Pédocriminalité : l’ambassade du Koweït au Maroc se dédouane de la fuite de son ressortissant

Dans une interview accordée au journal Akhbar Al Yaoum, l’ambassadeur du Koweït au Maroc répond aux accusations d’entrave à la justice et d’intervention dans la fuite de l’un de ses ressortissants, accusé d’avoir violé une fille de quatorze ans.

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Abdellatif Ali Al Haya, ambassadeur du Koweït au Maroc. Crédit: Capture d'écran/Al Yaoum 24

Abdellatif Ali Al Haya, ambassadeur du Koweït au Maroc, est catégorique dans l’entretien accordé à nos confrères d’Akhbar Al Yaoumparu ce lundi 24 février. Pour le diplomate, l’ambassade n’est intervenue à aucun moment auprès de la justice marocaine pour libérer son ressortissant accusé de viol sur mineure. L’ambassadeur nie également avoir contribué à la fuite du mis en cause hors du territoire national.

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Pour rappel, le scandale avait éclaté en janvier dernier, suite à la libération provisoire sous caution d’un Koweïtien âgé de 24 ans accusé d’avoir violé une adolescente de 14 ans contre la somme de 3.600 dirhams. Celui-ci a pu quitter le territoire début février, après avoir obtenu la liberté provisoire contre une caution de 30.000 dirhams.

Entretien avec le ministre de la Justice

Pour Abdellatif Ali Al Haya, l’indépendance et l’intégrité de la justice marocaine sont irréprochables. Interpellé sur une quelconque intervention de l’ambassade en vue de libérer son ressortissant, il rappelle qu’après l’arrestation du Koweïtien âgé de 24 ans pour “pédophilie” et “atteinte à la pudeur”, l’ambassade n’était pas intervenue par respect de l’indépendance du parquet. Elle a laissé “les choses prendre leur cours, comme le dispose le droit marocain”, affirme-t-il.

“Il n’était pas raisonnable de garder le jeune homme en détention provisoire pendant 54 jours sans qu’il soit jugé”

Abdellatif Ali Al Haya

Mais la durée de la détention provisoire (54 jours) avait l’air de se prolonger indéfiniment, le ressortissant koweïtien étant la cible de chantages, à en croire l’ambassadeur. Ce dernier reconnaît avoir pris dès lors l’initiative de contacter les autorités compétentes.

Si l’ambassade n’a pas fourni de document de voyage à l’accusé, cela ne l’a pas empêchée de solliciter le ministre de la Justice, Mohamed Benabdelkader. En marge d’une visite protocolaire de l’ambassade koweïtienne au ministre, Abdellatif Ali Al Haya dévoile qu’il s’est entretenu avec ce dernier afin de “faire avancer la procédure, car il n’était pas raisonnable de garder le jeune homme en détention provisoire pendant 54 jours sans qu’il soit jugé”.

Le diplomate justifie cet entretien par la détresse de la famille du prévenu, qui était sollicitée, dit-il, par des courtiers souhaitant lui soutirer de l’argent.

Une erreur administrative ?

Abdellatif Ali Al Haya juge donc qu’il y a quelque chose de foncièrement injuste dans la durée de la détention provisoire du ressortissant koweïtien. Pour lui, ce dernier aurait pu être poursuivi en état de liberté, privé de quitter le territoire avec confiscation de son passeport et assignation à résidence, afin de garantir qu’il se présente au tribunal.

“Nous avons promis de ne pas lui fournir de document de voyage ou de passeport en cas de confiscation de ses papiers”

Abdellatif Ali Al Haya

Dans le même entretien, on apprend que la représentation diplomatique du Koweït a fourni une lettre au tribunal, faisant office de garantie. D’après le document, l’ambassade s’engageait à ne contribuer sous aucune circonstance à la fuite du prévenu du territoire national. “Nous avons promis de ne pas lui fournir de document de voyage ou de passeport en cas de confiscation de ses papiers. C’est un engagement que nous avons tenu.

Le diplomate s’interroge ainsi sur la raison qui a poussé les autorités marocaines à laisser au prévenu son passeport et la capacité de circuler librement à travers les frontières. Il déclare ignorer la nature de la procédure derrière ce fait et se demande s’il ne s’agit pas d’une erreur administrative.

Coopération judiciaire

Abdellatif Ali Al Haya rappelle que le Maroc a signé une convention de coopération judiciaire avec le Koweït en 2008. “Si Interpol délivre un mandat d’arrêt international à l’encontre de notre ressortissant, nous allons l’extrader vers le Maroc. Ce qui démontre encore une fois que nous n’avons aucun bénéfice à tirer de le faire fuir, vu que de toutes les manières, nous sommes engagés à coopérer avec le Maroc sur le plan judiciaire.

“Mais jusqu’à maintenant, on ne sait toujours pas s’il est coupable ou pas. J’attends la décision de la justice”

Abdellatif Ali Al Haya

Mais jusqu’à maintenant, on ne sait toujours pas s’il est coupable ou pas. J’attends la décision de la justice. À ce moment-là, si on prend sa défense, vous (journalistes, ndlr) serez habilités à fustiger le Koweït et son ambassade. Sauf que nous avons été jugés dès le début de cette affaire”, regrette le diplomate.

Dans la foulée, l’ambassadeur a également déploré le traitement médiatique réservé à l’affaire. Pour lui, plusieurs supports de presse n’ont pas tari la représentation diplomatique de reproches, alors qu’ils n’avaient même pas pris le temps de le contacter pour qu’il livre sa version des faits.

Abdellatif Ali Al Haya considère que les liens qui unissent le Koweït et le Maroc, qui datent de bien avant l’indépendance du royaume, demeurent indéfectibles. Pour lui, cette affaire constitue “un sujet chaud d’actualité urgente”, et les relations marocco-koweïtiennes ne peuvent être altérées par des faits d’actualité.

Chantage et injustice

En citant des sources militantes et médiatiques, l’ambassadeur soutient que la mère de la victime se serait arrangée avec les parents du mis en cause en vue d’obtenir une compensation financière. Un troc qu’il qualifie de chantage, car, dit-il, “abandonner quelque chose contre de l’argent, c’est subir du chantage”.

Le diplomate avance également que l’abandon des poursuites aurait été négocié contre une promesse de mariage, afin de “sauver l’honneur de la victime”, avant de reconnaître qu’il “ne sait pas réellement ce qu’il en est”, vu que “le jeune homme âgé de 24 ans a fait face seul à son destin” et que l’ambassade n’a assisté ni à l’enquête ni au procès.