Mort de Javier Pérez de Cuéllar, l’homme derrière les premières négociations au Sahara

À la tête de l’ONU de 1982 à 1991 et salué pour avoir contribué à régler plusieurs conflits, le diplomate péruvien Javier Pérez de Cuéllar s’est éteint le 4 mars à l’âge de 100 ans, laissant derrière lui une grande empreinte. Une implication également visible dans le dossier du Sahara.

Par

L’ex-secrétaire général, décédé à 100 ans, a marqué l’histoire des Nations unies. Crédit: AFP

Il était l’un de ceux à avoir donné autant au multilatéralisme qu’à la diplomatie, avec tout ce qu’elle suggère de médiation et de compromis. Le 4 mars à Lima, le diplomate péruvien Javier Pérez de Cuéllar s’est éteint à l’âge de 100 ans.

Mon papa est décédé après une semaine compliquée, il est décédé à 8 heures 09 du soir et repose en paix”, a déclaré son fils, Francisco Pérez de Cuéllar, à la radio péruvienne RPP.

Figure du siècle

Deux jours plus tard, sa dépouille recevait les honneurs et dernières salutations émues au palais Torre Tagle, le siège péruvien du ministère des Affaires étrangères. Javier Pérez de Cuéllar, “pacifiste par nature et par vocation”, comme il était souvent décrit, est devenu l’une des figures les plus respectées des Nations unies.

Les dix années qu’il a passées à la tête de l’ONU, de 1982 à 1991, comme cinquième secrétaire général de l’instance, ont mis en avant une volonté infaillible de pacifisme, avec un prisme particulier pour l’obtention de cessez-le-feu des conflits qui ont marqué la fin du précédent millénaire.

M. Pérez de Cuéllar a joué un rôle crucial dans bon nombre de succès diplomatiques, notamment l’indépendance de la Namibie, la fin de la guerre Iran-Irak, la libération des otages détenus au Liban, les accords de paix au Cambodge et, dans les derniers jours de son mandat, un accord de paix historique au Salvador”, a loué l’actuel secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, sur le site de l’ONU.

Et de saluer l’homme, désormais passé à la postérité : “Sa vie s’étend non seulement sur un siècle, mais aussi sur toute l’histoire des Nations unies”, avait ajouté le Portugais.

Plan de paix 1.0

Un concert de louanges qui a également trouvé écho au Maroc. Dans un message de condoléances adressé aux proches du défunt et relayé par la MAP, le roi Mohammed VI a salué les mérites d’une “personnalité politique chevronnée”. Un homme qui, d’après le souverain marocain, “a mis ses hautes compétences au service de son pays et au service du soutien des questions de paix et de sécurité de par le monde”.

Parmi les dossiers de fin de Guerre froide qu’avait à gérer le Péruvien durant son mandat, figurait bien évidemment celui du Sahara. En 1985, l’assemblée générale des Nations unies charge le secrétaire général, Javier Pérez de Cuéllar, d’organiser des négociations entre le Maroc et le Polisario. Dans la foulée, des pourparlers indirects se tiendront à New York entre les deux parties prenantes, en vain. Réputé pour son calme et son pragmatisme, Javier Pérez de Cuéllar en aurait été agacé.

Ce n’est que trois ans plus tard, en août 1988, que Javier Pérez de Cuéllar propose un plan de paix, en guise de “compromis” qui pouvait être accepté par les deux parties, Maroc et Front Polisario. Préparé pendant de longs mois, avec l’appui des instances dirigeantes de l’Union africaine dont le Maroc s’était retiré quatre ans plus tôt, le texte couvrait l’ensemble des problèmes que pourrait poser l’organisation d’un référendum. Avec pour question : “Souhaitez-vous l’indépendance ou l’intégration au Maroc ?”

Le plan de l’ONU proposait également que le recensement effectué par les autorités coloniales espagnoles, en 1974, serve de base à l’élaboration des listes électorales définitives, après avoir été “rafraîchi” par des enquêtes de terrain menées sur place “de manière impartiale”. Une solution en vogue pour Rabat alors, le Polisario s’y étant longtemps opposé avant de s’y contraindre. Ce plan rejetait également l’idée, qui circulait pendant un temps, d’associer le Sahara au royaume sous forme de fédération.

Crispations

Signé le 30 août 1988, l’accord sur le plan de paix de l’ONU pour l’autodétermination du territoire tardera à se réaliser. Les relations iront jusqu’à se crisper davantage, au point où le secrétaire général lancera un appel, depuis Genève en août 1991, pour que les deux parties évitent “d’aggraver les choses”.

La situation risque de se dégrader à moins qu’il n’y ait une action immédiate, déterminée et constructive en pleine coopération avec les parties”, calmait alors Javier Pérez de Cuéllar, demandant au gouvernement marocain et à l’organisation indépendantiste sahraouie de respecter leurs engagements” à l’égard du plan de paix de l’ONU, prévoyant un référendum d’autodétermination pour début 1992.

Le 29 avril 1991, la Minurso (Mission des Nations-unies pour le Sahara) est alors créée avec un budget de près de 1.200 millions de francs pour l’opération référendaire. Sur le terrain était alors attendu le déploiement, après le cessez-le-feu de septembre 1991, de quelque 2.700 fonctionnaires internationaux et 1.700 observateurs militaires. Longtemps, la question des électeurs à l’autodétermination gèlera le processus.

Le référendum prévu dans les six mois après le cessez-le-feu sera sans cesse repoussé, les deux parties n’ayant jamais pu se mettre d’accord sur les modalités du scrutin ni sur les critères d’identification des électeurs. Pour le Front Polisario, le document de base est le dernier recensement effectué par les Espagnols en 1974 (près de 75.000 Sahraouis), tandis que le Maroc entendait, à ce moment, y ajouter plus de 100.000 personnes installées depuis le conflit dans le Sahara occidental.

“Malentendu”

Le Sahara restera l’un des dossiers où Javier Pérez de Cuéllar n’obtiendra pas de grande garantie de succès. D’autant qu’en 1993, le diplomate péruvien se voit contraint de quitter le conseil d’administration d’une société française de négoce, Optorg. Celle-ci avait été rachetée à 50,28 % par l’Omnium nord-africain (ONA) en janvier 1993, créant un véritable quiproquo.

Dans la foulée du rachat, Javier Pérez de Cuéllar était nommé vice-président de la société ; le président étant l’essayiste et ancien administrateur délégué de l’ONA, Robert Asseraf. Le Front Polisario avait alors dénoncé la nomination de Javier Pérez de Cuéllar, la qualifiant de “récompense pour services rendus” de la part de Rabat.

Une pression qui a contraint le Péruvien à se retirer. Président de l’ONA alors, Fouad Filali parlera d’un “malentendu”, indiquant alors à l’AFP que Javier Pérez de Cuéllar “n’a pas réalisé quelle était l’étendue de son implication dans le conseil d’administration de Optorg”.