Maryam Bigdeli, représentante de l’OMS au Maroc : “L’accent doit fondamentalement être mis sur les moyens de prévention”

Traitements, tests de diagnostics, évolution du virus... au niveau mondial, les recherches pour comprendre et lutter contre le Covid-19 sont en cours. Le point avec la représentante de l’OMS au Maroc, Maryam Bigdeli.

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La représentante de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) au Maroc, Maryam Bigdeli. Crédit: OMS

Pour la représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Maroc, Maryam Bigdeli, pharmacienne de formation spécialisée, entre autres, dans la gouvernance des systèmes de santé, si les premiers résultats des essais cliniques sont attendus d’ici plusieurs semaines, il est nécessaire de mettre l’accent sur la prévention, en attendant l’aboutissement des recherches menées au niveau international. Interview.

TelQuel : Est-ce que des recherches relatives à la lutte contre la pandémie sont menées actuellement au Maroc ? 

Maryam Bigdeli : Aujourd’hui, l’OMS n’a pas eu connaissance de travaux de recherche dans ce sens au Maroc. Nous savons, en revanche, que le pays fournit des efforts gigantesques, au quotidien, afin de garantir la disponibilité de l’ensemble des moyens de prise en charge des personnes infectées ou susceptibles de l’être, et de renforcer les capacités nationales de diagnostic et de traitement.

Cela dit, à l’échelle globale, plusieurs vaccins et régimes thérapeutiques expérimentaux sont déjà à l’étude. Les résultats de ces travaux profiteront à l’ensemble de la population mondiale. En attendant, l’heure est avant tout à la prévention. Les mesures entreprises par le Maroc pour empêcher que le virus ne se propage sur le territoire national en sont un excellent exemple.

À l’échelle internationale, sur quels aspects les recherches sont-elles réalisées ?   

La feuille de route de l’OMS pour la recherche et le développement en matière de Covid-19 se base sur huit domaines clés prioritaires : l’évolution naturelle du virus, les aspects épidémiologiques, le vaccin, le diagnostic, le traitement, la gestion clinique des patients, les considérations éthiques, et le domaine des sciences sociales.

En ce qui concerne l’investissement pour le développement de vaccins, l’OMS travaille en étroite collaboration avec les principaux donateurs et partenaires, y compris la Banque mondiale, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et d’autres organismes au niveau mondial.

Comment les traitements sont-ils testés ?

Pour les modalités thérapeutiques et de prise en charge, nous recommandons, de manière générale, le recours à des essais contrôlés randomisés (protocole de recherche clinique qui compare les effets d’une intervention chez un groupe expérimental et chez un groupe contrôle composés de personnes choisies au hasard, suivant des recommandations standard, ndlr) pour tester l’efficacité et la sécurité des outils développés.

“Notre organisation a reçu jusqu’à présent des demandes d’examen et d’approbation pour 40 tests de diagnostic, et 20 vaccins sont en cours de développement”

Un protocole-cadre mondial pour les essais cliniques est en cours de développement. Il permettra d’organiser les travaux de recherche et de priorisation des traitements, notamment en ce qui concerne l’oxygénothérapie à haut débit (un mode d’assistance respiratoire consistant à apporter au patient de l’air humidifié, chauffé et enrichi en oxygène, habituellement à l’aide d’une canule nasale, ndlr) et l’utilisation de corticostéroïdes (médicaments anti-inflammatoires communément appelés corticoïdes, ndlr) chez les patients porteurs du virus.

L’OMS a par ailleurs  réuni un panel d’experts indépendants dont la mission est de délibérer, sur la base d’une revue continue des données scientifiques disponibles, sur les régimes thérapeutiques potentiels qui devraient être évalués davantage dans le cadre de l’épidémie actuelle de Covid-19.

L’OMS a-t-elle reçu des propositions ?

Notre organisation a reçu jusqu’à présent des demandes d’examen et d’approbation pour 40 tests de diagnostic, 20 vaccins sont en cours de développement et de nombreux essais cliniques sur des régimes thérapeutiques sont en cours.

Quels sont les pays impliqués dans ces recherches ?

En Chine, plus de 200 essais sont réalisés ou en cours de réalisation pour évaluer des traitements expérimentaux pour le Covid-19. L’un des plus attendus porte sur l’association de deux antiviraux : le lopinavir et le ritonavir, utilisé dans le traitement du sida. L’étude a été achevée et les résultats devraient être connus d’ici un mois au plus tard.

D’autres essais, très attendus également, visent à évaluer l’efficacité et le rapport-bénéfice-risque d’un autre antiviral :  le remdesivir. Ces essais concernent aussi bien les formes modérées que les formes sévères de la maladie. Ils sont en cours de conception et les patients commencent à s’y inscrire.

Aux États-Unis, les Instituts Nationaux de Santé (NIH) ont également annoncé le lancement d’un essai clinique randomisé et contrôlé pour évaluer l’innocuité et l’efficacité du remdesivir chez des adultes hospitalisés atteints de Covid-19, sur la base d’une série de délibérations du Blueprint Clinical Trials Expert Group de l’OMS. La version complète du protocole de recherche a été ajustée de telle manière à ce que les résultats obtenus soient utilisables à l’échelle internationale.

Des tests sont également menés du côté européen…

Tout à fait. En Europe, nous savons également qu’un essai clinique multicentrique (“mené simultanément par plusieurs investigateurs à différents endroits selon un même protocole”, selon l’OMS) randomisé de grande ampleur, baptisé Discovery, vient d’être lancé dans le cadre du consortium multidisciplinaire Reacting.

“L’accent doit fondamentalement être mis sur les moyens de prévention, aussi bien à l’échelle individuelle que collective”

Cette étude aura pour but de tester quatre stratégies thérapeutiques qui font partie de la liste des traitements expérimentaux classés comme prioritaires par l’OMS : le remdesivir, l’association lopinavir/ritonavir, le ritonavir associé ou non à l’interféron bêta, médicament prescrit dans la prise en charge de la sclérose en plaques, ainsi que l’hydroxychloroquine, un antipaludéen de synthèse.

Il est prévu d’inclure 3.200 patients européens de nationalités différentes, incluant l’Italie, la France et l’Espagne. Les résultats préliminaires sont là aussi très attendus et devraient être disponibles après six semaines.

Cela dit, encore une fois, l’accent doit fondamentalement être mis sur les moyens de prévention, aussi bien à l’échelle individuelle que collective, afin de prévenir et contrôler la propagation du virus au sein des communautés.

Quels sont et seront les défis à relever concrètement, hormis la course contre la montre, pour mieux comprendre le Covid-19 et son traitement ?  

Il s’agit essentiellement de la compréhension des modes de transmission du Covid-19, des facteurs de risque de la maladie, des manifestations cliniques engendrées et du niveau de sévérité en termes de morbidité et de mortalité.

À l’heure actuelle, il y a six enjeux principaux :  comprendre la transmission communautaire du virus, au-delà des premiers cas et de leurs contacts, comprendre la transmission au sein des foyers familiaux, comprendre les facteurs de risque parmi les personnels soignants, qui sont les plus exposés, étudier la présence du virus dans la population générale, y compris les personnes qui ne sont pas malades, étudier les surfaces de contamination et comprendre leur rôle dans la transmission .

Il s’agit aussi de comprendre l’évolution clinique des personnes hospitalisées et anticiper ainsi les ressources intensives que les pays devront mettre à disposition du secteur hospitalier.