Les dessous du faux bond de Jamel Debbouze à son public casablancais

Jamel Debbouze ne se produira pas comme prévu à Casablanca les 19 et 20 octobre. Sa société de production Kissman accuse le distributeur marocain Radio Planet d’avoir porté atteinte à l’image de l’artiste. Un non sens pour Radio Planet qui y voit une excuse pour masquer l’impréparation de l’artiste, sur fond de désaccord avec son frère.

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L'humoriste franco-marocain Jamel Debbouze photographié à Paris en 2014. Crédit: AFP PHOTO / FRANCK FIFE

Nous sommes surpris et consternés par cette annonce d’annulation de la part de Jamel Debbouze, un artiste pour lequel nous avons beaucoup de respect. » C’est en ces termes que la société marocaine Radio Planet, en charge de la diffusion du spectacle Maintenant ou Jamel, a réagi le 9 octobre à l’annulation des dates marocaines de l’humoriste franco-marocain qui devait se produire les 19 et 20 octobre à Casablanca pour présenter son dernier one-man-show, toujours inédit au Maroc.

Dans un communiqué diffusé le 8 octobre depuis Paris, la société Kissman Maroc Productions, détentrice exclusive des droits des spectacles de Jamel Debbouze au Maroc, a annoncé qu’elle « s’est vue dans l’obligation de rompre le contrat qui la lie à la société Radio Planet. » Une rupture du contrat justifiée selon elle par le fait que le distributeur local Radio Planet a « violé de façon flagrante ses obligations essentielles au titre de manquements graves au contrat ».

« La société en charge de la diffusion rejette en bloc ces accusations graves qui portent atteinte à son image et qui ne reposent sur aucun fondement, » rétorque Radio Planet dans un communiqué publié le lendemain. Elle affirme d’ailleurs n’avoir « reçu aucun document notifiant la rupture du contrat et l’annonce d’annulation du spectacle ‘Maintenant ou Jamel’ de la part de Kissman Maroc. »

Contacté par TelQuel, le patron de Radio Planet, Hakim Chagraoui, nous confie qu’il a découvert cette « décision » dans la presse. « Ils parlent d’une rupture de contrat alors que je n’ai pas été officiellement notifié de cette décision. Le contrat prévoit que je sois notifié par lettre recommandée, email ou fax », poursuit le jeune patron, également connu pour avoir lancé, en 2017, la webradio NRJ Maroc. Que s’est-il passé pour en arriver à un conflit ouvert à 10 jours d’un spectacle promis à près de 8 000 spectateurs ?

Le calme avant la tempête

Tout a commencé en mai 2018. Le frère de Jamel, Karim Debbouze, alors gérant de Kissman Maroc conclut un accord de principe avec Radio Planet pour l’organisation de plusieurs spectacles. Celle-ci avait déjà collaboré avec la société détentrice des droits des spectacles de Jamel Debbouze en 2014 et 2015 selon Hakim Chagraoui. Selon la même source, le contrat qu’il signe alors prévoit quatre dates : deux à Casablanca, les 19 et 20 octobre, et deux autres à Beyrouth et Dubaï. LeDesk.ma précise que le contrat a été signé le 13 juin. Capture d’écran à l’appui, nos confrères révèlent que le cachet de l’artiste s’élève à 300 000 euros soit 3,42 millions de dirhams.

Première anomalie, selon les sources du Desk.ma qui a consulté des documents en attestant, « Kissman et Radio Planet ont signé non pas un contrat, mais deux simultanément, le second tenu secret à hauteur de 400000 euros. » « Le différentiel de 100000 euros avec le premier contrat ayant été perçu au noir à Marrakech par Karim Debbouze pour le compte de Kissman Maroc », assurent les sources du Desk.ma.

« Depuis plusieurs mois, nos équipes en collaboration avec celles de Kissman Maroc ont travaillé sans relâche pour faire du retour de l’artiste Jamel Debbouze à Casablanca, après 13 ans d’absence, un grand évènement, » témoigne le communiqué de Radio Planet. Et d’ajouter : « Compte tenu de l’enjeu, Jamel Debbouze suivait lui-même de très près l’organisation. »

Et selon Radio Planet, en prévision de ces spectacles annoncés, « tout allait bien »  jusqu’à récemment. « À un mois de l’évènement, nous avons réservé les billets d’avion, le régisseur technique est venu valider les installations, le décor pour s’assurer que le complexe Al Amal était prêt pour accueillir les deux spectacles. Nous avons même reçu un mail de confirmation, » explique Hakim Chagraoui à TelQuel.

Un prétexte juridique pour sauver la face ?

Mais « moins de vingt jours » avant la date du premier spectacle, Radio Planet reçoit un appel d’Olivier Rodot, producteur chez Kissman, qui souhaite reporter l’évènement. Selon Hakim Chagraoui qui nous rapporte la discussion, le producteur français de Jamel Debbouze lui aurait affirmé que l’humoriste « n’est pas prêt artistiquement ».

« Nous avons refusé de reporter puisque la première date [le 19 octobre à Casablanca, NDLR] était sold out avec près de 4900 places vendues entre 300 et 900 dirhams, à travers différents réseaux de billetterie, » explique le patron de Radio Planet.

Le lendemain de cet appel, le vendredi 28 septembre, une mise en demeure est adressée, par huissier de justice à Radio Planet pour un tout autre motif. Le document, à l’entête du cabinet Naciri & Associés et consulté par TelQuel, a pour objet de « remédier aux manquements en relation avec l’atteinte à l’image de Jamel Debbouze. »

« Notre cliente nous a informé n’avoir jamais donné son accord écrit et préalable à votre société afin d’utiliser l’image de l’Artiste autrement que pour la stricte promotion et commercialisation du Spectacle telle que décrite dans le contrat, de faire parrainer le spectacle par toute marque et de manière générale d’associer l’image de l’artiste à des campagnes publicitaires par des sociétés tierces, » indique le document signé par l’avocat Hicham Naciri.

Comprendre : Kissman reproche à Radio Planet d’avoir utilisé l’image de l’artiste pour deux affiches publicitaires, indexées à la mise en demeure : l’une avec l’opérateur téléphonique Orange, l’autre avec le constructeur automobile Skoda.

Aussi, la mise en demeure demande à Radio Planet de « remédier aux manquements précités ». « À défaut, le contrat sera résilié de plein droit, » prévient le document.

Mais pour Hakim Chagraoui, il s’agit là d’un prétexte juridique pour annuler le concert. « Ils cherchaient une faille dans le contrat pour qu’il puisse l’annuler, »affirme-t-il. Il en veut pour preuve qu’Orange est le sponsor officiel du Marrakech du rire, le rendez-vous annuel de Jamel Debbouze avec son public marocain. TelQuela essayé, en vain, de joindre plusieurs représentants de la société Kissman.

Frères de sang

Selon Radio Planet, un désaccord en toile de fond entre Jamel Debbouze et son frère Karim n’a pas arrangé les choses. Karim Debbouze aurait en fait quitté la direction de Kissman Maroc au mois de juillet. « On m’a fait comprendre que toutes les négociations qui avaient eu lieu dans la période Karim Debbouze ne les concernaient plus, » témoigne le patron de Radio Planet.

« Radio Planet se retrouve dans une guerre fraternelle, entre les deux frères, qui ont poussé à chercher une issue de secours pour ne pas faire ces dates au Maroc, » soutient-il. Des sources proches du dossier interrogées par LeDesk.ma abondent dans le même sens. « La volte-face de Jamel serait consécutive à un désaccord fondamental avec son frère Karim qui trouve ses origines dans la gestion même de Kissman Maroc et de ses activités dans le royaume, notamment le Marrakech du Rire, » écrit le média.

Une source autorisée chez Kissman, citée par LeDesk.ma, affirme que Karim Debbouze a « choisi de partir, c’est quelque chose que tout le monde respecte. Il n’est plus salarié de Kissman depuis juillet et nous avons repris le dossier en septembre pour corriger le tir. »

D’autres sources du LeDesk.ma assurent que « les désaccords entre les deux frères, aussi pénibles soient-ils, pour eux et pour leur famille, sont non seulement dépassés, mais ne peuvent en aucun cas être pris pour la source de l’annulation du spectacle à Casablanca. »

Contactés par TelQuel, les deux frères Debbouze n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Dans son communiqué du 8 octobre, Kissman Maroc explique qu’elle n’a « malheureusement pas d’autres choix que d’annuler le spectacle » après avoir « en vain tenté de trouver un accord satisfaisant avec la société Radio Planet dans l’unique dessein de satisfaire le public marocain. » De son côté, la société de diffusion avance-t-elle aussi qu’elle s’est « battue jusqu’au bout pour convaincre l’artiste et son entourage de maintenir la tenue du spectacle à Casablanca, mais sans succès. »

Kissman a annoncé pour sa part qu’elle travaille actuellement « à l’annonce de nouvelles dates qui seront communiquées très prochainement. »

Les tickets seront-ils remboursés?

« L’annulation du spectacle de Jamel Debbouze représente un énorme soufflet pour le public marocain et les fans de l’artiste qui se sont bousculés pour acheter les tickets, » estime Radio Planet dans son communiqué. Une décision qui constitue, pour le diffuseur local, « un manque à gagner considérable pour la société en charge de la diffusion et les partenaires qui se sont associés à cet évènement. »

« Notre priorité est de rembourser tout le monde, même si l’artiste a perçu un acompte qu’il n’a pas encore remboursé. Sans compter les divers frais d’annulation : salle, matériel technique, les 10 % de frais de réservation auprès des billetteries…, » détaille Hakim Chagraoui.

Selon le patron de Radio Planet, les remboursements démarreront le 18 octobre, « le temps que l’on soit sûr de l’annulation, » dit-il, rappelant qu’il n’en a pas été notifié autrement que par voix de presse.

D’ici là, chacune des parties compte ses troupes en vue d’une bataille en justice. Kissman « se réserve toute voie de droit à même de préserver ses intérêts légitimes ». Le patron de Radio Planet nous affirme de son côté qu’il envisage de porter plainte contre la société Kissman Maroc Production pour « annulation de contrat sans notification », et qu’il souhaite étendre la plainte à Jamel Debbouze.

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