Abderrahim El Allam, politologue: « Le double discours convient au PJD »

Professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad et spécialiste du PJD, parti qu’il a longtemps côtoyé, Abderrahim El Allam analyse pour Telquel les dessous du blocage de la loi cadre sur l’Education par les parlementaires du PJD.

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Quelques heures après la publication d’un live Facebook où l’ancien secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane, vilipende le projet de loi-cadre sur l’enseignement, qui prévoit l’introduction du français comme langue d’enseignement, les élus du PJD ont demandé le report du vote du texte par la commission de l’enseignement à la Chambre des représentants. Le 3 avril, les élus du parti de la lampe demandaient pour la troisième fois le report du vote du texte. Leur principal argument : préserver la langue officielle contre la langue du « colonisateur ». Le politologue Abderrahim El Allam, spécialiste du parti dirigé par Saad Eddine El Othmani,  revient sur les  raisons de ce blocage.

Après avoir été adopté en conseil des ministres et présenté par le chef du gouvernement au Parlement, le projet de loi-cadre sur l’Education est rejeté par le PJD, parti qui soutient officiellement le texte. Quelle lecture faites-vous de ce double jeu ?

Cela traduit les conflits existant au sein du PJD. Au sommet du parti,  il y avait consensus autour de la loi avec les autres formations. Le blocage se situe à d’autres niveaux, où s’exerce l’influence de certaines personnalités en dehors du gouvernement, notamment Abdelilah Benkirane. L’ennui pour El Othmani c’est qu’en cas d’adoption de la loi cadre, surtout après la sortie de Benkirane, le camp de Benkirane se renforcera davantage. La surenchère continuera ainsi pour faire porter à Saâdeddine El Othmani la responsabilité de l’adoption de la loi. S’il était encore à la tête du gouvernement, Benkirane aurait probablement défendu la loi en expliquant le bien-fondé de sa concession. La différence, c’est que Saâd Eddine El Othmani, contrairement à Benkirane, fait l’objet d’une résistance menée contre lui par un frange du PJD. Il faut dire que le double discours convient en ce moment au PJD, il ne lui nuit pas.

Et Benkirane se servait volontiers de ce double discours, comme le prouvent ses sorties du temps où il était chef du gouvernement. Ainsi, quand ses rapports avec le Palais ou avec les autorités étaient au beau fixe, il disait « laissez le roi tranquille. Voulez-vous que le Maroc emprunte la voie de la Syrie » mais dès que ses relations avec le cabinet royal devenaient tendues, il déclarait que « le vent du Printemps arabe est encore là ». Aujourd’hui, en gardant un pied dans le gouvernement et le deuxième dans l’opposition, tout le parti incarne ce double discours.

Le parti a-t-il encore des lignes rouges après toutes les couleuvres qu’il a avalées ? La langue arabe constitue-t-elle un sujet si sensible pour le parti de la Lampe ?

Je ne crois pas que les sujets liés à l’éducation soient véritablement une ligne rouge. La charte d’éducation nationale et de formation est le résultat d’un travail auquel ont contribué les syndicats et les partis. Benkirane siégeait d’ailleurs au de sein la commission qui a préparé la charte, où il représentait son parti. Il ne s’agit donc que de surenchères politiques. Chaque courant veut marquer des points. Comme je le disais, si Benkirane était encore à la tête du gouvernement, il aurait trouvé les arguments nécessaires en faveur de la loi controversée.

Comment d’ailleurs interpréter les sorties de plus en plus régulières d’Abdelilah Benkirane  sur Facebook ?

Benkirane est un être politique qui craint l’ombre. Du temps où il était à Al Islah wa Attajdid, il créait beaucoup de problèmes au mouvement. Et lorsqu’il a été porté à la tête du mouvement, un responsable de communication a été nommé pour éviter tout dérapage à l’organisation. Il n’a pas besoin d’être dans un poste de responsabilité pour faire entendre sa voix quand il maîtrise la polémique en jouant l’équilibriste. Aujourd’hui, conscient qu’il a été pris au piège en acceptant la pension de retraite qui lui a été accordée par le Palais, il tente de prouver qu’il ne se retirera pas. En gros : « Si on veut acheter mon silence, c’est perdu », laisse-t-il entendre.