Pharmaciens : la sensibilisation à tout prix

Depuis le premier cas déclaré de nouveau coronavirus au Maroc, les pharmaciens sont particulièrement exposés aux risques de contagion et de transmission du Covid-19. À quel prix ?

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Les pharmaciens, en première ligne dans la lutte contre le nouveau coronavirus Covid-19. Crédit: Charly Triballeau/AFP

Nous, pharmaciens, sommes parmi les personnes les plus exposées. L’ensemble des pharmacies reçoivent 1,2 million de visites quotidiennes et c’est nous qui les conseillons, les orientons, les sensibilisons… C’est un devoir certes, mais la reconnaissance de ce que nous faisons est nécessaire”, nous déclare Hamza Guedira, le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Maroc.

Depuis l’annonce des premières mesures mises en place par l’État pour lutter contre la propagation du Covid-19 la semaine dernière, les pharmaciens et pharmaciennes ont connu une forte hausse de la fréquentation de leur officine. En contact direct avec les patients, ils ne se contentent pas de délivrer des médicaments, mais jouent également un rôle de sensibilisation, en étant eux-mêmes exposés aux risques de contamination et de transmission du Covid-19. Témoignages.

Sensibilisation

“Je dis aux gens que le Doliprane et la vitamine C ne servent à rien contre le Covid-19. Il est inutile de stocker tous ces médicaments”, relève Abdelfettah Ahlamine, qui officie à la Pharmacie des Écoles, à Rabat. “Nous essayons de rassurer la population nous même, de leur expliquer les gestes à suivre… Et je suis fier de le faire”, précise-t-il.

Dans un douar situé sur la route de l’Ourika, à quelques kilomètres de Marrakech, Selma* se sent mal informée, mais sensibilise les gens à tout va. Elle prend à cœur son rôle de pharmacienne, même si elle “ressent un manque d’information” sur les évolutions de la situation, notamment sur ce qui est prévu au niveau du secteur pharmaceutique.

“Nous avons installé un ruban pour que les gens respectent la distance avec le vendeur” 

Khadija, pharmacienne à Casablanca

Gants changés régulièrement, lavage de mains multiplié… les mesures se décident donc en interne. Au vu de l’important va-et-vient, les quatre pharmaciens interrogés par TelQuel ont adopté les mesures préventives pour limiter la transmission du virus Covid-19. Une affiche à l’entrée de la pharmacie de Smail* invite par exemple les clients à respecter la distance d’un mètre entre eux. Dans le local, les personnes sont autorisées à entrer deux par deux, tandis que les autres font la queue à l’extérieur.

Dans la pharmacie de Khadija*, au Maârif, les mesures vont plus loin : “Nous avons installé un ruban pour que les gens respectent la distance avec le vendeur.” Son constat des derniers jours ? “Les gens sont très nerveux, ce qui est encore plus difficile, car il faut gérer nos propres émotions et celles des personnes qu’il faut rassurer.”

Exposés…

“Bien sûr, il y a une angoisse par rapport à la situation générale, mais on essaye de garder notre calme pour travailler dans la sérénité”, nous déclare Abdelfettah Ahlamine depuis Rabat, sur un ton mesuré. Pour lui, il ne sert à rien de plonger dans la peur, car “on ne pourra jamais pallier tous les risques”. Le pharmacien insiste sur la nécessité d’adopter avec rigueur les comportements préventifs.

“On pourrait nous faciliter un peu la vie, mais je n’ai pas l’impression que c’est au programme”

Smail, pharmacien à Casablanca

Il se sent néanmoins “livré à lui-même”, estime que “personne n’a été suffisamment préparé à gérer la pandémie, le ministère de la Santé n’ayant pas suffisamment communiqué”, et attend davantage d’implication de la part de l’État, “ne serait-ce que par la mise à disposition de masques de protection et de gels hydroalcooliques pour les professionnels de la santé”.

À Casablanca, Smail ne perçoit pas de panique au sein de son équipe. Le mot d’ordre est clair : respecter les mesures de prévention. Et s’il ne ressent pas réellement de reconnaissance ni de soutien de la part les autorités publiques, cela ne le préoccupe pas vraiment : “Je ne vais pas me plaindre aujourd’hui alors que j’aurais pu le faire il y a un an. Ce n’est pas nouveau. On pourrait nous faciliter un peu la vie, mais je n’ai pas l’impression que c’est au programme.”

… mais mobilisés

Sur la route de l’Ourika, Selma n’a aucunement l’intention de fermer boutique, contrairement à certaines de ses amies pharmaciennes qui y pensent : “C’est notre devoir. Je fais ce travail pour aider les gens, et je pense que c’est en temps de crise que nous devons les soutenir, y compris sur le plan moral”, explique-t-elle.

C’est aussi l’angoisse des membres de sa propre équipe qu’il faut gérer, car les pharmaciens sont fortement exposés à la maladie, et peuvent la transmettre à leurs proches. Une de ses collègues envisage en effet d’arrêter de travailler, de peur de colporter le virus à son domicile.

“Nous demandons juste les moyens de travailler dans les meilleures conditions”

Abdelfettah Ahlamine, pharmacien à Rabat

Mais Selma s’inquiète surtout des patients les plus précaires qui se fournissent dans sa pharmacie, située dans un quartier populaire. “Beaucoup vont cesser leur activité professionnelle et auront encore moins d’argent. Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter plusieurs boîtes de médicaments à 80 dirhams l’unité”, rappelle la pharmacienne.

“Comme les médecins, nous sommes au premier front. D’ailleurs, en confinement total, les hôpitaux et les pharmacies ne ferment pas. Nous demandons juste les moyens de travailler dans les meilleures conditions”, abonde pour sa part Abdelfettah Ahlamine, qui nous a informés, jeudi 19 mars au soir, que les gels hydroalcooliques étaient “désormais disponibles et en quantité”.

Pour ce qui est du confinement qui sera mis en place dès ce vendredi 20 mars à 18 heures, Khadija aimerait que seules les pharmacies de garde soient ouvertes, puisque le nombre de clients risque de baisser. Smail n’est pas du même avis : “Je suis plutôt pour que toutes les pharmacies restent ouvertes, un système de garde provoquerait un regroupement de plus de personnes dans un seul endroit, et demanderait aux gens de se déplacer dans toute la ville, ce qui ne serait pas une bonne chose.”

Il n’écarte pas l’idée, si le nombre de cas venait à augmenter, de renforcer les mesures, comme mettre en place un système de rotation des équipes via des congés forcés, pour limiter le nombre de personnes dans l’officine, ou encore installer une vitre entre les patients et les salariés.

Pic de fréquentation

C’est à partir de vendredi 13 mars dans l’après-midi, que le nombre de clients arrivant dans l’officine de Smail au centre-ville de Casablanca a commencé à augmenter. Mais l’afflux de client s’est véritablement observé le lendemain, samedi, se poursuivant jusqu’en début de semaine. Craignant de manquer de médicaments, ils sont en effet nombreux à avoir fait des réserves.

Une augmentation soudaine de la demande, “qui a provoqué des ruptures de stock et entraîné une surcharge de travail pour les employés, une désorganisation, et donc une perte d’efficacité à tous les niveaux”, déplore Smail, qui relève que les grossistes chez qui il se fournit ont aussi été “débordés”.

“Il y aura peut être des retards de livraison, mais la plupart des médicaments sont disponibles, les stocks sont là”

Smail, pharmacien à Casablanca

Résultat : retards de commande parfois jusqu’à 24 heures, difficulté à répondre immédiatement aux besoins des clients, et “effet domino” provoqué par cette affluence. Khadija dresse le même constat. Dans sa pharmacie du Maârif, “le chiffre d’affaires a augmenté, mais cela risque de se calmer, il y a déjà beaucoup moins de monde qu’avant”.

Dans la pharmacie de Selma, dans la région de Marrakech, la prise de conscience et la panique ont réellement commencé mardi 17 mars, quelques jours après les villes. Un décalage qu’elle explique par un accès plus limité à l’information, les gens n’ayant pas réellement pris la mesure de ce qui se profilait au niveau du pays.

Elle identifie deux catégories de personnes, d’un côté, “celles qui s’en remettent à Dieu, qui ne comptent pas prendre de médicament mais se soigner seul”, de l’autre, celles et ceux “qui paniquent et qui pensent qu’il faut se préparer à tout prix”. Elle aussi a dû faire face à une rupture de stock de Doliprane et de lait pour nourrisson, notamment.

Stocks disponibles

“Le seul souci, c’est que les gens s’approvisionnent parce qu’ils ne savent pas combien de temps cette situation va durer. Ils prennent le traitement de trois mois, même si on leur dit qu’il sera encore disponible”, analyse Smail. Il ne s’inquiète pas : “Il y aura peut être des retards de livraison, mais la plupart des médicaments sont disponibles, les stocks sont là”, déclare-t-il. Il préconise justement que les clients continuent leurs achats de manière normale, afin que la pression exercée sur les pharmacies ne soit pas trop importante.

“Nous avons un stock de sécurité, nous produisons une bonne partie de nos besoins de notre consommation en matière de médicament, et la loi 17-04 exige que les industriels aient le stock de sécurité suffisant pour trois mois au moins”, assure Hamza Guedira, président du Conseil de l’ordre des pharmaciens. Il n’exclut pas, toutefois, la possibilité de pénuries de certains médicaments particuliers, liés à la conjoncture internationale, ce qui n’est toutefois pas à l’ordre du jour.

Hamza Guedira a reçu de très nombreux coups de fil de pharmaciens basés à Dakhla, Mohammedia, Marrakech, Nador, Oujda… signalant des ruptures de stock. Il a pris contact avec les sociétés de distribution, “qui travaillent tard, submergées par les commandes des pharmacies”.

Selon lui, il faudra attendre quelques jours pour que la situation retrouve une “sorte de normalité” et que l’ensemble de la chaîne parvienne à régulariser son fonctionnement. D’autant plus que l’affluence au sein des officines a diminué, une tendance qui devrait se poursuivre dans les jours confinés à venir, à la ville comme à la campagne.

* le nom a été changé.