À Talsint, la soif cause de nouvelles manifestations

Les habitants de Talsint ont manifesté le 7 septembre pour revendiquer leur droit à l’eau potable. Une réplique des manifestations de l’été dernier, suite auxquelles le Chef du gouvernement s’était pourtant engagé à régler le problème d’ici 2018. Entre sécheresse accrue et surexploitation des ressources, l’or bleu cristallise toujours les tensions.

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Photo d'illustration. Crédit: AFP

Notre droit à la vie, notre droit à l’eau potable ». Voilà le message scandé par les habitants de Talsint, qui ont entamé, vendredi 7 septembre, une marche de protestation pour « exiger l’accès à l’eau potable », rapporte Hespress. Depuis plusieurs mois, les habitants de cette commune de 16.000 habitants élèvent leur voix sur cette question épineuse. En cause : la « coupure des robinets » dont ils se disent victimes, ajoute le média en ligne.

« La cause première du manque d’eau à laquelle fait face la région est due à l’importante vague de sécheresse qui sévit dans cette zone », explique Lahcen El Ameli. Joint par TelQuel, cet ancien directeur d’une agence Crédit Agricole s’occupe désormais de la Maison familiale rurale (MFR) de Talsint, un centre de formation associatif visant à intégrer les jeunes déscolarisés aux métiers de l’agriculture.

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Crise de l’or bleu

« Il y a une grande poche de sécheresse qui s’étend d’Oujda à Errachidia. Les sources d’eau ont énormément diminué », constate El Ameli. Un constat d’autant plus marqué au sortir de la période estivale, où aucune précipitation n’a été a enregistrée durant les derniers mois. De manière plus structurelle, les relevés menés dans le Royaume depuis les années soixante-dix soulignent un phénomène de réchauffement climatique de quatre degrés. Des chiffres guère plus rassurants concernent les précipitations dont le niveau a baissé de 22 % depuis 1970, selon une étude menée par le chercheur Mohammed Hanchane.

La situation n’est cependant pas exclusive au Maroc. Selon des données de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Royaume fait partie des quarante-cinq pays les plus touchés par les pénuries d’eau. Une crise de l’or bleu qui pourrait s’aggraver avec une perte des ressources en eau de « 80 % lors des vingt-cinq prochaines années », relaye National Geographic.

Mais ces variations naturelles touchent l’ensemble de la vie locale de Talsint : « Ici, on observe régulièrement des coupures d’eau dans les foyers pendant deux, trois voire cinq heures », s’inquiète Lahcen El Ameli. D’autant qu’elles impactent l’ensemble de l’activité économique du territoire, qui dépend en grande partie de l’agriculture. « Les agriculteurs gèrent de petites exploitations de trois à dix hectares qui ne sont irrigués que par deux moyens. Il y a les sources qui viennent de la montagne qui nous sépare du douar Ghazouane, et où le château d’eau qui alimente Talsint est implanté. Ces sources régressent à mesure que la sécheresse augmente. Les forages constituent la deuxième option pour les exploitations utilisant des techniques modernes, rationnelles ayant recours à l’irrigation par pompages des nappes phréatiques. »

Forages de plus en plus nombreux

« Aujourd’hui, dans la région de Talsint et d’Errachidia, il faut creuser soixante voire cent mètres pour trouver de l’eau », s’inquiète pour sa part Abdelmalek Ihazrir. Ce professeur en sciences politiques, spécialiste des politiques publiques et des questions liées à l’eau, voit ces forages excessifs d’un mauvais œil. La pratique a pourtant été favorisée dans l’ensemble du Royaume depuis 2008 et l’élaboration du Plan Maroc vert. Celui-ci prévoit en effet des subventions et des autorisations aux creusements de puits et forages pour les besoins de l’agriculture.

« Aujourd’hui, il y a des autorisations pour construire deux, quatre, voire cinq puits sur 100 hectares, explique Abdelmalek Ihazrir. C’est une pratique anarchique et dangereuse que l’on utilise dans de nouvelles cultures qui gaspillent beaucoup d’eau et conduisent à l’épuisement des nappes phréatiques. » Un constat que partage l’économiste Najeb Akesbi dans les colonnes du Monde : « Comme les surfaces agricoles étaient équipées quasiment gratuitement, tout le monde a voulu faire des cultures à plus forte valeur ajoutée, comme le maraîchage. Or celles-ci consomment beaucoup plus d’eau. Au lieu de l’économiser, on s’est mis à la surconsommer. »

Ces prélèvements font que la région se retrouve en situation de stress hydrique. Le World Ressources Institute (WRI) définit le stress hydrique comme l’état dans lequel une région se trouve lorsque sa demande en eau dépasse ses ressources disponibles. D’après le think-tank américain, le Maroc figure parmi les 20 pays les plus touchés par le stress hydrique.

A Talsint, l’agriculture locale — olivier, amandes, pommes — peut subsister sans beaucoup d’eau. Ailleurs dans l’est marocain, en revanche, la multiplication des pompages a pu avoir de plus lourdes conséquences sur la nappe phréatique. C’est le cas plus au sud, à Zagora, où l’on cultive la pastèque, très gourmande en eau.

Zagora, Le Maroc de la soif

A Hay El Atchane à Zagora, cela fait plusieurs semaines que les habitants vivent sans eau potable. Retrouvez notre reportage sur le "Hirak de la soif" dans le numéro 782 de TelQuel actuellement en kiosques.Sommaire : http://tq.ma/2qZnyL8Abonnement : http://abo.telquel.ma/

Posted by TelQuel (Officiel) on Sunday, October 15, 2017

Cette commune aux portes du désert a connu, au début de l’été 2017, des « manifestations de la soif », après plusieurs semaines de faible accès à l’eau, qui plus est, imbuvable. En septembre 2017, l’une de ces manifestations de la soif avait conduit à l’interpellation de 23 personnes, dont 12 mineurs, puis la condamnation à de la prison ferme pour huit d’entre eux.

Barrages et volonté royale

Ces évènements ont suscité des réactions jusqu’en plus haut lieu. Le 25 juillet 2017, devant le parlement, Saad Eddine El Othmani promettait que le « problème » de la rareté́ de l’eau serait « définitivement résolu » en 2018, et que trois nouveaux grands barrages et dix petits barrages seraient construits chaque année durant son mandat ? « La question de l’eau revêt désormais un caractère stratégique pour le gouvernement suite aux instructions [royales] lors du dernier Conseil des ministres [du 2 octobre] », déclarait encore le Chef du gouvernement, en Conseil de gouvernement le 5 octobre 2017. Le roi Mohammed VI avait alors « attiré l’attention des ministres sur les problèmes d’eau potable et d’irrigation dans les zones rurales et montagneuses » pour que soit mise en place une nouvelle commission interministérielle chargée « d’assurer un suivi continu et approfondi du dossier ».

Depuis, le roi a plusieurs fois appelé à l’accélération du programme d’urgence de l’eau à l’horizon 2025. La dernière mention en date de cette stratégie censée « augmenter la capacité de stockage et de mobilisation de l’eau » remonte au discours de la fête du Trône, en juillet dernier. Selon les instructions royales, elle devrait passer par «  l’accélération de l’investissement dans les infrastructures hydrauliques, notamment les grands, moyens et petits barrages. » Le plan national de l’eau « devrait nécessiter plus de 200 milliards de dirhams à l’horizon 2030 », rapporte L’Économiste.

Le 20 aout dernier, enfin, le roi Mohammed VI actait la suppression du secrétariat d’État chargé de l’Eau, qu’occupait jusqu’à alors Charafat Afilal et dont les prérogatives revenait ainsi de fait au ministre de l’Equipement Abdelkader Amara. « Cette décision vise l’amélioration de la gouvernance des chantiers et projets relatifs à l’eau, et de leur efficacité et efficience et le renforcement de la cohérence et la complémentarité entre les différents services et établissements concernés par l’eau relevant de ce ministère, en harmonie avec l’intérêt particulier que Sa Majesté le Roi accorde à ce secteur, » indiquait le communiqué du cabinet royal annonçant la décision.

« L’eau a été marginalisée par les politiques publiques, croyant que l’embellie viendrait après les années de sécheresse », expose Abdelmalek Ihazrir. « Depuis les différents gouvernements Filali (trois gouvernements successifs de 1994 à 1998, ndlr), il y a eu ce rêve de ressasser une agriculture moderne avec la politique de barrages que l’on mène depuis 1937. Or, face à la sécheresse, même le roi Hassan II à l’origine d’une politique d’ampleur sur la construction de barrage a tiré la sonnette d’alarme en 1975 et 1995 ». La politique des barrages impulsée par Hassan II dans les années soixante-dix a-t-elle montré ses limites ? « Non, mais on doit redistribuer les priorités », coupe le chercheur interrogé par TelQuel. « Il faut les restructurer et remettre l’eau au centre des politiques de gouvernance. Il est temps pour tous les acteurs de cesser le corporatisme, » estime-t-il.

À Talsint, le barrage le plus proche est celui de Hassan Addhakil à Errachidia, bâti en 1971. Il y a un an, ce dernier « n’était rempli qu’à 23 % », signalait l’Agence du bassin hydraulique du Guir-Ziz-Rheris. Insuffisant pour alimenter toute la région. De quoi pousser Lahcen El Ameli à réagir. « Je vais prochainement proposer au nouveau gouverneur, Mohammed Derham, un dossier de présentation sur l’installation d’un moyen ou grand barrage à Tizi Zaouine ». Une aubaine pour la région de Talsint ? « Depuis que je suis tout jeune, j’assiste à l’érosion forte des douars dans la région. Un tel projet permettrait de lutter contre ce phénomène, alimenter Talsint et les environs en eau ainsi que développer plusieurs activités comme la pêche ou le tourisme», selon cet ancien professeur d’économie. De quoi satisfaire, malgré la pénurie, la population qui revendique son « droit à l’eau potable » ?

 

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