Lalla Meryem donne le "la" d'une stratégie africaine pour intégrer les enfants des rues

Largement touché par la marginalisation de ses plus jeunes forces vives, l'Afrique s'est engagé à lutter contre le phénomène des enfants des rues. À l'occasion de la fin du sommet Africités, à Marrakech, les villes du continent ont porté la campagne "Pour des villes africaines sans enfants en situation de rue", qui a officiellement été lancée par la princesse Lalla Meryem, ce samedi 24 novembre.

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La princesse Lalla Meryem préside le lancement de la campagne panafricaine "Pour des villes africaines sans enfants en situations de rue" Crédit: MAP

L’avenir de nos villes et de nos nations dépend de ce que nous offrons aujourd’hui à nos enfants. Et nos enfants en situation de précarité ne sont pas invisibles, ils sont présents et ils sont aussi le futur ». Ce sont les mots choisis par le roi Mohammed VI pour alerter ministres, hauts responsables et élus africains, lors de la cérémonie de clôture du 8ème sommet Africités, ce 24 novembre à Marrakech. Un message royal lu par la princesse Lalla Meryem devant une assemblée panafricaine.

Lancement de la campagne panafricaine » Pour des villes sans enfant en situations de rue »Crédit: MAP

Présidente de l’Observatoire national des droits de l’enfant (ONDE), la princesse a lancé officiellement la campagne panafricaine nommé « Pour des villes africaines sans enfants en situation de rue ».  Son enjeu ? Replacer l’enfance au cœur de la politique urbaine et faire des collectivités du continent « l’avant-garde de la lutte contre le phénomène des enfants de rues ».

Une question cruciale qui, preuve de son importance, a été la thématique centrale de la clôture des quatre jours de cette manifestation placée sous le signe de la transition vers des villes et territoires durables.

Le Maroc s’engage

Et pour cause, il s’agit de remédier contre un mal dont aucun des cinquante-quatre pays africains n’est épargné. « Sur les 120 millions d’enfants des rues dans le monde, il en est plus de trente millions qui survivent dans notre continent. Un enfant des rues sur quatre (dans le monde, ndlr) est donc Africain ».

Un enfant des rues sur quatre est Africain.Crédit: AFP

Un mal amené à croître du fait de l’explosion démographique annoncée du continent. « La population juvénile a quintuplé, et représente 580 millions de jeunes âgés entre 15 et 24 ans sur les 1,2 milliards que nous sommes », exposait Alioune Badiane, directeur régional pour l’Afrique à l’Onu-Habitat, lors d’une session du sommet spécifique à la transition démographique. En 2030, le nombre de jeunes dans le continent devrait augmenter de 42%. Pour combien de futurs marginalisés ?

« Ce projet panafricain a pour objectif de placer l’enfance au cœur de la politique urbaine » Lamia Bazir, directrice exécutive de l’ONDE

Sur cette question, l’ONDE veut impulser un changement. C’est dans cette optique que Rabat fera office de ville-pilote d’un projet continental ayant pour objectif de réduire de 25%  le nombre d’enfants laissés pour compte dans les rues africaines d’ici 2030.

« A travers une approche décentralisée, impulsée depuis les collectivités locales, ce projet panafricain a pour objectif de placer l’enfance au cœur de la politique urbaine. Cela peut se traduire par une réintégration au système éducatif  ou une intégration aux formations professionnelles ou, comme ici au Maroc, dans les écoles de la deuxième chance » explique Lamia Bazir, directrice exécutive de l’ONDE.

La capitale fera l’objet d’un suivi méthodologique et cartographique et pourra compter sur un soutien financier et technique de l’Unicef. « Nous voulons montrer que le Maroc s’engage concrètement et se donne les moyens pour faire face à la problématique des enfants de rue » poursuit la responsable de l’Office. Dans ce sens, trois accords de convention ont été signés dans l’après-midi du 24 novembre.

Jeunes militants 

En parallèle de cette initiative, l’OCDE s’est distingué par le biais d’une voie moins conventionnelle et officielle. Lors des quatre jours du sommet Africités,112 enfants parlementaires ont été mis à contributions. Casquettes rouges vissées sur la tête, vêtus d’un blouson matelassé noir flanqué d’un « « #jenesuispasinvisible », ces lycéens et étudiants ont arpenté les allées de la manifestation pour sensibiliser les participants à la problématique des enfants de rue.

112 jeunes marocains se sont fixés pour objectif d’obtenir le maximum de signature sur une pétition militant pour les « droits de tous les enfants » et dont le procès-verbal sera remis à la princesse Lalla MeryemCrédit: MAP

Croisés il y’a quelques jours dans les artères de  la salle d’exposition, Asmae et Zainab expliquent être touchés par cette question. « Il y’a encore énormément de laissés pour compte, certains souffrent de maladie mentale tandis que d’autre sont exploités par des réseaux de prostitution » avance Asmae, étudiante en école de commerce à l’allure soignée en charge de l’encadrement des enfants parlementaire.

Ces 112 jeunes se sont fixés pour objectif d’obtenir le maximum de signature sur une pétition militant pour les « droits de tous les enfants » et dont le procès-verbal sera remis à la princesse Lalla Meryem. Ce 24 novembre, ils ont pu compter sur le soutien inattendu d’un invité de choix. L’ancienne gloire du football africain et entraîneur adjoint des Lions de l’Atlas, Mustapha Hadji a fait une apparition remarquée au plus grand bonheur des jeunes. L’occasion de se prêter au nombreuses demandes de selfies, d’échanger des jongles et d’afficher son soutien à cette initiative.

« Nous voulons prendre la parole pour les autres enfants, qui ne l’ont pas forcément », souligne, pour sa part Taha, lycéen fassi de 17 ans et enfant parlementaire. Ces enfants parlementaire, qui sont au total 395, sont une représentation institutionnelle de la jeunesse, calquée sur le Parlement. Issus de toutes les régions du Royaume, 305 d’entre eux sont sélectionnés, tous les deux ans, sur la base de leurs résultats scolaires. Les 90 autres  ont porté un projet. Farouk, 20 ans, est l’un d’entre eux. Ce jeune Casablancais a pensé un projet pour utiliser l’énergie solaire dans le développement des régions du Sud.

« Il y’a quelques temps nous sommes partis à la rencontre des enfants des rues vivant dans le quartier de Ouled Ziane à Casablanca pour savoir dans quelles conditions ils vivent. Nous avons-nous même été des enfants et on peut les comprendre. Même si nous n’avons pas eu la même vie. C’est à nous de faire en sorte d’intervenir auprès des plus grands afin de leur garantir un avenir meilleur » ambitionne le jeune étudiant en médecine.

Le temps de l’action

Après Rabat, plusieurs autres aires et collectivités urbaines devraient suivre. « 35 villes ont déjà signé le protocole d’entente (relatif au projet, ndlr) et la liste continuera à s’élargir après le sommet » annonce Lamia Bazir. » Preuve en est que  la question des destin brisés préoccupe le continent .« Ce n’est pas déjà inquiétant ? », martèle, à trois reprises, Celestine Ketcha Coirtes, maire de la ville camerounaise de Bangangté et présidente du Réseau des femmes élues locales d’Afrique (Refela). Pour l’élue camerounaise,  «un enfant dans les rues, n’est pas une faillite, mais un échec social ».

Pour Mohammed VI, l’éducation est le plus grand défi du continent.Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Il s’agit d’éviter les destins brisés. Mais surtout d’offrir la pleine mesure à une jeunesse pour qu’elle contribue à l’essor du continent. « L’éducation doit être au cœur de chacune de nos actions. Son effet multiplicateur est indéniable, sa réalisation est incontournable. Elle est notre principal défi et notre plus grande opportunité », insiste Mohammed VI, dans son discours lu par Lalla Meryem.

« L’éducation doit être au cœur de chacune de nos actions », Mohammed VI

Et de conclure, sur un appel à la dignité et à l’espoir : « Sans protection renforcée des générations futures, l’Afrique ne pourra tirer bénéfice de son dividende démographique. L’heure est à l’action. Il nous appartient de rendre les villes africaines, véritablement dignes de leurs enfants. »

Quand l’Afrique pense à demain

Un continent où tout ne tient que sur sur un fil. Plusieurs jeunes africains, présent lors du sommet, ont souhaité tordre le coup à cette idée. C’est sous le prisme de l’innovation que plusieurs intervenants sont venus parler de l’Afrique du futur.

Fruit de la génération interconnectée et rompue à l’évolution des nouvelles technologie, ils n’attendent qu’une chose : la confiance des acteurs politiques et les moyens pour accomplir leur ambition. « Si nos jeunes sont bien éduqués et en bonne santé, ils pourront se répondre aux défis du continent » explique un intervenant  , membre du conseil mauricien des jeunes et architecte exerçant dans la ville de Port-Louis.

« Notre continent regorge de projets qui ont réussi et porté par des jeunes. Elles concernent des thématiques aussi vitales que nécessaires comme la lutte contre le changement climatique, mais aussi la gestion de déchets ou la facilitation du cadre de vie », pointe Jefferson Koijee, maire de la capitale libérienne, Monrovia , âgé de 30 ans. « Si nous ne leur offrons pas de solides opportunités locales, nos jeunes iront la chercher ailleurs », pointe-t-il.

Un Forum des jeunes s’est tenu, pour réfléchir aux enjeux liées à la Vision 2063 impulsée par l’Union africaine. Un concours d’idée a également fait l’objet d’une compétition afin de  permettre la transition vers des villes intelligentes et durables. Parmi les idées retenues, un projet de dématérialisation de l’école pour les enfants en zone de conflit, un autre pour améliorer la démocratie et la participation citoyenne dans la ville de Douala au Cameroun, ou encore un dernier -porté par le marocain Aziz Elyaagoubi – pour faciliter le stationnement des voitures à Casablanca. Preuve que les idées sont là, les volontés aussi.