Gare d’Ouled Ziane. L’odeur des figues de barbarie fraîchement coupées se mêle à la puanteur des pots d’échappement des autocars. Et de l’urine, aussi. Des centaines de personnes vivent là, encerclées par les grilles, le long du boulevard de la Croix. « Il ne reste plus rien. ». Dans la soirée du 18 décembre, les flammes ont emporté le peu qu’ils possédaient. Quelques tee-shirts, un passeport, une liasse de billets. « J’ai perdu tout ce que j’avais gagné, 2500 dirhams », lâche Zakaria, mécanicien d’origine guinéenne. Il pointe du doigt là où il dort, avec ses deux frères, depuis 2 ans : un petit tas de cendre. « L’incendie a commencé vers 21 heures. Puis des bonbonnes de gaz ont explosé, mais il n’y a pas de blessés », explique Camara Vassine, chef du camp depuis quelques mois. Les rumeurs d’incendie criminel, il n’y croit pas trop : « C’est un accident », affirme-t-il, le regard impérieux. C’est la troisième fois que ça arrive en moins de six mois.
Alors, il faut reconstruire, inlassablement. Sur le camp, recouvert d’un manteau cendré, les migrants scient, plantent, martèlent. En une heure à peine, les palettes — achetées 40 dirhams chacune au marché et acheminées par camionnettes, parfois à bout de bras — s’érigent en « bunkers » ; des cabanes en bois tellement serrées les unes des autres qu’on a du mal à marcher entre. À côté, une montagne de cendre, vestige de vies. Dans un coin, un petit réchaud pour cuire le riz et, parfois, le poulet. Les toilettes de la gare leur sont interdites, ils vont derrière les arbres ou sous le pont.
» Ici, c’est la souffrance »
Au milieu du camp, une dizaine d’hommes se querellent, les voix montent, les gestes se font plus agressifs. « Ils se disputent à cause des places », nous explique Capleton, Guinéen. Il a le visage d’un gamin de 17 ans, comme presque tous ici. « Chaque nationalité a sa propre zone, on ne se mélange pas. » Le camp est régi comme un petit royaume : Camara Vassine, « chef de la communauté africaine », veille sur des dizaines de présidents guinéens, maliens, camerounais. Il n’y a pas d’élections. Les présidents sont désignés pour leur force, leur maturité, leur prestance. « Moi, on m’a dit que je devais être le chef et que je ne pouvais pas refuser », explique Camara Vassine, malien. Ses mains sont couvertes de suie. Ici, pas d’immunité pour les dirigeants ; seul le privilège de pouvoir s’asseoir sur les couvertures et les matelas en mousse. Pour ce qu’il reste.
On croise un jeune homme, la vingtaine, gringalet, regard triste. Il vient de Guinée. « Il fait quoi l’État, hein ?! Personne ne nous aide. On n’est pas venu pour vivre comme des clochards. Tu vois là, c’est la souffrance. » Barry Mamadou n’y croit plus : « On a tout quitté pour le Maroc, l’Eldorado. J’ai honte que les gens voient comment on vit. » Mohammed, lui aussi guinéen, s’en remet à Dieu. « C’est juste un temps. Ça va aller, ça va aller… », se répète-t-il, comme pour y croire.