Aux origines 
du ramadan

Principal pilier de l’islam, le jeûne du ramadan est passé par plusieurs étapes avant d’aboutir à sa forme actuelle. Retour sur un rite qui a intégré des pratiques anciennes et des croyances appartenant à d’autres religions. 

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C’était une guerre qui avait une valeur symbolique plus que militaire. Le 6 octobre 1973, les armées arabes, sous commandement égyptien et syrien, mènent une offensive générale contre Israël. Au-delà de la récupération des territoires occupés par l’État hébreu, l’objectif est d’ébranler le mythe de l’invincibilité militaire israélienne et démontrer aux peuples arabes que leurs régimes sont capables encore de réagir et de battre l’ennemi.

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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine TelQuel n°674 du 19 au 25 juin 2015.

L’affront de la défaite cinglante de 1967 doit être balayé et effacé. L’offensive ne permet pas aux Syriens de recouvrer le plateau du Golan ni aux Égyptiens de reprendre immédiatement le Sinaï, mais l’effet psychologique est atteint. Les Arabes célèbrent une victoire, quand bien même incomplète, et le président égyptien Anouar Al Sadate se pare de ses habits de héros de guerre.

Mais la date du déclenchement de l’offensive était importante et déterminante sur un plan symbolique. Pour lancer les opérations contre les cibles israéliennes, les stratèges arabes ont choisi le mois de ramadan. Une période d’effervescence spirituelle et de piété. Les soldats égyptiens et syriens étaient galvanisés lors de cette période, où “les portes du ciel sont ouvertes”, selon une croyance bien ancrée dans l’imaginaire musulman. Pour eux, Dieu guide ses combattants et les protège en ces jours bien bénis. Et pour les Égyptiens, cette guerre demeure “la victoire du ramadan”.

Considéré comme sacré en islam, ce mois a une histoire particulière. Le jeûne observé pendant cette période est loin d’être un rite purement musulman. Dans cette histoire se mêlent des pratiques qui précèdent l’avènement de l’islam, un projet politique et une distinction par rapport à d’autres religions, notamment le judaïsme. 

Les musulmans s’orientaient pour leur prière vers Jérusalem, avant de changer d’orientation pour La Mecque.©AFP

Le jeûne, avant l’islam

Contrairement à ce que peut inspirer le mot Jahiliya (ignorance), qui désigne la période précédant la révélation de l’islam, la péninsule arabique n’était pas une terre de désolation spirituelle. Le prophète Mohammed est né et a grandi dans une région foisonnante de croyances et de religions. Les Arabes, qui vénéraient des divinités différentes, connaissaient le judaïsme et le christianisme et certains d’entre eux étaient même déjà monothéistes. Parmi ces derniers, qui n’adulaient qu’un seul dieu, figure Abdelmoutalib, grand-père du prophète de l’islam.

Ils connaissaient alors certaines pratiques spirituelles, parmi lesquelles la prière et le jeûne. Un jeûne présent dans toutes les religions monothéistes, mais sous des formes différentes. Dans la Bible et l’Ancien Testament, on découvre que Moïse et Jésus pratiquaient ce rite en s’abstenant de manger, boire ou s’adonner à des actes sexuels.

Les Arabes aussi étaient familiers de l’idée d’une période sacrée, consacrée à la dévotion, la prière et la rédemption. C’est ainsi que les habitants de la péninsule arabique désignaient quatre mois de l’année comme sacrés. Pendant cette période du calendrier, l’effusion de sang était interdite et on allait en pèlerinage au sanctuaire de La Mecque. L’islam a par la suite approuvé cette pratique et l’a intégrée à ses propres rites.

Durant les 13 ans du séjour de Mohammed à La Mecque, après avoir reçu la révélation, il n’existait pas d’obligation de jeûne.

Le mois de rajab, annonçant le printemps, avait une place à part parmi ces mois sacrés. D’ailleurs, le mot rajab signifie “vénération” et “respect”. Pour les Arabes, il était réservé au jeûne, à la prière et au retrait. Il est significatif de remarquer que le jeûne de rajab a continué pendant longtemps chez les musulmans. Des historiens rapportent que le calife Omar blâmait les croyants qui pratiquaient l’abstinence pendant rajab, en leur rappelant qu’il s’agissait d’un rite païen.

Mais les habitudes sont têtues. Durant les 13 ans du séjour de Mohammed à La Mecque, après avoir reçu la révélation, il n’existait pas d’obligation de jeûne. Les musulmans étaient libres de le faire ou pas, en fonction de leurs affinités et capacités. Les choses vont changer avec le départ vers Médine.

Une obligation progressive

Quand la coexistence à La Mecque, avec sa propre tribu de Qoraïch, est devenue impossible, Mohammed décide de s’installer à Médine. Une nouvelle ère commence et le petit centre commercial et agricole devient la capitale du jeune État islamique. L’exode vers Médine fixe le début du calendrier musulman, établi quelques années plus tard sous le calife Omar.

Pour marquer sa proximité avec Moïse, Mohammed demande à ses adeptes de respecter Yom Kippour

Les récits historiques et biographiques racontent que le jour de l’arrivée du prophète à cette bourgade, il y découvre que ses habitants juifs étaient en période de jeûne. Il s’agit de Yom Kippour, la fête la plus sacrée chez les juifs, correspondant au dixième jour du mois de tishri. Une fête qui célèbre la révélation des Dix commandements à Moïse sur le Mont Sinaï. Les juifs commémoraient alors une phase d’intense activité spirituelle, visant la purification de l’âme, le rapprochement avec Dieu et le repentir des péchés commis. Les mêmes thèmes qu’on retrouve en islam à propos du jeûne. Pour marquer sa proximité avec Moïse et signifier que l’islam est le prolongement des autres religions monothéistes, Mohammed demande à ses adeptes de respecter cette date.

L’obligation du jeûne de Achoura est née de cette initiative. Pour le prophète, l’objectif est également politique. Il s’agit de rallier les juifs de Médine à sa cause ou au moins de les neutraliser en cas de conflits externes. C’est dans ce même cadre que les musulmans s’orientaient pour leur prière vers Jérusalem, avant de changer d’orientation pour La Mecque. Mais l’affirmation d’une identité, religieuse et politique, propre à l’islam est devenue nécessaire. Deux ans après l’installation à Médine, Mohammed opte pour le jeûne du mois
de ramadan. 

Comme pour d’autres obligations qui bouleversent la vie des musulmans, les choses se sont déroulées de manière progressive. Au début, les croyants avaient le choix entre l’observation du jeûne ou l’acquittement d’une somme d’argent destinée à aider les pauvres. Mais, rapidement, l’obligation se généralise et concerne tous les musulmans, à l’exception de quelques cas. Ramadan devient donc le mois sacré de l’islam et signe une démarcation par rapport au judaïsme, qui servait jusqu’alors de repère culturel et rituel. Cependant, la rupture n’est
pas totale.

Le jeûne est une phase visant la purification de l’âme, le rapprochement avec Dieu et le repentir des péchés commis. ©AFP PHOTO / JUNI KRISWANTO

Changer avec le temps

Chez les anciens Arabes, dont l’islam a maintenu les noms des mois, ramadan fait partie de l’été. Le terme même découle du mot “ramad”, qui signifie l’extrême chaleur et la canicule. Ce quatrième pilier de l’islam a connu quelques modifications dans son accomplissement et organisation. C’est ainsi que, au départ, la rupture du jeûne à l’heure exacte du coucher du soleil était obligatoire. Un musulman qui s’endort ou oublie de le faire à ce moment précis devait poursuivre son jeûne jusqu’au prochain coucher du soleil.

Devenue compromettante pour la santé et la vie des musulmans, cette obligation est abolie et remplacée par ce qu’on connaît aujourd’hui: la possibilité de manger et de boire à n’importe quel moment de la nuit. Autre obligation qui a connu un amendement, les actes sexuels pendant le ramadan. Au début, l’abstinence des plaisirs charnels était totale. Un homme ne pouvait pas toucher une femme pendant tout le mois, ni le jour ni la nuit. Devant l’embarras et les doléances des croyants, les rapports sexuels seront autorisés du coucher au lever du soleil.

Loin de rompre totalement avec des pratiques et croyances anciennes, juives ou préislamiques, le jeûne du ramadan a intégré des éléments différents. On retrouve alors, par exemple, cette croyance qui considère que les diables et mauvais esprits sont enchaînés pendant tout ce mois. Cette croyance existe aussi dans la tradition juive et ses textes sacrés. Autre idée qu’on retrouve dans les deux religions, quand il s’agit de période de jeûne, l’ouverture des portes du paradis. Dans le judaïsme, l’observation stricte et respectueuse du Kippour permet d’ouvrir les portes du paradis.

L’islam reprend également, pour l’accomplissement du ramadan, une pratique connue chez les Arabes, celle du retrait et de la réclusion dans un lieu sacré. L’Itikaf, où un musulman consacre complètement une partie du mois de ramadan à prier dans une mosquée, était observé par les Arabes avant l’arrivée de l’islam. La multitude des apports, la diversité des références et l’intégration de plusieurs rites dans le ramadan expliquent son caractère complexe et fascinant. Et il continue encore de s’adapter selon les cultures et les pays. 

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  • Article très intéressant, mais il dit une conre-vérité en introduction. En effet il est écrit :

    « Mais la date du déclenchement de l’offensive était importante et déterminante sur un plan symbolique. Pour lancer les opérations contre les cibles israéliennes, les stratèges arabes ont choisi le mois de ramadan. Une période d’effervescence spirituelle et de piété. Les soldats égyptiens et syriens étaient galvanisés lors de cette période, où “les portes du ciel sont ouvertes”, selon une croyance bien ancrée dans l’imaginaire musulman. »

    Or, ce n’est pas le mois de ramadan qui avait été choisi mais le jour de Kippour, le jour le plus saint pour les juifs. Car ce jour là, la majeure partie de la population israélienne prie dans les synagogues. Les stratèges arabes espéraient ainsi décimer les israéliens pendant qu’ils priaient avec ferveurs dans leurs lieux saints… Mal leur en a pris car ça s’est retourné contre eux, malgré le fait que, là encore, ils en aient fait une victoire…