Dans l’histoire de la mode, on peut compter de nombreuses périodes clés où l’amour a été une source d’inspiration. Le romantisme, la poésie, la passion sont de vraies inspirations pour les couturiers, et ce depuis toujours. Rose Bertin, peut-être l’unique personne jusqu’à nos jours à avoir joui du titre de “ministre des Modes” (de Marie-Antoinette), vendait ses créations rue Saint-Honoré, à Paris, avec l’argument suivant: “J’appelle cette coiffure un pouf (qui est à l’origine une pièce de tissu accrochée à l’arrière de la robe) à cause de la confusion d’objets qu’elle peut contenir, et je le nomme “au sentiment” parce que ces objets doivent être relatifs à ce qu’on aime le plus”.
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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine Icônes n°1 de février – mars 2015.
Et si pour la persuader d’acheter, il était bon de prendre la cliente par les sentiments ? En voilà une idée. Plus proche de nous, en pleine époque 70’s, décennie de l’audace, de l’extravagance et des révolutions vestimentaires et sexuelles, la femme se libère, ose et se défait des carcans qui hier encore étouffaient sa silhouette. Motifs psychédéliques, vinyle, sequins géants… sa garde-robe change et s’entiche peu à peu de certaines pièces phares du vestiaire masculin comme le jean de cow-boy ou le pantalon pattes d’éph’ évidemment brodé du mantra de l’époque “Peace & Love”.
L’engouement est tel que les ventes de jeans, entre 1970 et 1975, augmentent de 300 %. Dans la foulée, la femme ainsi émancipée tombe raide dingue devant les bottes de motard, le blouson en cuir et même les “baskets de mecs” ; souvenons-nous de l’engouement pour les fameuses Nike Cortez créées en 1972 par exemple. C’est également à cette période que démarre son idylle avec le célèbre smoking qu’Yves Saint Laurent imagine pour elle en 1966. Plus tard, on franchira un pas de plus dans le mélange des genres, la confusion des sentiments, quitte à adopter la “chemise de son mec” au saut du lit ou l’un de ses jeans larges rebaptisés entre-temps “boyfriend”.
Une pure histoire de cœurs
À mesure que les années passent, les clins d’œil que la mode lance à l’amour sont de plus en plus concrets et parfois très immédiats. Imprimé, cousu, collé, sur une robe, un sac, une paire de souliers ou même une vitrine de boutique, les petits cœurs deviennent un nouveau motif de prédilection pour les créateurs. “Cage à cœurs” (Moschino), escarpins en pvc rehaussé d’un “heart” (Vivienne Westwood), cœur XXL au beau milieu d’un cabas (Valentino)… le symbole de la passion s’appose désormais à peu près sur tout, quand il ne devient pas le “logo officiel”, comme c’est désormais le cas pour la marque japonaise Comme des Garçons.
Petit à petit, le marketing s’empare du filon et fait du duo amoureux un nouveau motif de communication : Gap et ses couples métissés (campagne Make Love en 2013), et la marque de prêt-à-porter The Kooples surtout, qui met en scène de vrais couples dans ses campagnes de pub. À chaque fois, un homme et une femme, en parfaite symbiose esthétique et qui partagent tout ou presque, à commencer par le sens du style. Une vie à deux et (quasiment) un vestiaire pour deux.
Avec ou sans toi…
Pour Karl Lagerfeld, la mode était ainsi semblable à “un océan ou à l’amour […] elle va et vient comme une vague”. C’est qu’il y a du je-t’aime-moi-non-plus dans cet univers : les tendances passent en moins de temps qu’il ne faut pour enfiler son cuir Balmain, de grandes maisons sombrent dans l’oubli avant de redevenir les chouchoutes des rédactrices en moins de temps qu’il ne faut pour retirer le même cuir Balmain et des designers sont débarqués du jour au lendemain comme on se débarrasse d’un amant encombrant : Yves Saint Laurent chez Dior dans les années 60 ou Frida Giannini chez Gucci en 2014.
Cependant, il n’y a pas que des ruptures amères dans cette industrie sans pitié, l’amour a aidé à faire naître certaines des plus grandes maisons d’aujourd’hui. Yves Saint Laurent notamment, qui a trouvé en Pierre Bergé l’aide, le soutien moral et la force de combattre qu’il n’avait pas. L’homme d’affaires et mécène aide le couturier à monter sa maison de couture en lui trouvant les fonds nécessaires après son départ de chez Christian Dior.
Idem pour Domenico Dolce et Stefano Gabbana qui, malgré leur rupture (sentimentale) en 2005, sont incapables de se séparer (professionnellement). Le duo qu’ils forment en effet depuis 1985 a traversé bien des tempêtes mais l’admiration qu’ils ont l’un pour l’autre n’a, elle, jamais failli. Quand le Harper’s Bazaar interroge Stefano Gabbana (à l’occasion des 30 ans de la maison cette année) sur le secret d’une collaboration qui dure, il répond “le respect”, puis rectifie, “beaucoup d’amour et du respect”. Domenico Dolce, lui, ajoute “qu’ils ne sont jamais d’accord sur rien, mais que leurs plus belles idées sont nées de leurs plus grands désaccords”. En résumé, la création à deux fonctionne aussi bien que les plus belles histoires d’amour, à coups de compromis, de communication et surtout de patience…
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous…
Autre tandem fashion, celui formé par le couturier et sa muse. Quand Audrey Hepburn quitte le cinéma pour se consacrer à sa famille, Hollywood, désemparé, se tourne vers Hubert de Givenchy, persuadé qu’il aura une idée brillante pour la remplacer. Outré, il répond : “C’est impossible ! Ce qu’il y a entre nous ne peut pas se résumer à une recette. C’était beaucoup plus compliqué…”. Pourtant, entre le couturier et l’actrice, il n’y a jamais rien eu d’autre qu’une grande amitié ainsi qu’une compréhension mutuelle. En revanche, la manière qu’elle avait de sublimer ses créations avait pour lui une importance capitale, il disait que sa magie était la sienne. Autrement dit, elle était sa muse.
Combien de collections sont nées parce qu’un créateur ne trouvait l’inspiration qu’à travers une seule femme? Comme le bustier à seins pointus par Jean Paul Gaultier inspiré de Madonna. Denise, l’épouse et mannequin fétiche de Paul Poiret, représentait le corps féminin idéal, il ne pouvait imaginer ses créations orientales faites sur une autre qu’elle, et Christian Dior disait de ses mannequins: “Mes mannequins c’est la vie de mes robes et je veux que mes robes soient heureuses.”
Yves Saint Laurent lui, aimait chacune de ses collections comme on a aimé une histoire du passé. Il disait : “Quand je vois un mannequin, je sais ce que je vais faire sur elle. C’est comme si j’avais le coup de foudre, je tombe amoureux.” Avec Loulou de La Falaise (créatrice de bijoux, accessoiriste et muse), il avait instauré une tradition: à chacun de ses défilés, il accrochait un cœur sur sa pièce préférée. Un amour presque enfantin, comme au collège lorsqu’on entoure d’un cœur le visage de celui dont on est secrètement amoureuse sur une photo de classe.
Et s’il y a dans la mode des amours réelles, des amours platoniques de couturiers à muses, il y a aussi cet amour démesuré, parfois instable, de la femme pour la mode. Oui, la gent féminine peut être séduite par une robe ou tomber amoureuse d’une paire de chaussures. Selon une étude rapportée par le magazine féminin Elle, 43 % des femmes auraient sacrifié des sorties culturelles au profit d’une nouvelle paire de chaussures, et 31 % possèdent des paires qu’elles n’ont jamais portées. Il n’est pas indiqué combien de femmes ont déjà noyé un chagrin amoureux en remplaçant l’être aimé par un nouveau sac, ou fait une séance shopping avec leurs amies histoire de se mettre du baume au cœur.
Ceci dit, pas besoin d’études, pour beaucoup de femmes, la mode peut être un substitut à l’amour. Yves Saint Laurent avait pensé à ces femmes seules ou en mal d’amour et leur avait adressé ce joli message: “Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme sont les bras de l’homme qu’elle aime, mais pour celles qui n’ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis là.”
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