Inde : violences meurtrières entre hindous et musulmans à New Delhi

L’Inde est ébranlée par les violences intercommunautaires entre hindous et musulmans, qui ont fait 33 morts le 27 février à New Delhi, dans un contexte de polarisation croissante du géant d’Asie du Sud gouverné par les nationalistes hindous du Premier ministre Narendra Modi.

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Une école détruite par un incendie pendant des violences intercommunautaires, le 26 février 2020 à New Delhi. Crédit: Sajjad Hussain/AFP

Des émeutiers armés de pierres, de sabres et parfois de pistolets semaient le chaos et la terreur depuis dimanche 23 février dans des faubourgs populaires du nord-est de la capitale, à une dizaine de kilomètres du centre. Les autorités ont déployé en nombre des policiers et paramilitaires en lourdes tenues antiémeute.

À l’origine des affrontements communautaires entre hindous et musulmans, une loi controversée qui facilite l’attribution de la citoyenneté indienne à des réfugiés, à condition qu’ils ne soient pas musulmans.

La rue, théâtre des violences

Sunil Kumar, directeur du principal hôpital de la zone, a indiqué à l’AFP avoir recensé 30 morts dans son établissement. Un autre hôpital a, lui, fait état de trois décès en lien avec ces affrontements. Plus de 200 personnes ont aussi été blessées, beaucoup par balles. Cette flambée de violences intercommunautaires, pour laquelle la police a interpellé 100 personnes, est la pire à frapper la capitale depuis les massacres de Sikhs en 1984 en représailles à l’assassinat d’Indira Gandhi.

Des groupes armés hindous s’en sont pris à des lieux et à des personnes identifiés comme musulmans

Selon une liste de personnes décédées dans le principal hôpital, que l’AFP a consultée, les victimes semblaient à peu près autant hindoues que musulmanes, à en juger d’après leur nom. Lors de multiples incidents, des groupes armés hindous s’en sont pris à des lieux et à des personnes identifiés comme musulmans, au cri du slogan religieux “Jai Shri Ram” (Loué soit le dieu Ram).

Défiance persistante

Plusieurs mosquées ont été brûlées dans la zone. Un drapeau hindou, représentant le dieu-singe Hanuman, a été hissé sur le minaret d’une mosquée mise à sac. “Je m’inquiète des informations faisant état d’inaction de la police devant les attaques contre les musulmans par d’autres groupes”, a déclaré jeudi Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme.

Les violences ont éclaté lorsque des groupes hindous se sont opposés à une manifestation de musulmans contre la loi sur la citoyenneté

Sur place, jeudi 27 février, la tension restait prégnante et la méfiance régnait. Une équipe de l’AFP a fait face à des réactions extrêmement hostiles de la part d’habitants. Dans le quartier d’Ashok Nagar, principalement composé d’hindous, les émeutiers ont incendié les maisons des familles musulmanes.

Personne (des autorités, ndlr) n’est venu nous aider. Ce sont nos voisins hindous qui nous ont aidés. Ils nous ont assistés pour arroser le feu. Ils ont apporté des seaux d’eau. Ils nous préparent du thé. Ils nous demandent sans cesse si nous avons besoin de quelque chose”, témoigne Bilkis, une mère de sept enfants dont le domicile a été en grande partie endommagé.

Un marché de pièces détachées incendié pendant les violences à New Delhi.Crédit: Prakash Singh/AFP

Les violences ont éclaté dimanche 23 février au soir, lorsque des groupes hindous se sont opposés à une manifestation de musulmans contre la loi sur la citoyenneté. Cette législation, jugée discriminatoire pour les musulmans par ses détracteurs, est à l’origine du vaste mouvement de contestation qui secoue l’Inde depuis décembre.

La loi controversée a cristallisé les craintes de la minorité musulmane — 200 millions du 1,3 milliard d’Indiens — d’être reléguée au rang de citoyens de seconde classe, dans cette nation où les hindous représentent 80 % de la population, et sujette à une crispation politico-religieuse ces dernières années.

Le clivage se creuse

Les détracteurs de Narendra Modi l’accusent de vouloir transformer l’Inde laïque en un pays purement hindou. Le chef du gouvernement indien, au pouvoir depuis 2014 et largement réélu l’année dernière, a appelé mercredi 26 février ses concitoyens à “la paix et la fraternité”. Ses adversaires politiques pointent toutefois du doigt les discours incendiaires tenus par des responsables de son parti, notamment lors de la campagne pour des élections locales à Delhi au début de l’année.

“Il ne fait aucun doute que l’État aurait pu stopper la violence plus rapidement s’il l’avait voulu”

Pratap Bhanu Mehta

Des représentants du Bharatiya Janata Party (BJP), avaient assimilé les manifestants contre la loi sur la citoyenneté à des “jihadistes”, certains appelant même à les incarcérer ou à les abattre. Le 26 février, un juge de la Haute Cour de Delhi a violemment critiqué la police et l’a appelée à enquêter sur les responsables du BJP accusés d’attiser la haine. Le juge a été assigné dans la nuit au tribunal d’un autre État, déclenchant une virulente polémique. Le ministre de la Justice a évoqué un simple “transfert de routine”.

Les émeutes de Delhi “étaient en germe depuis longtemps”, a estimé l’éminent intellectuel Pratap Bhanu Mehta dans une tribune publiée jeudi 27 février par le quotidien Indian Express. “Il ne fait aucun doute que l’État aurait pu stopper la violence plus rapidement s’il l’avait voulu”, a-t-il affirmé, s’inquiétant que ces événements soient “un prélude à un possible pogrom, ou au moins une ghettoïsation” des musulmans en Inde.