Le Conseil d'État français annule une décision d'expulsion visant un ressortissant marocain

Un Marocain de 52 ans devait être expulsé du territoire français suite à une décision préfectorale prononcée le 23 janvier. Une décision invalidée par le Conseil de l'État français arguant “une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté de mener une vie familiale normale” et son “manque d'attache” à son pays d'origine.

Par

AFP

Expulsé de France à cause de son passé pénal, un ressortissant marocain vit désormais sans attaches où presque au Maroc, un pays qu’il ne connaît quasiment pas. “Il est au Maroc depuis début avril”, explique son avocat, maître Hamid Kaddouri. Ce dernier est en contact avec son client, essentiellement par l’intermédiaire de ses frères, ou de son ex-femme restés, eux, en France. “Ils me disent qu’il souffre car il vit désormais dans une région montagnarde, sans connaître les codes du pays”, poursuit-il.

Du Maroc, comme de nombreux fils d’immigrés, ce ressortissant n’en avait seulement le souvenir de périodes de vacances passés en familles. D’abord révélé par le quotidien régional Ouest-France, ce 30 mai, le cas d’Hicham (prénom d’emprunt attribué par le journal français, que nous choisissons de conserver) interpelle. Ce dernier a été expulsé du territoire français quelques mois après que le préfet de Maine-et-Loire, Bernard Gonzalez, signe un arrêté renvoyant ce Marocain âgé de 52 ans. Motif invoqué : “Sa présence [d’Hicham, ndlr] constitue une menace grave pour l’ordre public”, considérait le préfet angevin.

Ligne politique qui se durcit

La taille du casier judiciaire de l’homme retient l’attention du préfet. Hicham a “commis, entre 1985 et 2015, une cinquantaine de faits délictueux”, estimait le préfet. Parmi eux : recel, vol avec effraction en récidive, des violences volontaires, dont l’un a concerné un officier public et avec arme. Sont également invoqués l’évasion d’un établissement pénitentiaire avec violence, escroquerie ou encore trafic de stupéfiants. Une liste longue, qui comprend au total une cinquantaine de condamnation, ayant eu lieu en France, mais aussi en Espagne. C’est d’ailleurs de l’autre côté des Pyrénées qu’il commet sa dernière infraction qui lui avait valu trois ans d’emprisonnement avec interdiction d’entrée dans l’Espagne Shengen jusqu’en 2020.

Mais depuis septembre 2015, et un retour irrégulier sur le sol français, l’homme n’a commis aucun délit. Retourné auprès des siens à Angers, la ville où il avait grandi et fondé une famille, il s’y occupait depuis de ses quatre enfants, dont le dernier est âgé de 15 ans. Jusqu’à la décision préfectorale. “Il n’est pas le seul, à échelle du Maine-et-Loire, dans ce cas-là”, nous explique son avocat, relatant une “ligne politique qui se durcit un peu plus”.

D’autres sont dans ce cas, mais son client est un “cas un peu particulier”, poursuit l’avocat, tant toute sa famille réside en France. Issu d’une “famille nombreuse” composé de onze frères et soeurs, lui est né au Maroc mais est arrivé à l’âge d’un an en France. Il n’a pas la nationalité française et voyait ses titres de séjours constamment renouvelé jusqu’au refus de la préfecture concernant sa dernière démarche. Le 4 décembre 2018, une commission d’expulsion est réunie sur le cas d’Hicham. Ses parents et sa fratrie, eux, vivent toujours en France.

Atteinte grave à la liberté de mener une vie familiale

Cinq jours après la décision du préfet, le 28 janvier, la demande est jugé en référé au Tribunal administratif de Nantes. Le tribunal juge ainsi la demande du préfet hors de toute “illégalité manifestes”, insistant sur le “caractère répété des faits grave de délinquance” commis par Hicham. “Il ne ressort pas des pièces du dossier que la légalité externe de l’arrêté du 23 janvier 2019 serait manifestement entachée d’une insuffisance de motivation ou d’un vice de procédure”, note le juge des référés.

La légalité de la demande du juge du Maine-et-Loire âgé de 61 ans et nommé à Nice, dans les Alpes Maritimes, le 24 avril, est pourtant contestée par le Conseil d’Etat. Le 15 mai, la plus haute des juridictions de l’ordre administratif décide d’annuler l’ordonnance. “La décision préfectorale d’expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté de mener une vie familiale normale”, mentionne le Conseil de l’État.

Pour la juridiction, les infractions graves commises sont antérieurs, remontant aux années 1989-1991 pour les unes et à 2007 et 2013 en matière de trafic de drogue et de stupéfiants. Elles sont “donc anciennes”, mentionne l’ordonnance. Et d’ajouter : “Le ministre de l’Intérieur n’est, en l’absence de nouveaux faits depuis 2015, pas fondé à invoquer leur gravité et leur caractère répété pour soutenir que la condition d’urgence n’est pas, en l’espèce, remplie.”

Par ailleurs, le Conseil de l’État a retenu également la situation familiale d’Hicham. Le fait qu’il soit arrivé en France à l’âge de un an, se soit marié dans les années quatre-vingt-dix à une Française avec qui il eu tous enfants, tous devenus majeurs, sont des points mentionnés. Mais c’est concernant son quatrième enfant, issu d’un autre mariage, qui retient l’attention du Conseil d’État : “Diverses pièces produites au dossier par l’intéressé attestent de ce que, depuis son retour en France en septembre 2015, il contribue effectivement à son entretien et à son éducation.”

Une vie en suspens

La situation familiale mise en balance avec les condamnations, les liens familiaux sont mentionnés comme plus important et ne pouvant justifier une expulsion du territoire. La décision a été prise d’annuler l’ordonnance du Tribunal administratif de Nantes et l’arrêté du préfet de Maine-et-Loire s’est vue suspendue. De plus, l’État devra verser la somme de 1500 euros au titre des frais exposés, comme le prévoit les dispositions de 1’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’avocat, lui, tient à saluer une “décision qui permet de préserver l’État de droit”. “Le Conseil d’Etat a considéré que la mesure d’expulsion constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie. Il a fallu un peu de courage et je le salue vraiment”, explique Hamid Kaddouri.

Si “la préfecture prend acte de cette décision”, comme en informe Ouest-France, le retour du quinquagénaire marocain n’est pour autant pas acté. Du moins, pas avant mars 2020 pour l’instant. La faute à une condamnation à une peine d’emprisonnement de trois ans d’emprisonnement, quatre mois et trois jours qu’Hicham a écopé en Espagne en 2013. En 2015, les autorités espagnoles avaient, déjà, prononcé son expulsion vers le Maroc, assortie d’une interdiction de retour sur le territoire Schengen de cinq ans jusqu’au 31 mars 2020.Un nouveau combat pour l’avocat, qui réfléchit aux alternatives pour précipiter le retour du quinquagénaire marocaine en France, Parmi elle, la possibilité de saisir un tribunal européen. Quant à Hicham, “sa vie est en suspens”. “Il ne parle pas l’arabe et ne fait rien, explique l’avocat. Avant de conclure : “Pour l’instant, il attend que le problème soit réglé tant sa famille lui manque”.