En France, des parlementaires déplorent le “retard fort regrettable” de l’expérimentation du cannabis médical

Une mission sur les usages du cannabis, composée d’une trentaine de parlementaires, vient de présenter un rapport d’étape sur l’usage thérapeutique du cannabis après avoir mené une enquête sur l’ensemble des acteurs du dossier. Elle presse le gouvernement français pour que “plus aucun retard ne soit pris”.

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Le rapport suggère de créer les conditions de développement d’une filière française, tant celle-ci représente un “important marché”. Crédit: DR

Alors qu’elle compte parmi les pays européens les plus rigides sur la question, la France serait-elle en train de revoir sa copie sur la légalisation du cannabis thérapeutique ? C’est du moins ce que préconise une mission d’information, mercredi 16 septembre, qui incite le gouvernement à “agir vite”, tant l’expérimentation du cannabis à des fins médicales a pris un “retard préoccupant”.

Le gouvernement n’a pas agi de manière suffisamment volontariste”, a déploré le président de la mission, le député Robin Réda (Les Républicains/LR) en présentant à la presse un rapport d’étape sur l’usage thérapeutique du cannabis. “Pour les patients aujourd’hui, ce n’est plus supportable d’attendre un peu plus”, a ajouté son rapporteur général Jean-Baptiste Moreau (La République en Marche/LREM).

Une généralisation qui pourrait bénéficier à plus de 700.000 patients

En octobre 2019, l’Assemblée nationale avait voté en faveur d’une expérimentation, menée sur 3000 personnes. Depuis, et alors que les conditions pour mener à bien l’étude semblent bien remplies, l’expérimentation prévue pour ce mois de septembre 2020 a été repoussée à janvier 2021 “au plus tard”. La raison ? En juin, l’Agence du médicament (ANSM) invoquait des imprévus liés à l’épidémie de Covid-19 pour annoncer le report de l’expérimentation.

Début septembre, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Parisien, une cinquantaine de médecins et d’associatifs exigeaient “la publication d’un décret autorisant l’expérimentation, dans les plus brefs délais”, afin d’entamer les traitements dès “le premier trimestre 2021”.

Un retard que la mission parlementaire, ce mercredi, a quant à elle estimé “fort regrettable”, alors que plus de 3000 patients attendent la mise en place de cette expérimentation de cannabis médical qui pourrait soulager des douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies, certains cancers, ou encore la sclérose en plaques.

Dans son rapport, elle s’attend même à une “généralisation du cannabis médical en France”, qui pourrait concerner plus de 700.000 patients.

Un marché de 500 M€ d’ici quatre ou cinq ans

En substance, que dit ce rapport ? Celui-ci se propose d’établir un état des lieux et d’explorer les “enjeux liés aux différents usages du cannabis (thérapeutique, bien-être et récréatif) et à la filière du chanvre”, peut-on y lire.

Il suggère de créer les conditions de développement d’une filière française, tant celle-ci représente un “important marché qu’il importe d’ouvrir aux acteurs français”, et “contribuerait à la souveraineté sanitaire du pays”. “Un important marché pour l’ensemble de la chaîne de production agricole et de transformation”, mentionne le rapport, insistant sur le fait que “les acteurs français disposent de compétences permettant à court terme la mise en place d’une filière française.

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Premier producteur de chanvre à l’échelle européenne, concentrant plus de 75 % de la production du continent, la France pourrait en tirer un fort bénéfice économique. Selon l’entreprise française Elican Biotech, dont les représentants ont été entendus par la mission d’information le 17 juin 2020 — soulevant certaines incertitudes mentionnées dans le rapport —, “en cas de pérennisation de l’expérimentation, le marché français du cannabis thérapeutique pourrait représenter 500 M€ à un horizon de quatre ou cinq ans et concerner 4 millions de Français”.

L’étude revient également sur l’encadrement de la pratique, tout en “regrettant” l’absence d’un “véritable dialogue interministériel préalable” et nécessaire au développement d’une filière nationale. Un dialogue qui devrait aboutir à “une évolution du droit”, comme “préalable nécessaire” au lancement d’une telle culture, mais aussi à l’organisation et la régulation de la production.

La mission souhaite donc modifier la loi, qui interdit actuellement de cultiver des plants de cannabis contenant plus de 0,2 % de THC — la molécule psychotrope du cannabis — et d’en récolter les fleurs.

Source : Syndicat professionnel du chanvre, Manifeste pour un renouveau de la culture du chanvre, juin 2020.Crédit: Capture rapport d'étape sur l’usage thérapeutique du cannabis

Pour ce faire, l’étude de la mission met en avant les modèles de production allemands et canadiens, fondés sur des producteurs privés disposant d’une licence délivrée des Agences d’État. Elle propose ainsi de “confier à un organe public la régulation du cannabis thérapeutique, chargé du contrôle de la culture, de la qualité, de la transformation et du stockage des produits” et de tendre vers un “équilibre entre initiative privée et régulation publique”.

Un équilibre qui permettrait le développement d’une industrie française du cannabis thérapeutique “offrant des produits suffisamment variés pour répondre à l’ensemble des besoins des patients et les dissuader de recourir au marché noir”.

“La drogue, c’est de la m…, disait le spot télé”

Mais avant de voir une filière made in France émerger, le chemin est encore long. La France est l’un des pays européens les plus conservateurs en matière d’ouverture au cannabis, qu’il soit médical ou récréatif.

Reste que cinq millions de Français déclarent avoir déjà fumé du cannabis, une substance qui compte 700.000 usagers quotidiens. Un chiffre en constante augmentation et qui ferait de l’Hexagone le premier pays de consommation en Europe.

Mais pour son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, hors de question d’entendre parler de légalisation, pour lequel il se dit “absolument contre”. “Pour moi, c’est une lâcheté intellectuelle. (…) ‘La drogue, c’est de la m…’, disait le spot télé. Eh bien on ne va pas légaliser cette m…”, a-t-il lancé lors d’un passage sur la chaîne LCI, le 14 septembre, en référence à une campagne antidrogue diffusée au milieu des années 1980 à la télévision française. Il répondait au maire de Reims, Arnaud Robinet, (LR) qui appelait à “un véritable débat” sur la question, en vue d’“étudier les conséquences d’une légalisation de (sa) vente”, avec des “expérimentations” locales, notamment à Reims.

La France a l’arsenal répressif le plus strict d’Europe et pourtant, c’est le pays qui compte le plus de consommateurs de cannabis : 11 % des Français, trois fois plus qu’il y a 30 ans”, expliquait le maire de Reims à l’AFP, tout en jugeant indispensable de “sortir de l’idéologie et être pragmatique” sur ce sujet.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, reste pourtant à l’origine d’un plan antidrogue, entré en vigueur à partir du 1er septembre. Il se caractérise par une amende forfaitaire de 200 euros pour détention de stupéfiant, sachant qu’elle peut être minorée à 150 euros sous quinzaine après verbalisation, et majorée à 450 euros après 45 jours. Un dispositif généralisé dans tout le territoire, tant “dans les quartiers de Créteil, comme dans le 16e arrondissement de Paris”, avait insisté Gérald Darmanin.

(avec AFP)