Phosphate : L'Algérie peut-elle inquiéter le Maroc ?

L’Algérie souhaite augmenter sa production de phosphate de 1 à 10 millions de tonnes par an d’ici 2022 et se positionner comme l’un des premiers exportateurs de phosphate au monde. Le Maroc doit-il craindre la concurrence ?

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L’Algérie, troisième producteur de pétrole en Afrique a lourdement communiqué sur le développement de sa production nationale de phosphates. L’ambition est de taille : faire passer le niveau de production nationale de phosphates de 1 à 10 millions de tonnes par an, et occuper, ainsi le 5e rang mondial des producteurs de phosphates, derrière l’OCP, troisième.

Pour traduire cette ambition en projet, Sonatrach, premier groupe pétrolier africain et douzième dans le monde, ainsi que deux autres entreprises publiques algériennes, Asmidal (commercialisation d’engrais) et Manal (holding minier), ont conclu, le lundi 26 novembre à Tébessa (Est de l’Algérie), un accord de partenariat avec deux entreprises chinoises. Il s’agit de Wengfu, entreprise spécialisée dans l’extraction du phosphore et la production d’engrais, et CITIC (China International Trust and Investment Corporation), une entreprise publique de fonds d’investissement de la République populaire de Chine, déjà engagée dans plusieurs projets de construction et d’ingénierie en Algérie.

En vertu de cet accord, un complexe d’extraction et de transformation de phosphate sera créé en mobilisant un volume d’investissement 6 milliards de dollars, a rapporté l’agence de presse algérienne (APS).

Une fierté pour l’Algérie

« L’usine de transformation du phosphate est le premier grand et important projet industriel que lance l’Algérie depuis près d’une décennie et dont le rendement métamorphosera la région Est du pays et consolidera l’économie nationale », s’est félicité le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, lors de la cérémonie de signature dudit partenariat.

Dans les détails, ce projet, dont la partie algérienne détient 51%, contre 49% pour la partie chinoise, portera sur l’exploitation du phosphate extrait de la mine de Bled El-Hadba à Tabessa, d’une superficie de 2.045 hectares et d’une capacité de 500 millions de tonnes (presque 22% des réserves du pays). Il portera également sur « la valorisation de cette ressource naturelle à travers la production des engrais, de l’ammoniac, du silicium et autres matières utilisées dans les différentes activités économiques », expliquait, en septembre dernier, le ministre algérien de l’Industrie et des Mines, Youcef Yousfi, à APS.

Dès son entrée en activité prévue en 2022, ce complexe industriel permettra « l’extraction de 6 millions de tonnes/an de phosphate de haute qualité de Bled El Hadba, la production de 3 millions de tonnes d’acide phosphorique à Oued Kebrit (Skikda) et la réalisation d’une unité d’accompagnement pour la récupération des rejets fluorés à partir des unités de production de l’acide phosphorique, ce qui permettra de produire 60.000 tonnes d’acide fluorhydrique anhydre (AHF) et 57.000 tonnes de dioxyde de silicium. Il portera également sur la production de 1,2 million de tonnes/an d’ammoniac et 4 millions de tonnes d’engrais », abonde Youcef Yousfi.

À travers ce projet, l’Algérie compte créer 3.000 postes de travail directs, et 14.000 postes temporaires, décupler sa production nationale de phosphate et exporter d’importantes quantités d’engrais, garantissant des revenues « de près de 2 milliards de dollars par an », a indiqué Ahmed Ouyahia.

Concurrence pour l’OCP ?

L’OCP doit-il craindre la concurrence algérienne ? De l’avis d’un haut responsable à l’Office chérifien des phosphates, préférant garder l’anonymat, la réponse est négative. « L’OCP n’a pas à craindre une concurrence algérienne, car le Maroc dispose de la plus grande réserve de phosphates au monde, mais également d’une présence effective sur tous les grands marchés mondiaux ». Même son de cloche chez un spécialiste de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS). Contacté par TelQuel, Mowafa Taib, le responsable de l’USGS dans la région MENA et analyste de l’industrie minérale confirme et étaye ce constat. « Le projet algérien, tout en étant théoriquement prometteur, ne parviendra pas à faire le poids face à l’OCP. En plus, il convient d’attendre 2022 pour évaluer la capacité de l’Algérie à concrétiser son projet et à réaliser ses objectifs ». Et d’ajouter « La véritable concurrence pour l’OCP proviendra principalement de la société minière saoudienne Ma’aden qui s’apprête à augmenter sa production en phosphate d’ammonium à 9 millions de tonnes par an ».

Selon le Rapport annuel du Groupe OCP datant de 2017, le Groupe dispose d’un portefeuille de ressources et de réserves variées et de grande qualité parmi les plus importantes au monde allant jusqu’à 50 milliards de tonnes, soit plus de 71% des réserves mondiales (contre 2,2 milliards de tonnes pour l’Algérie, ndlr). En 2017, la production de l’OCP en roche phosphatée a dépassé 32 millions de tonnes, dont un tiers destiné à l’exportation, ce qui constitue 37% de la part de marché mondial, selon les statistiques préliminaires de l’Association internationale de l’industrie des engrais (IFA). Pour ce qui est de l’Acide phosphorique, le Groupe produit 5,7 millions de tonnes annuellement, dont 1,9 million de tonnes destinées à l’exportation (47% de la part de marché mondial). Enfin, sa production d’engrais phosphatés, consacrée principalement à l’exportation, était de 8,6 millions de tonnes (22% de la part de marché mondial).

La demande du marché mondial en phosphates marocains maintient sa tendance haussière. « En 2017, la demande est restée soutenue dans les principales régions, notamment en Amérique latine et en Amérique du Nord et plus particulièrement en Afrique, où nos exportations ont augmenté de près de 50%, passant de 1,7 million de tonnes en 2016 à 2,5 millions de tonnes en 2017 », souligne Mostafa Terrab, Président directeur général du Groupe OCP, dans le même rapport.