Boris Johnson a annoncé mercredi qu’il allait suspendre le Parlement à partir de la deuxième semaine de septembre et jusqu’au 14 octobre, disant vouloir présenter une nouvelle politique « ambitieuse » pour le Royaume-Uni. Mais l’opposition y voit une manœuvre pour empêcher les députés de bloquer un Brexit dur, que le gouvernement s’est dit prêt à mettre en oeuvre s’il ne trouve pas de compromis avec Bruxelles sur les conditions de la sortie de l’UE le 31 octobre.
« Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire moderne où la suspension a été utilisée de cette façon« , a dénoncé Gina Miller, une femme d’affaires et militante anti-Brexit qui a engagé un recours devant la justice anglaise. « Elle est manifestement utilisée (…) pour empêcher le Parlement de légiférer contre une absence d’accord« , a-t-elle ajouté sur la BBC. Mme Miller avait déjà gagné en 2017 une bataille juridique pour forcer le gouvernement, alors dirigé par Theresa May, à consulter le Parlement sur le processus de retrait.
Un groupe d’environ 75 parlementaires pro-UE a de son côté demandé à la plus haute instance civile d’Ecosse d’être entendu en urgence dans l’attente d’une audience sur le fond le 6 septembre.
Il est courant que le Parlement britannique ne siège pas pendant quelques semaines en septembre, lors des congrès annuels des partis. Il n’est pas non plus inhabituel qu’un nouveau Premier ministre suspende brièvement la session parlementaire en cours pour présenter ensuite un nouveau programme.
« Le Parlement n’allait de toute façon pas siéger pour la plus grande partie de cette période. C’est totalement constitutionnel et approprié », a défendu Jacob Rees-Mogg, l’eurosceptique ministre chargé des Relations avec le Parlement. « Je pense que cette indignation est bidon et créée par des gens qui ne veulent pas que nous quittions l’Union européenne » malgré le référendum de juin 2016 s’étant prononcé à 52% pour le Brexit, a-t-il ajouté sur la BBC.
Des milliers de personnes ont manifesté mercredi soir à Londres, Manchester, Edimbourg et d’autres grandes villes. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le Parlement en scandant « Arrêtez le coup d’Etat » et en brandissant le drapeau européen, puis à Downing Street où est installé le Premier ministre. D’autres rassemblements sont prévus durant le week-end.
Sur le site officiel petition.parliament.uk, une pétition contre la décision, qualifiée par les opposants de « coup d’Etat », dépassait jeudi matin les 1,3 million de signatures. Au Royaume-Uni, toute pétition atteignant 100.000 signatures peut déclencher l’ouverture d’un débat parlementaire.
Pour Barry Gardiner, député chargé des questions de commerce international pour le Parti travailliste, « Downing Street ment » en disant vouloir mettre en avant son programme. Il a indiqué que les députés demanderaient un débat d’urgence pour tenter de lancer une législation contrant un « no deal », un scénario qui fait craindre des pénuries et le rétablissement de droits de douane.
Plusieurs titres de la presse quotidienne britannique jouaient jeudi sur les mots « prorogation » (suspension) et « rogue state » (état voyou), relayant les indignations de responsables politiques, notamment le président de la Chambre basse John Bercow, qui a dénoncé un « scandale constitutionnel« .
« C’est un scandale et une menace pour notre démocratie« , avait aussi réagi mercredi Jeremy Corbyn, le chef du Labour, principal parti d’opposition. Il espère obtenir le soutien des députés pour déposer une motion de censure contre le gouvernement. Si une telle motion passe, les députés auront jusqu’à 14 jours pour parvenir à former un gouvernement alternatif. Boris Johnson pourrait alors soit accepter de démissionner, soit convoquer des élections législatives, un scénario de plus en plus souvent évoqué.
La livre sterling s’était stabilisée jeudi matin après avoir accusé le coup la veille. Dans les rangs conservateurs modérés également, la suspension a créé l’émoi. L’ex-ministre des Finances Philip Hammond, opposé à un « no deal », l’a qualifiée de « scandale constitutionnel« . Et selon plusieurs médias, la populaire cheffe du parti conservateur écossais, Ruth Davidson, devrait démissionner jeudi.
La date du retour a été choisie le 14 octobre pour que le Parlement siège avant le Conseil européen des 17 et 18 octobre et puisse, en cas d’un nouvel accord avec l’UE, adopter la loi nécessaire à sa ratification avant le 31 octobre, date du Brexit, selon un communiqué gouvernemental.