Bombardier: MHE vend la peau de l'ours avant d'avoir signé le repreneur

Le 2 mai dernier, le constructeur canadien Bombardier, annonçait la cession de ses actifs au Maroc. Lors d'une conférence de presse le 6 mai, le ministre de l'Industrie, Moulay Hafid Elalamy explique pourquoi il y voit une opportunité.

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Moulay Hafid Elalamy © Yassine Toumi / TELQUEL

Lors d’une conférence de presse organisée en urgence à Casablanca le 6 mai, le ministre de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy est revenu sur l’annonce le 2 mai de la cession des activités d’aerostructures au Maroc du constructeur aéronautique Bombardier. Une annonce de vente qui interroge notamment sur la pérennité des emplois des 400 personnes actuellement employées par l’usine du Canadien à Casablanca. Fidèle à son bagou, le ministre préfère présenté l’annonce de Bombardier comme une “opportunité pour le marché aéronautique marocain” qui, rappelle-t-il, compte 140 équipementiers installés. Faisant mine de révéler des informations confidentielles, MHE cherchait-t-il à choyer l’opinion publique marocaine ou à convaincre Bombardier ?

Un sous-traitant pour la reprise ?

Bombardier a des soucis depuis plusieurs années. L’entreprise a lancé deux développements importants, notamment un jet et un avion d’une centaine de places. Le jet leur a coûté cher en recherche et développement et sa production a été arrêtée, quant à l’avion de taille intermédiaire, il a été cédé pour permettre à la marque de se recentrer sur son activité principale qui est l’aviation d’affaires,” explique Moulay Hafid Elalamy, en bon story-teller.

Le ministre poursuit en affirmant qu’un appel d’offres est en cours pour la reprise des deux usines qui seront cédées, celle de Belfast en Irlande du Nord et celle du Maroc. Selon lui, trois grosses entreprises seraient en piste, sans qu’aucun nom ne soit acté définitivement : le géant français Airbus, l’Américain Spirit et l’Anglais GKN . “Les résultats de l’appel d’offres devraient être rendus publics d’ici 3 semaines,” annonce-t-il.

MHE y voit une bonne nouvelle, car explique-t-il, dans le milieu de l’aéronautique, les constructeurs comme Bombardier, Airbus ou encore Boeing ont des centaines de fournisseurs qui les approvisionnent en pièces d’avions. Ces fournisseurs fourniraient un intérêt industriel et économique plus intéressant pour le Maroc que les constructeurs eux-mêmes, affirme l’adepte des écosystèmes industriels. “Les constructeurs sous-traitent la majorité de ce dont ils ont besoin pour faire leurs avions. Par la suite, ils ne font que les assembler,” explique Moulay Hafid Elalamy. En gros, mieux vaudrait pour le Maroc un sous-traitant qui fabriquerait toute une partie complexe d’un avion, qu’un simple assembleur-constructeur dans une usine à boulonner.

Je vais vous dire ce que je ne peux pas dire,” poursuit le ministre devant une trentaine de journalistes et des caméras braquées sur lui. “J’ai rencontré le président de l’aéronautique et le président de Bombardier lors de ma visite à Montréal [en avril dernier, NDLR]. Nous avons convenu d’un développement que je ne peux pas évoquer aujourd’hui. Dans cette opération, le Maroc est gagnant car il gardera ce qu’il a, puis il développera les nacelles qui sont déjà signées. Il y a un gros projet qui a été signé et qui va être réalisé entre Belfast et le Maroc concernant ce qui recouvre les réacteurs, c’est un vrai beau projet,” lâche le ministre.

J’ai lu dans la presse: ‘Bombardier quitte le Maroc’. C’est légitime, mais c’est faux. Bombardier cède ses activités à des sous-traitants de Bombardier, pour faire des pièces de Bombardier dans les usines Bombardier au Maroc. L’émotion ne fait pas partie du monde des affaires. On se dit ‘mon dieu Bombardier quitte le Maroc…’ La réponse est définitivement non. Le fer de lance du développement de Bombardier s’appelle le Maroc. Je le dis de manière claire, décodée et assurée,” martèle-t-il avec un aplomb déconcertant.

Ce que l’on comprend alors, c’est que le Maroc pourrait, au mieux, devenir une plateforme de sourcing pour Bombardier, voire, éventuellement, produire plus de pièces pour ces avions canadiens.

Départ avoué à moitié pardonné

A l’épreuve des faits, ces déclarations de Moulay Hafid Elalamy ont néanmoins, pour l’heure, tout l’air d’un damage control. Car rien n’est acté pour l’avenir de l’usine de Bombardier de Casablanca. Et c’est le groupe Bombardier qui le dit, dans son communiqué de presse du 2 mai : “Tout en progressant dans l’optimisation de son empreinte manufacturière mondiale, Bombardier poursuivra la cession de ses activités d’aérostructures de Belfast et du Maroc ”. Et de poursuivre : “Rien ne garantit qu’une cession liée aux activités de la Société à Belfast et au Maroc, ou que la transaction en cours sera réalisée ou aura lieu, à quel moment elle le sera ou si elle sera conclue avec succès, ni le montant ou l’emploi du produit en découlant, ou que les avantages prévus seront réalisés en tout ou en partie”.

Concernant l’Irlande du Nord, le constructeur canadien expliquait en outre à l’AFP: “Nous savons que cette annonce pourrait inquiéter nos employés, mais nous travaillons étroitement avec eux et nos syndicats pendant la période de transition jusqu’à l’arrivée du nouveau propriétaire”.

La diaphonie entre le ministère de l’Industrie et Bombardier était aussi visible le 6 mai à l’annexe casablancaise du ministère. Annoncé comme participant à la conférence de presse, le vice-président de Bombardier Maroc Stephen Orr était bien présent dans les locaux… mais s’est éclipsé avant le début de la conférence, sans répondre aux questions des journalistes. Interrogé sur ce point, Moulay Hafid Elalamy répond sans sourciller : “Il a du rendre des comptes, mais il faut savoir comment se passe le business à l’international. Dans ce genre de process, vous entrez sous NDA (accord de non-divulgation, ndlr). C’est la confidentialité la plus totale. C’est absolument impossible de divulguer une information.”

Quels engagements pour les emplois ?

Repreneur ou pas repreneur, qu’adviendra-t-il des emplois, pilier de la politique de relance industriel portée par le ministère depuis 2014 ? “Bombardier ne peut pas vendre l’usine du Maroc sans respecter ses engagements. C’est impossible. Maintenant que Bombardier négocie, plus cinq, moins dix, etc… ce sont aux actionnaires de parler, pas aux partenaires,” déclare le ministre de l’Industrie. Il ajoute : “quand on transfert un contrat, on le transfère avec ses responsabilités”. Ces responsabilités, en l’occurence, c’est un objectif de passer à 850 emplois à horizon 2020.

Au-delà du maintien des emplois, en cas de reprise par un sous-traitant, quid de la nouvelle nature des activités ? Les emplois seront-ils requalifiés ? Lorsque la question est posée,  il y a comme un blanc. Puis le ministre répond  – “la réponse est non, ce repreneur va apporter des qualifications supérieures” – puis refile la patate chaude à Hamid Benbrahim El Andaloussi, président de l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA) : “c’est une chance pour le Maroc d’avoir d’autres acteurs encore plus lourds sur le marché comme Spirit ou GKN qui nous permettrons de rentrer dans un marché encore plus fort technologiquement”.

Il poursuit : “Nous travaillons depuis quelques mois sur la phase 2 de l’extension de Bombardier. La récente nouvelle n’a rien changé au travail qui est en cours. Les équipes fonctionnent et notre objectif est que cette phase soit ouverte au printemps prochain. Bombardier change de propriétaire, mais c’est une chance extraordinaire pour le Maroc. Que le Maroc fasse venir Spirit, qui fait les cabines d’Airbus ou GKN qui est un acteur majeur dans le composite aérien, c’est une double chance pour nous !” explique le président de l’IMA. Sauf que, comme Moulay Hafid Elalamy a eu l’occasion de le répéter à propos de tractations dans le secteur de l’automobile : “Rien n’est joué tant que le contrat n’est pas signé”.

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