 millions de dollars.

5-Le jugement esthétique

En contemporain, plus qu’ailleurs cependant, l’œuvre joue sur sa capacité à faire sens. Difficile d’apprécier L’Urinoir de Duchamp en dehors de son propos, de son contexte, voire de son titre. Devenue conceptuelle, éphémère ou informe, l’œuvre requiert l’interprétation : c’est le « regardeur qui fait l’œuvre » dira Duchamp. Pour apprécier une œuvre, il faut commencer par s’intéresser au discours qu’elle propose, celui dans lequel elle s’inscrit, et repérer les règles mises en place par l’artiste, dans cette œuvre et au sein de l’ensemble de sa production – c’est le « body of art » d’un artiste, dont s’enquièrent généralement très vite les collectionneurs.

Fontaine, de Marcel Duchamp, 1917.

6-La cote artistique

C’est une estimation de la valeur d’échange de l’œuvre, établie après expertise, à partir de sa dernière enchère. Indication objective et publique, la cote est ainsi l’étalon de référence sur le marché de l’art. Essentielle, elle n’en reste pas moins une information variable, qui répercute les évolutions du marché, et notamment les phénomènes de mode ou le dynamisme des acteurs artistiques. Elle peut ainsi grimper en flèche, avant de retomber aussi vite. La cote renseigne la valeur commerciale d’une œuvre mais pas forcément toute sa valeur artistique, ni celle de son auteur. D’autant qu’elle ne concerne qu’une œuvre déjà estimée et vendue au moins une fois, soit une partie de toutes les œuvres en circulation.

Jérusalem, de Farid Belkahia, 1994.

7-Les premiers circuits de l’art

Pour le collectionneur comme le néophyte, les galeries sont le lieu d’approche idéal. Près d’une centaine aujourd’hui, les galeries marocaines ne sont cependant pas toutes de qualité égale, en attendant une meilleure régulation de ce « premier marché ». À suivre également : les fondations institutionnelles, dont les espaces et les collections jouent un rôle particulièrement important au Maroc. Autre baromètre des tendances, les foires annuelles. Au nombre de 3 en 1970, elles sont aujourd’hui près de 300 dans le monde, auxquelles s’ajoutent près de 150 biennales et triennales, dont Marrakech Art Fair. Aujourd’hui les collections commencent aussi à domicile : le marché de l’art en ligne est devenu une mine d’or, notamment pour les aspirants acheteurs en quête d’informations, voire de simulateurs de gestion de collections virtuelles.

Balloon Swan (magenta), de Jeff Koons, sculpture en acier chromé inoxydable avec vernis coloré transparent.

8-Les maisons de vente

Lieux d’enchères et d’expertise, les maisons de vente établissent la valeur des œuvres du point de vue critique et marchand. Ce « second marché » est encore relativement récent au Maroc, aussi les prix, voire l’authenticité de certaines œuvres en circulation, manquent-ils encore souvent de transparence.

Les prix s’y échelonnent de quelques milliers de dirhams jusqu’à 1,5 million pour une sculpture de Mahi Binebine en 2008.

Ces maisons tendent ainsi à rééquilibrer le marché mais leur dynamisme est cependant limité par une difficile connexion à l’international en raison des obstacles douaniers et juridiques, bien que les collectionneurs étrangers se montrent de plus en plus portés sur l’art contemporain marocain, notamment dans les pays du Golfe. Les prix s’y échelonnent de quelques milliers de dirhams jusqu’à 1,5 million pour une sculpture de Mahi Binebine en 2008.

9-Ce qui a la cote aujourd’hui ?

L’internationalisation croissante du monde de l’art modifie les règles et les tendances du marché. La décennie précédente ne jurait que par l’excentricité des Koons, Murakami et autre Hirst. Aujourd’hui les regards se portent beaucoup vers de nouveaux artistes, notamment asiatiques, indiens et moyen-orientaux. Au Maroc, après le boom du milieu des années 2000, le marché est devenu plus sensible à l’économie, et les acheteurs plus avertis. On assiste à un retour à la peinture et à ses valeurs sûres, parmi lesquelles les artistes de renommée internationale : Binebine, Qotbi, feu Kacimi,  feu Glaoui ou feu Farid Belkahia… Avec l’emballement des prix et la diversification du paysage artistique, le public marocain s’oriente aussi davantage vers d’autres domaines d’expression artistique, notamment l’art urbain et des signatures comme Wafaa Yasmine Bensassi Kabaz ou Morran Ben Lahcen.

L’artiste japonais Takashi Murakami, chef de file du néo-pop japonais dit Superflat.

10-L’essor de la photographie

Autre tendance émergente, et véritable phénomène, tant au Maroc qu’à l’international : la photographie. Cataloguée art mineur à ses débuts, la photo a gagné en couleurs, en formats et en galon avec l’École de Dusseldorf et des artistes purement photographes comme Andreas Gursky, auteur de la photographie, Rhein II, adjugée 3,1 millions d’euros en 2011, détrôné par la suite par Peter Lik en 2014 avec la photographie Phantom cédée pour 5.24 millions d’euros. Aujourd’hui, les tirages d’art se vendent aux mêmes valeurs que les autres œuvres contemporaines. Avec des tickets d’entrée encore très abordables, même pour des artistes confirmés, la photographie est plus accessible, notamment pour la nouvelle génération de collectionneurs. Elle offre également un large éventail de pratiques créatives : plasticienne, documentaire, conceptuelle ou désormais numérique. Alors que les œuvres d’art contemporain marocain, toutes disciplines confondues, sont appelées à se valoriser auprès d’un public plus nombreux et international, c’est le moment pour (bien) acheter.

Rhein II, de ANdreas Gursky, 1999.

 

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