Le Maroc a procédé, le dimanche 10 mars, au rapatriement d’un groupe de 8 ressortissants marocains qui se trouvaient dans des zones de conflits en Syrie : décision saluée par Washington, qui, avait appelé certains pays européens, notamment le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, à rapatrier et juger leurs ressortissants faits prisonniers parmi les combattants de l’organisation État islamique (EI) en Syrie.
Toutefois, cette décision pose plusieurs problèmes et comporte de nombreux risques qui suscitent des appréhensions. Abdelhak Bassou, expert en questions sécuritaires, chercheur au Policy Center for The New South, ayant occupé plusieurs postes de haut niveau à la Direction générale de la sécurité nationale (DGSN), en dit davantage à TelQuel Arabi.
TelQuel Arabi : Après le retrait américain de Syrie et d’Irak, les États-Unis ont récemment incité plusieurs pays à rapatrier leurs ressortissants détenus par les Forces démocratiques syriennes. Le fait de les reprendre met-il fin au problème ?
Abdelhak Bassou : D’abord, le retrait américain est encore incertain. Les propos de Trump, à ce sujet, ont été publiés sur son compte Twitter. Est-ce le moyen le plus adéquat pour diffuser des décisions étatiques aussi importantes ? Celles-ci sont généralement communiquées par le biais d’une lettre officielle du président ou du ministre des Affaires étrangères. Pouvons-nous prendre au sérieux le retrait américain de la Syrie ? Est-ce que c’est un retrait immédiat ?
Je pense qu’il y a un renoncement aujourd’hui par rapport à ce retrait. Le danger posé par ces combattants existe avec ou sans la présence des États-Unis au nord-est de la Syrie. Nous parlons ici de 800 jihadistes terroristes étrangers venus des États-Unis, d’Allemagne, de la Belgique, du Canada et d’autres pays. Les États-Unis demandent à leur pays de les reprendre. Ils sont capturés par les forces démocratiques syriennes.
Plusieurs jihadistes sont connus, certains ne le sont pas. Et ce sont ceux qui posent, le plus, de véritables problèmes.
Le président américain Trump, a déclaré que si les pays concernés ne procèdent pas au rapatriement, il sera contraint de libérer les détenus, sauf que ces 800 combattants ne représentent pas tous les combattants en Syrie, il y en a des milliers, où sont les autres ?
Il y a ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine, ceux qui sont allés ailleurs, et d’autres qui oscillent entre la Syrie et l’Irak à la recherche d’un refuge. Cela signifie que le problème posé par ces jihadistes étrangers n’est pas conditionné par la présence ou le retrait des États-Unis.
Les combattants étrangers à part ceux qui sont mentionnés par le président des États-Unis sont-ils connus dans leur pays ?
Ils ont été des milliers en Syrie et en Irak et appartiennent à plus de 90 pays. Les services de renseignement peuvent avoir des noms, et certains documents ont été trouvés après la sortie de Daech de Raqqa, et ont, éventuellement, révélé les noms de quatre mille d’entre eux, mais ces noms font référence à des titres tels que « Abu Flan ». Sont-ce vraiment leurs identités ? Je pense qu’un certain nombre d’entre eux restent inconnus et que leur nombre n’est pas connu : certains d’entre eux ont peut-être été tués ou capturés, mais d’autres peuvent encore se promener.
Nous devons tenir compte de la présence de combattants inconnus, qui pourraient avoir quitté la Syrie et l’Iraq pour d’autres destinations. Sont-ils rentrés chez eux ?
Il y a beaucoup d’ambiguïté autour du sujet. Ce qui est certain, c’est que plusieurs jihadistes sont connus, certains ne le sont pas, et ce sont ceux qui posent, le plus, de véritables problèmes.
La coopération internationale visant à déterminer l’identité des jihadistes inconnus est-elle efficace ?
On ne peut pas dire qu’elle est efficace ni inefficace. Il y a un pourcentage de succès, car de nombreux services de renseignement ont été implantés en Syrie, notamment Européens, Américains, Russes, Iraniens et Turcs. Nous pouvons dire que le processus d’identification des jihadistes inconnus a atteint un certain succès, mais qu’il présente encore certaines difficultés.
Les pays qui ont rompu leurs relations avec la Syrie auront-ils du mal à identifier leurs ressortissants ?
En dépit de cette rupture, je ne pense pas que les services de renseignement de la Syrie détiennent des informations complètes.
Certes, la Syrie possède des informations. Mais, je pense que les pays qui peuvent y avoir accès sont les États-Unis, la Russie, la Turquie, Israël et l’Iran, ainsi que les pays avec lesquels ils entretiennent des relations. Si les coopérations ne sont pas purement interétatiques, il peut y avoir des coopérations entre des coalitions d’États. Par exemple, les pays faisant partie de l’alliance dirigée par les États-Unis tireront leurs informations de Washington.
Les Kurdes peuvent-ils être efficaces à ce niveau ?
Les Kurdes sont efficaces dans les opérations militaires et sur le terrain. Par contre, en termes d’information et de réglementation, ils ne peuvent avoir qu’un accès partiel.
Les informations sur les jihadistes en Syrie ne doivent pas être exclusives à un pays et pour que nous puissions disposer d’une liste complète, il faut créer une coopération internationale globale. Celle-ci connaît toujours des mésententes, notamment le fait que la communauté internationale soit en désaccord par rapport aux groupes qu’elle qualifie de “terroristes” ou de “non terroristes”. Les listes varient selon les États, ce qui fait que le risque de leur retour est encore présent.
Qu’en est-il de la coordination entre les pays du Maghreb, à titre d’exemple ?
Prenons le cas de l’Union européenne, que l’on considère comme un exemple d’intégration : la coordination entre les pays de l’UE n’existe pas, car la perception du phénomène n’est pas uniforme. Tous les pays reconnaissent que les jihadistes sont dangereux, mais leurs visions et la manière avec laquelle ils se comportent avec ces personnes ne sont pas les mêmes. La coopération existe et tout le monde la supporte, mais elle reste insuffisante, non seulement au Maghreb, mais dans tous les pays.
Ces personnes peuvent-elles être poursuivies dans leurs propres pays pour des actes qu’ils ont commis dans d’autres pays ?
Il existe plusieurs lois qui permettent ça et des résolutions internationales qui le condamnent. Les consignes du Conseil de sécurité permettent de juger ces personnes, peu importe où elles sont arrêtées.
Est-il possible, étant donnée la situation actuelle en Syrie, que ces jihadistes passent dans d’autres régions ?
Les rapports indiquent que beaucoup d’entre eux sont allés dans d’autres régions. Il y a ceux qui parlent de la Libye et ceux qui parlent des côtes libyennes. Mais il m’est difficile d’imaginer qu’un combattant parti d’Inde, des Philippines ou de la Chine rejoigne les côtes libyennes. Nous remarquons d’ailleurs qu’il n’y a pas d’Européens parmi les combattants arrêtés sur les côtes libyennes. La destination pourrait en revanche tenter les combattants d’Afrique du Nord qui peuvent, à leur tour, intégrer la bande terroriste dans cette région.
Le processus d’identification des jihadistes inconnus a atteint un certain succès, mais il présente encore certaines difficultés.
Nous constatons sur les côtes libyennes, une sorte de développement au niveau médiatique, chose qui est peut-être due à l’arrivée de certains cadres, venant de Daesh, et qui ont apporté leur expérience en termes de propagande, mais je ne pense pas qu’un grand nombre de combattants soient venus sur les côtes. La plupart d’entre eux partent en fait en Afghanistan, aux Philippines et dans les Balkans en ce qui concerne les Européens.
Qu’en est-il des jihadistes ayant une double nationalité ? Quel danger représentent-ils en cas de retour ?
Ce qui facilite justement le déplacement discret des combattants, c’est la multitude des passeports dont ils disposent. Ceux qui ont plusieurs nationalités ont plusieurs choix en termes de déplacement.
D’où provient le danger que représente ces jihadistes rapatriés ?
Le grand danger provient du fait qu’ils sont convaincus de ce qu’ils font. Il y a ceux qui rentreront juste parce qu’ils se sont lassés du jihadisme et des combats. Cette catégorie essayera de changer de vie. Cependant, il y a ceux qui croient fermement en ce qu’ils font et qui constituent un réel danger, car ils ont une conviction et une formation qui leur procure une grande expérience. En plus, ils rentreront dans leur pays, un environnement qu’ils connaissent bien. Nous l’avons vu dans le cas des cellules émergées au début des années 2000, qui se sont formées avec des rapatriés d’Afghanistan, qui sont revenus avec des convictions terroristes et avec des expériences en matière de combats.
Traduction : Meryem Bedda