Adieu Diego

Non, ce n’était pas un joueur de football dans le sens où les autres jouent au football. Diego était autre chose qu’un joueur de foot, il était Dieu tout-puissant sur un terrain. Il n’a jamais appris à jouer au foot et personne ne lui a rien appris, c’est Dieu lui-même qui s’est penché sur son berceau.

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Le footballeur argentin Diego Maradona à son arrivée à Rome, le 4 juillet 1984 en provenance de Barcelone, avant d'être transféré à Naples. Crédit: AFP

Il était, dans son domaine, le profil du génie absolu : maudit, aimé, détesté, drogué, rejeté, insulté, bafoué, adoré, ruiné… Ses déclarations n’avaient de sens que pour ceux qui étaient disposés à boire ses paroles, sans se douter que derrière ses paroles se cachait un homme fragile, un homme comme les autres, avec plus de tares que de qualités.

Maradona était l’image de l’Argentine, plus que Juan Peron, Evita Peron, Che Guevara, voire José de San Martin, le père de l’indépendance argentine. C’est peu dire. On n’ose imaginer l’Argentine sans penser à Maradona. L’Argentine lui pardonne tout, il peut faire ce qu’il veut, il peut divaguer, insulter, se droguer, l’Argentine était toujours à ses pieds et le restera pour longtemps. Et pour les étrangers que nous sommes, qui pense à autre chose quand il entend parler de l’Argentine, sinon à ce monstre de légende?

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Tombé dans la marmite très tôt, à 15 ans il s’occupait déjà de sa famille nombreuse dans un pays où le niveau de vie des populations se délitait de plus en plus suite à diverses dictatures militaires qui ont mal géré ou dilapidé les ressources d’un pays pourtant très riche. Il fera les beaux jours de Boca Juniors, son club de cœur, de Barcelone beaucoup moins, car les dérives du personnage commençaient à faire surface, du club de Naples, qui s’offre ses services par l’entremise de l’argent de la mafia, dit-on. C’est d’ailleurs dans cette ville que Maradona a marqué les esprits et il reste, à ce jour, l’idole du peuple napolitain, qui a pourtant des soucis autrement plus graves.

On a du mal à intégrer, pour ceux de ma génération qui ont vu ce génie la balle au pied, que Messi ou Ronaldo puissent lui être comparés

On a du mal à imaginer Maradona jouer au football aujourd’hui avec les moyens mis à la disposition des joueurs. On a du mal à intégrer, pour ceux de ma génération qui ont vu ce génie la balle au pied, que Messi ou Ronaldo puissent lui être comparés. Ou qui que ce soit d’autre. C’est une injure à la définition qu’on peut avoir du concept de génie que d’oser cette comparaison.

Pelé ne jouait pas seul, il avait toute une armada aux talents incroyables qui le soutenait, les Gerson, Tostao, Rivelino, Jairzinho… Maradona était seul, et même ses coéquipiers étaient à ses pieds. Les Argentins eux-mêmes n’osent pas franchir le pas. Quel entraîneur, de ceux qui dominent la scène footballistique aujourd’hui, pourrait indiquer à Maradona comment conduire un ballon, comment assurer une passe, comment tirer un coup franc, tout ça, il pouvait le faire les yeux bandés et les jambes liées.

Après les Argentins, le monde entier avait commencé à pardonner à Maradona ses excès. Même son but de la main contre l’Angleterre en 1986 a été considéré comme un coup de génie, “la main de Dieu” dira-t-on. Une vengeance contre l’Angleterre qui venait d’humilier son pays lors de la guerre des Malouines osera-t-on même avancer.

Beaucoup de ceux qui ne demandaient qu’à l’admirer sur un terrain se sont indignés quand, pendant la Coupe du Monde de 1994, il a été expulsé pour avoir été testé positif à l’éphédrine. Il restera dans le circuit de la drogue pendant plusieurs années, et c’est son ami Fidel Castro qui le rapatrie à Cuba pour le traiter de son addiction et de son obésité. C’est d’ailleurs, probablement, le joueur de foot qui a serré la main de plus de chefs d’État que n’importe quel autre joueur. Et l’honneur était pour qui ? Facile à deviner.

Nous l’avons suivi du sommet jusqu’au déclin, un vrai chemin de croix pour un génie qui ne demandait qu’à être aimé, même s’il le faisait à sa façon, un peu brouillonne, un peu maladroite. Nous qui l’avons aimé, autant que le peuple argentin ou le peuple napolitain, étions parfois heureux de le voir sortir la tête de l’eau, et tristes quand il sombrait dans les abîmes. Il vient de sombrer pour toujours. On continuera à regarder le foot bien sûr, celui des autres, pas celui de Maradona.