C’est une décision qui risque de soulager beaucoup de monde dans la cité du Détroit. Le tribunal administratif de Rabat s’est prononcé, mardi 5 mars, sur la pose de sabots sur les véhicules ne s’acquittant pas d’amendes. Le jugement “annule la décision administrative rendue par le conseil communal de Tanger dans le volet concernant l’immobilisation des véhicules par l’usage de sabots sur les roues afin d’empêcher les propriétaires de se déplacer en cas de non-paiement du tarif fixé”, lit-on dans l’arrêt définitif.
“C’est une grande victoire”, se réjouit Omar Benajiba, avocat au barreau de Tanger, impliqué auprès des parties civiles contre l’usage des sabots par SOMAGEC Parking, la société privée en charge des stationnements dans la ville de Tanger. “Ces derniers mois, nous avons eu des jugements pour dommages et intérêts concernant les voitures immobilisés. Mais il n’y a aucune loi qui autorise quiconque à poser un sabot, ce qui rend la pratique illégale. Même l’amende l’est, car celle-ci doit être édictée dans une loi. On espère que la SOMAGEC arrêtera de poser des sabots sur les voitures des citoyens”, nous explique l’avocat.
Les hôtels se joignent aux riverains
Voilà plusieurs mois que la ville de Tanger est le théâtre d’une rude bataille entre SOMAGEC Parking, qui assure la gestion déléguée des parkings souterrains et horodateurs dans la ville du Détroit, et les riverains qui ont multiplié les actions coup de poing contre la commune de Tanger et la société privée. Réunis dans un groupe Facebook comptant plus de 35.000 adhérents, ils s’organisent pour faire sauter les sabots enserrant les roues des véhicules.
Les riverains ont pu compter sur un soutien de poids, avec la plainte déposée le 1er octobre 2018 par l’Association de l’industrie hôtelière de Tanger (AIHT). Celle-ci regroupe 75% des hôtels tangérois, presque uniquement classés de trois à cinq étoiles. “La quasi-totalité d’entre eux est concernée par cette affaire des sabots, argumente Omar Benajiba. Ils ont rencontré beaucoup de problèmes avec SOMAGEC Parking, puisque lorsque leurs clients sortaient des établissements, ils voyaient leurs voitures condamnées pour stationnements sur la voirie”.
Une grande majorité des hôtels est concernée puisque, dans la cadre de la gestion déléguée, la SOMAGEC gère une grande partie des rues du centre-ville et du littoral tangérois. “Elle a pris le contrôle des meilleures rues et boulevards de Tanger. C’est là où sont concentrés les hôtels”, poursuit Me Benajiba.
Entrave à la mobilité
“À Tanger, nous sommes dans une situation de gestion déléguée. La commune a le droit de donner la compétence à des sociétés externes pour gérer et déléguer les stationnements”, invoque maître Saad Sahli, avocat de la commune de Tanger dans cette affaire.
Le jugement rendu le 5 mars s’appuie sur le principe de liberté de mouvement. “C’est le principal problème juridique qui a été exposé concernant la pose des sabots”, poursuit Me Saad Sahli. « Nous considérons que le jugement n’est pas contre la pose des sabots, mais plutôt contre les entraves qui empêchent la mobilité des personnes sur le territoire. Il faut alors se pencher sur les mesures qui n’empêchent pas les personnes de se déplacer”, poursuit-il.
“Le sabot prive les citoyens de son droit à la circulation. Il concerne également le droit à la propriété, puisqu’une voiture est une propriété privée. Personne n’a le droit de l’entraver sauf quand la loi le permet”, argumente maître Benajiba.
La décision du tribunal de grande instance de Rabat s’est aussi basée, entre autres, sur le rapport de la Cour des comptes publié en août dernier. Les auteurs du document jugent illégale la collecte des montants versés par les automobilistes, en guise d’amendes, pour le retrait du sabot. Déjà, en 2016, le tribunal administratif de Rabat avait émis un jugement allant dans ce sens-là, jugeant illégale la pose de sabots par une société privée dans la capitale.
“Cette question du stationnement payant est dépassée, car l’article 100 de la loi organique des communes, votée par le Parlement est claire. Le débat porte sur les mesures à prendre contre les contrevenants”, tranche Mehdi Bouhriz, directeur des opérations de la SOMAGEC.
Pour lui, trois possibilités s’offrent, mais seules “deux peuvent être appliquées” au Maroc. “Nous ne pouvons pas procéder aux amendes, car logistiquement, ce n’est pas pratique”, explique-t-il. Restent alors les sabots, qui font l’objet d’une jurisprudence, et l’usage des dépanneuses. “Ça va être à monsieur le maire (Bachir Abdellaoui, NDLR) de statuer et prendre les bonnes décisions, explique Mehdi Bouhriz. Ce qui nous intéresse, c’est que les conditions de l’appel d’offres soient respectées”.
Depuis 2015, la SOMAGEC a investi 600 millions de dirhams, dont 420 millions pour le centre-ville en fonds propres, avec un retour sur investissement planifié sur trente ans. Mehdi Bouhriz, lui, attend de la commune qu’elle puisse “compenser” une éventuelle interdiction de la pose de sabots.
Contre-offensive
La Commune de Tanger et la SOMAGEC Parking, comptent faire appel du jugement du tribunal administratif de Rabat. Pour sa part, Saad Sahli , l’avocat de la commune, explique que “la décision ne figure pas encore au dossier du tribunal. Dans ce cas, c’est seulement la pose des sabots qui a été justifiée par cette décision administrative sur une question spécifique à la ville de Tanger”.
Pour sa part, Omar Benajiba se dit satisfait du jugement, mais pas totalement. “Nous avions demandé au tribunal d’annoncer l’illégalité des sabots”, explique l’avocat de l’AIHT. Nous voulions que la gestion déléguée des voiries de Tanger par la SOMAGEC Parking soit arrêtée. Toute la gestion. Finalement, nous n’avons eu que l’annulation de la pose des sabots, pas encore l’illégalité de ces derniers”.
Le jugement du 5 mars est une première bataille remportée dans le combat que mènent les riverains depuis de nombreux mois. Mais est-elle décisive pour autant? Omar Benajiba en est convaincu. “À Tanger, nous avons eu plusieurs jugements pour dommages et intérêts concernant les voitures immobilisées”, dit-il. En cause : des automobilistes qui déplorent l’incivilité d’agents communaux et des tentatives d’intimidation de la part de la société. Des accusations rejetées par la SOMAGEC qui a contre-attaqué en poursuivant des usagers pour “dégradation de biens publics”.
“Il n’existe aucune loi qui autorise quiconque à poser un sabot rendant de fait, l’action illégale. Les amendes sont également concernées, puisqu’elles doivent être édictées dans une loi”, répète Me Benajiba, impliqué dans la défense des prévenus et membre du groupe Facebook relatif au boycott des sabots.
Pour rappel, l’un des Tangérois les plus actifs dans la campagne de boycott des sabots, Mohamed Said Bouhaja, a été arrêté pour six différentes accusations provenant de la société SOMAGEC, dont les principales sont le “vol et destruction de biens publics, acquisition d’outils destinés à ouvrir ou casser des serrures et incitation au délit”.
Depuis ? « Un autre membre interpellé, début novembre, dans un café et conduit au commissariat central, d’après une source qui suit de très près la question ». Placé en garde-à-vue, il a été poursuivi pour plusieurs chefs d’accusation, dont vol de sabot, détention d’objet tranchant et dégradation de bien d’utilité publique nous explique son avocat Omar Benajiba.
« Nous avons eu trois jugements (concernant la pose des sabots, ndlr) jusque-là », étaye Omar Benajiba. « Le premier édicté a écopé d’un mois de prison ferme, le second avait été acquitté et le dernier a eu un mois en sursis. Ces jugements ont été en première instance et on s’est pourvu en appel, donc on attend ce que va dire la Cour d’appel. Mais cette décision du tribunal administratif de Rabat va nous aider à la Cour d’appel pour les concernés ». Pour Omar Benajiba, “ces personnes (les riverains,ndlr) font des choses légales, c’est la société qui est en situation illégale. Quand on retire le sabot d’une voiture, c’est légal, car c’est ôter quelque chose qui ne l’est pas”. Autant dire que la guerre du sabot à Tanger est encore loin d’être terminée.