À la fois cadre du PPS et chercheur-enseignant en économie, Aziz Belal se définissait comme un intellectuel organique. Il se reconnaissait dans ce concept créé par le penseur italien Antonio Gramsci pour définir celui qui met sa pensée au service des plus défavorisés. Preuve par son CV : jeune économiste, il participe, de 1956 à 1968, à l’élaboration du premier plan quinquennal (1960-1964) comme chargé de mission. En 1959, secrétaire général du ministère du Travail au sein du gouvernement Abdellah Ibrahim, il contribue au projet de sécurité sociale pour les travailleurs.
Autre point, son travail dans l’ombre pour le PPS. “Il animait la commission économique du parti, qui réunissait tous les économistes de notre formation. Nous n’avions qu’un seul députe, Ali Yata, qui devait intervenir pour débattre de tous les budgets des différents départements. Aziz Belal, avec son équipe, élaborait pour lui les fiches par secteur”, nous explique Mohamed Saïd Saâdi, ex-ministre et ancien cadre du PPS. Dans les années 1960, époque où la recherche en économie purement marocaine est inexistante, sa thèse L’investissement au Maroc (1912-1964) vient tuer une idée reçue : le protectorat a été bénéfique pour le développement du Maroc. Il étaye par des statistiques que l’économie marocaine a connu la croissance sans connaître le développement car le royaume était un “satellite” économique et monétaire de la France.
Penseur social
Il enrichira son idée que la croissance n’est pas suffisante en mettant l’accent sur la nécessité d’avoir un “projet de société plutôt qu’un simple projet de développement”. “Ce projet doit articuler la sphère économique, politique, sociétale et culturelle. Il doit reposer sur une justice dans la répartition des richesses, un équilibre dans l’exercice du pouvoir, un accès démocratique à la culture, à la santé, à l’éducation. C’était ça la pensée globale de Aziz Belal”, analyse Mohamed Saïd Saâdi, qui a été l’un des élèves de Belal à l’université. Cette vision transversale est d’une actualité brûlante, à en juger par le discours royal d’octobre 2017, à l’occasion de la rentrée parlementaire, qui appelait à réduire les disparités sociales et les écarts territoriaux pour réaliser plus de justice sociale. On peut même, dans les recherches de Aziz Belal, percevoir la notion de “capital immatériel”, même si elle n’est pas désignée ainsi.
Porteur d’une pensée hétérodoxe, Aziz Belal a laissé une empreinte indélébile sur la personnalité et la façon de voir les choses de plusieurs économistes qui ont suivi ses cours dans les années 1970. “C’est l’université marocaine qui a donné naissance à des penseurs et des chercheurs critiques. Aziz Belal y était pour quelque chose”, ajoute Mohamed Said Saâdi. Sauf qu’entre-temps, “l’économicisme et le néolibéralisme l’ont emporté”, déplore Said Saâdi. Ce dernier juge qu’il n’y a plus d’économistes valables au sein des partis politiques, capables d’élaborer des programmes : “On a gelé toute possibilité de réflexion différente. Les programmes économiques sont les mêmes, on parle de compétitivité, de bonne gouvernance, de budget… mais jamais de vision de développement.” On gère quoi !
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