Derrière la chute d'El-Béchir au Soudan, l'influence de l'Égypte et du Golfe

L’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont suivi de très près les déroulés au Soudan, guettant une possible chute du dictateur resté 30 années au pouvoir, Omar El-Béchir. Leur objectif principal : empêcher que les islamistes soudanais prennent à nouveau le pouvoir.

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Les Soudanais devant le QG de l'armée au coeur de la capitale Khartoum, le 11 avril 2019. Crédit: AFP

L’Égypte a proposé, la veille du coup d’État au Soudan, qu’Omar El-Béchir démissionne de son poste et rallie l’Arabie saoudite. Une information révélée le 8 mai par l’agence américaine Associated Press (AP), dans un article qui retrace les évènements qui ont conduit à la destitution de l’ancien président soudanais, le 11 avril. Cette chronologie renseigne aussi sur l’activité, en coulisse, de l’Égypte, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite.

Nous leur avons conseillé d’essayer de trouver une sortie sûre pour El-Béchir”, déclare un responsable égyptien à l’agence de presse. Sentant le vent tourner et les tensions s’accroître, entre forces spéciales du régime d’un côté et armée régulière et manifestants de l’autre, les généraux redoutaient “des divisions au sein des forces armées lorsque des officiers de rang inférieur se rangent du côté des manifestants« , poursuit le responsable égyptien. Une fuite du chef d’État vers le Golfe est alors envisagée, le ministre de la Défense en est averti, mais l’offre est “catégoriquement refusée”, par le concerné, Omar el-Béchir. Le lendemain, le coup d’État de l’armée est signalé, mettant fin à trois décennies de règne. El-Béchir, d’après un responsable militaire présent à ces côtés, aurait été “choqué” et “n’a pas arrêté de crier” en apprenant la nouvelle.

Faire barrage aux islamistes

Derrière la destitution qui se prépare, AP souligne que dès les prémices du soulèvement populaire, au début de l’année 2019, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite avaient “commencé à faire appel à l’armée par des voies secrètes pour encourager le retrait au pouvoir d’El Béchir”, apprend l’agence de responsables égyptiens et soudanais. Ces trois États sont gouvernés par des “autocrates qui ont réprimé les appels au changement démocratique dans leurs propres pays”, justifie l’agence américaine. Et d’ajouter : “Ils avaient longtemps considéré El Béchir comme un problème en raison de ses liens étroits avec les islamistes, et étaient fatigués de ses loyautés changeantes et de ses relations avec leurs rivaux, la Turquie et le Qatar.” Les généraux sont alors perçus, par les trois États arabes, comme des alliés aptes à “rétablir la stabilité et de maintenir les islamistes à l’écart du pouvoir”.

Ainsi, on apprend que la principale préoccupation des trois pays est de mettre de côté les islamistes, proches des Frères musulmans, honnis par les trois pays. Les islamistes s’étaient déjà distingués en orchestrant un coup d’État militaire aux côtés d’El-Béchir en 1989, leur permettant dans un premier temps de graviter dans les échelons dirigeants du régime. Aussi, selon AP, des responsables sécuritaires de l’Égypte voisine ont apporté un soutien discret à Abdel-Fattah Burhan, militaire de carrière, l’un des rares qui n’est pas islamistes parmi les hauts gradés soudanais et qui, depuis le 13 avril, dirige le conseil militaire au pouvoir.

Les islamistes sont la principale préoccupation de l’Égypte« , a déclaré à AP, Attia Essawi. Cette experte égyptienne des affaires africaines au Centre al-Ahram du Caire ajoute que les manifestants étaient “malades et fatigués du règne islamique, et c’était dans l’intérêt de l’Égypte”.

Interférence ?

D’après des organisations de défense des droits de l’homme, la police égyptienne aurait procédé à l’arrestation d’un certain nombre d’activistes soudanais, résidents en Égypte, qu’elle a remis au pouvoir de Khartoum. Elle a également empêché la tenue de manifestation soudanaise en Égypte.

Mais tout change fin février, au moment où les manifestants soudanais défient l’interdiction des rassemblements non autorisés. D’après un responsable interrogé par AP, l’Égypte, les Émirats et l’Arabie saoudite “ont alors compris que les jours au pouvoir d’El-Béchir pourraient être comptés”. Le temps leur donnera raison. La démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril en Algérie, et la première occupation devant l’esplanade qui fait face au QG de l’armée soudanaise, le 6 avril, inquiètent le pouvoir. Le 7 avril, l’agence informe qu’une “délégation de trois militaires soudanais et des responsables du service de renseignement sont arrivés au Caire, où ils ont rencontré des hauts responsables de services de renseignements égyptiens.” Une visite pour “se rassurer”, détaille un responsable interrogé qui a participé à la réunion. Pour lui, les Soudanais ont demandé de quelle façon réagirait l’Égypte si l’armée venait à destituer El-Béchir. Autre sujet discuté, la possibilité d’une aide financière de la part des deux États du Golfe.

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Des contacts ont alors lieu avec Abdel-Fattah Burhan et le général Mohammed Hamdan Dagalo, commandant des forces de soutien rapide du Soudan. Tous deux avaient pris part, aux côtés de la coalition arabe, au déploiement au Yémen à l’initiative de l’Arabie saoudite. Les deux hommes vont refuser de disperser violemment les manifestants, allant même à leur rencontre. Au moment du coup d’État militaire, Burhan rencontrera aussi le futur dictateur déchu, lui assurant qu’il ne serait “pas extradé devant la Cour pénale internationale pour faire face à des accusations de génocide et de crimes de guerre commis pendant le conflit au Darfour au début des années 2000, et qu’il pourrait rester dans la résidence présidentielle en résidence surveillée”.

Mais AP apprend que, quelques jours après le coup d’État, “l’armée aurait brisé sa promesse envers El-Béchir, en l’envoyant dans une prison de Khartoum où ses opposants avaient déjà été emprisonnés et torturés”. Et d’ajouter qu’un “certain nombre d’autres hauts responsables ont également été arrêtés.

Aide de 3 milliards de dollars venue du Golfe

El-Béchir derrière les barreaux, un conseil militaire de transition (CMT) accède au pouvoir, mais les manifestants ne l’entendent pas de cette oreille. Les chefs de la contestation civile ont, depuis, maintes fois appelé à des actions de désobéissance. Les militaires, quant à eux, ont exigé que le système continue de s’appuyer sur la charia. “La déclaration (des chefs de la contestation) a ignoré la source de la législation et cette source doit être la charia, a affirmé le général Chamseddine Kabbachi, porte-parole du CMT. Avant d’ajouter : À notre avis, la charia et les normes et traditions de la République du Soudan doivent servir de bases à la législation”. 

Faut-il y voir l’influence des pays arabes voisins ? Depuis le coup d’État militaire, l’Égypte a réussi à faire pression sur l’Union africaine pour qu’elle ne suspende pas le Soudan. Abdel Fattah al-Sissi est de surcroit l’actuel président en exercice de l’organisation panafricaine. Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont quant à eux fourni une aide de 3 milliards de dollars pour renforcer le conseil militaire, et accueillent des groupes rebelles et d’opposition pour qu’ils discutent avec l’armée de la possibilité de rejoindre un gouvernement de transition.

Alertée, la société civile organise des marches massives dans la capitale Khartoum. Pour Ahmed Rabie, membre de l’Association des professionnels soudanais, il s’agit de message “adressé au conseil militaire, ainsi qu’aux acteurs régionaux et internationaux, que le peuple soudanais n’abandonnera pas sa revendication d’un gouvernement civil”.