Enseignants-cadres des Académies régionales: La tutelle hausse le ton

Face à la décision de la Coordination nationale des enseignants “contraints à contracter” (CNECC) de poursuivre sa grève pour une quatrième semaine consécutive, le gouvernement a levé le ton en lançant le 27 mars une procédure de révocation “pour abandon de poste”. Les explications.

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Le ministre de l'Education nationale Saaid Amzazi, lors d'une intervention au Parlement. Crédit: MAP

Le torchon brûle toujours entre les enseignants-cadres des AREF et le ministère de l’Education. Devant la décision de la Coordination nationale des enseignants “contraints à contracter” (CNECC), le département de Saaid Amzazi brandit la carte de la révocation. La décision a été prise la nuit du 26 mars par la cellule de crise mise en place par le gouvernement et présidée par Saâd Eddine El Othmani.

Lors d’un point de presse tenu ce mercredi à Rabat, auquel participait également le porte-parole du gouvernement Mustapha El Khalfi, le ministre de l’Éducation nationale Saaid Amzazi a expliqué cette décision. Il s’agit pour l’Exécutif d’une nouvelle tentative visant à convaincre les enseignants en “arrêt collectif du travail”, ainsi que les enseignants stagiaires de reprendre leurs activités après une série de manifestations débute au mois de février.

Pour le ministre de l’Éducation nationale, il s’agit bien d’un “arrêt collectif du travail”, étant donné que “la durée de la grève ne peut excéder quelques jours”. Or, “ces enseignants sont en inactivité depuis près d’un mois”. En plus, la CNECC “ne jouit d’aucune légitimité la prédisposant à convoquer une grève, ce qui nous a mis devant un cas d’atteinte au service public, ce qui va à l’encontre de l’intérêt général et du droit de l’élève à la scolarisation”, a noté le ministre, tout en mentionnant que “quelque 300.000 élèves pâtissent des absences des enseignants”.

Deux poids, deux mesures

Si la procédure de révocation est déjà enclenchée, elle ne concerne pas l’ensemble des enseignants-cadres des AREF en “arrêt du travail”. En effet, elle ne concerne que les cadres de la CNECC, ainsi que ses coordinateurs nationaux et régionaux qui “ont incité les autres enseignants à faire grève”, a annoncé Saaïd Amzazi, sans donner de précisions sur le nombre de personnes concernées ni sur les critères retenus pour leur listing.

Par ailleurs, le ministre a appelé les enseignants s’étant ralliés au mouvement à rejoindre leurs postes dans les plus brefs délais. Il a également rappelé que les AREF seront, dans le cas contraire, contraintes d’appliquer les procédures administratives en vigueur. D’ailleurs, ces dernières ont déjà enclenché une procédure d’abandon de poste à l’encontre des grévistes, conformément à l’article 113 du nouveau statut des cadres des AREF, calqué sur l’article 75 bis du Statut général de la fonction publique.

Dans ce sens, les directeurs des AREF ont déjà adressé des mises en demeure aux enseignants en question. Ces derniers “auront 48 heures pour rejoindre les classes pour ceux qui travaillent dans les zones urbaines, et 72 heures pour leurs collègues des zones rurales”, affirme Saaid Amzazi. Une fois ce délai dépassé, l’administration “procédera à la suspension de leurs salaires”. Ces enseignants disposent “d’un délai de 60 jours pour reprendre leurs postes avant que la procédure d’abandon de poste ne soit irrévocable”, explique le ministre, qui souligne que “cet arrêt de travail entraînera, quand même, une retenue sur salaire”.

Les enseignants stagiaires au niveau des Centres régionaux de l’éducation et de la formation (CREF) ne seront pas épargnés. Le ministre a indiqué que ceux “qui ont été incités par les coordinateurs à abandonner leur formation et à sortir dans la rue” seront “remplacés par les candidats de la liste d’attente”. Pour justifier cette mesure, Saaïd Amzazi s’est référé à l’engagement de formation signé par les candidats à leurs admissions aux CREF “qui stipule que toute absence dépassant cinq jours entraînera l’application de la procédure de révocation par les Académies”.

Des engagements respectés

Lors de ce point de presse, le ministre d’Éducation nationale n’a pas manqué de rappeler les efforts déployés par le Gouvernement pour mettre fin à cette crise qui remonte au 21 février. Dans ce sens, il a insisté sur l’abandon du système de recrutement par contrat. Ce mode de recrutement “a été définitivement abandonné” après l’approbation par les conseils d’administration des AREF, réunis le 13 mars en une session extraordinaire, des amendements introduits aux statuts des cadres de ces académies, et “l’abrogation de toutes les dispositions qui renvoient à la contractualisation”, a encore déclaré le ministre.

En plus, “le gouvernement a respecté ses engagements quant à l’amélioration des statuts des cadres des AREF”, note Saaid Amzazi. En somme, l’Exécutif affirme avoir introduit toutes les garanties nécessaires à la stabilité professionnelle et la sécurité d’emploi pour ces cadres, notamment celles relatives à la titularisation, tout en conservant l’ancienneté acquise à l’académie, le droit à la promotion dans l’échelle et l’échelon tout au long de leur carrière et la retraite suite à une maladie grave, en garantissant aux cadres des AREF les mêmes droits assurés pour le reste des fonctionnaires de l’État. “En conséquence, ces cadres sont dorénavant des fonctionnaires dans le cadre de la fonction publique régionale”, insiste Saaïd Amzazi.

D’autres dispositions ont été également apportées au nouveau statut des cadres des AREF, notamment sur le cas d’invalidité physique, “en appliquant aux enseignants-cadres des AREF les mêmes dispositions juridiques en vigueur pour tous les fonctionnaires des administrations publiques”, ainsi qu’en leur accordant  “le droit à la mutation au niveau régional et le droit de passer les différents concours (inspecteurs, orientation, planification, agrégation, administration pédagogique)” et “le droit d’occuper des postes de responsabilité”, fait remarquer le ministre.

Dans le même temps, les AREF ont procédé au versement des salaires aux enseignants après l’approbation des amendements introduits à leurs statuts et ont organisé l’examen de qualification professionnelle, «passé  par 3.000 parmi 11.000 enseignants de la promotion 2016, ce qui leur a permis d’être titularisés”, rapporte Saaïd Amzazi.

Une décision “infondée” et des mesures “insuffisantes”

Pour Khadija El Bakaye, membre du CNECC, la décision de la tutelle est “infondée”. L’enseignante explique que les AREF, pour enclencher la procédure d’abandon de poste, ont eu recours, dans un premier temps, à l’article 75 bis du Statut général de la fonction publique. Cependant, “ces mêmes responsables ne cessent de répéter que nous sommes des cadres des AREF, et donc, que nous ne dépendons pas dudit statut”, s’insurge la figure de la CNECC, qui rappelle que “l’intégration de ce statut est la principale revendication des enseignants”.

Après s’être rendu compte de cette “erreur”, “les directeurs des AREF ont apporté des amendements au Statut des cadres des Académies, en intégrant un article similaire à l’article 75 bis” pour “justifier cette procédure”, martèle l’enseignante, avant de poursuivre que “les académies n’ont pas informé les enseignants de cette modification de statut”, alors que ce dernier a été largement étoffé, passant de 54 à 113 articles.

En outre, les dispositions de la tutelle ne semblent pas satisfaire les représentants de la CNECC. Selon eux, “ces amendements portent sur la forme et non sur le fond du dossier”, et “omettent des droits fondamentaux dont jouissent nos collègues fonctionnaires”, s’insurge Khadija El Bakaye. Par “droits fondamentaux”, l’enseignante entend “le droit à la mobilité” et “le droit d’être géré par la Caisse marocaine des retraites (CMR)”, chargé du régime des pensions civiles.

Des droits en attente  

En vertu du nouveau statut adopté par les AREF, les enseignants-cadres des académies régionales ont uniquement la possibilité de changer d’école au sein de la région de leur recrutement. “Le recrutement est régional et se fait sur la base des besoins réels du terrain”, ainsi “la mobilité ne peut se faire en dehors de la région”, nous explique Abdelmoumen Talib, directeur de l’AREF de la région Casablanca-Settat. Du côté de la coordination des contractuels on estime que “la mobilité doit de faire au niveau du Royaume, à l’instar des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale”, regrette Khadija El Bakaye, avant de poursuivre, “pour le cas d’une femme célibataire qui doit changer de ville à cause d’un mariage, elle aura donc à faire le choix entre le projet de mariage et son travail”.

Une question épineuse qui devra être dépassée dans le cadre d’une éventuelle révision du nouveau statut des cadres des académies régionales. “Rien n’empêche que dans l’avenir nous puissions réfléchir ensemble (entre directeurs des AREF, NDLR.) pour mettre en place une procédure d’échange de postes entre académies”, confie le directeur de l’AREF, pour qui “ce statut est vivant est devrait évoluer au fil de son opérationnalisation sur le terrain”.

La question de la retraite peut, elle aussi, être résolue selon l’Exécutif.  Ainsi le porte-parole du gouvernement Mustapha El Khalfi a affirmé que  “le gouvernement, dans le cadre de la réforme des régimes de retraite, procédera à la fusion de la Caisse marocaine et le régime collectif d’allocation de retraite, ce qui ne poserait donc aucun problème en ce qui concerne la retraite de ces cadres”.

#Tous_Coordinateurs

Le bras de fer se poursuit encore entre la tutelle et la CNECC. Juste après l’annonce des mesures prises à l’encontre des cadres de la CNECC et les enseignants en formation, les membres de la coordination ont lancé le Hashtag #Tous_Coordinateurs sur les réseaux sociaux pour montrer leur cohésion. En plus, les coordinations régionales ont appelé les enseignants cadres des AREF, les enseignants stagiaires aux CREF, ainsi que les syndicats et acteurs de la société civile, à des sit-in régionaux dans plusieurs villes du Royaume, en attendant l’organisation d’une marche nationale prévue à Rabat dans les jours à venir.

Cette marche nationale sera encore plus grande que la dernière”, assure Khadija El Bakaye, qui fait allusion à la marche du dimanche 24 mars. Ce jour-là, plus de 45.000 manifestants ont investi le pourtour du ministère de l’Éducation nationale avant de se diriger vers le Parlement, en scandant des slogans contre le gouvernement tels qu’“à bas le contrat, à bas l’humiliation”, “Amzazi, dégage !” et “El Otmani arrête de prier pour nous, passe à l’action”. La veille, le 23 mars, quelques milliers d’enseignants contractuels se sont rassemblés sur le boulevard Mohammed VI, à la tombée de la nuit pour entamer un sit-in nocturne. Ce dernier a été dispersé par les forces de l’ordre à renfort de canons à eau.

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