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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine TelQuel n°826 du 28 septembre 2018.
Confessions à propos du Sahara est le fruit d’une série d’entretiens entre Mohamed Elyazghi et le journaliste Youssef Jajili, qui se sont étalés de 2011 à 2018.
Les deux hommes se sont rencontrés régulièrement au domicile de l’ex-premier secrétaire de l’USFP pour discuter de la situation politique au Maroc. Le sujet du Sahara revenait de manière lancinante, Elyazghi se révélant être une mine d’informations, appelant ses souvenirs à la rescousse en posant la main sur son front. L’interviewé et l’intervieweur ont décidé d’en faire un livre paru le 1er octobre 2018 en quatre versions : arabe, français, espagnol et anglais.
Moulay El Hassan, une cause pas si sacrée
Au lendemain de l’indépendance du Maroc, le leader de l’Istiqlal, Allal El Fassi, et l’Armée de libération du sud voulaient continuer le combat contre la France et l’Espagne pour libérer les zones encore occupées par les deux pays au sud. Le prince héritier, Moulay El Hassan, ne voyait pas encore cela comme une priorité. Il y avait plus urgent pour lui : consolider son pouvoir en affaiblissant ses concurrents du Mouvement national. Quitte à faire capoter les négociations entre Franco et Abdallah Ibrahim qui auraient pu aboutir à la restitution du Sahara occupé par les Espagnols.
Le prince héritier et le sens des priorités
“En tant que prince héritier, Moulay El Hassan était plus intéressé par la situation interne du Maroc, il œuvrait sans relâche à s’assurer les rênes du pouvoir aux dépens du Mouvement national. (…) Compte tenu de cet intérêt, la question du Sahara n’était pas prioritaire à ses yeux. (…) Allal El Fassi a posé la question de la Mauritanie et du Sahara au lendemain de l’indépendance, confrontant ainsi les Marocains, l’élite du pays, le roi Mohammed V et le prince héritier à un véritable dilemme (…).
Il n’y a aucun doute qu’au départ subsistaient quelques hésitations chez les dirigeants, et ce, malgré le fait que la question du Sahara, y compris le Sahara oriental, avait toujours préoccupé les Marocains. (…) À l’image de l’ensemble des oulémas du pays, Allal El Fassi connaissait les liens historiques qui lient Sakia El Hamra, Oued Eddahab et Chenguit au Maroc. (…) À la suite de l’annonce de l’indépendance du Maroc, libéré de la tutelle de la France en mars 1956 et de celle de l’Espagne en avril 1956, la direction de l’Armée de libération a décidé (…) d’envoyer des forces issues de ses rangs dans le sud afin de libérer les zones sahariennes occupées par la France et l’Espagne.
Pour y parvenir, l’Armée de libération, conduite par El Hachimi El Mounadil, Mohamed Bensaïd Aït Idder, Bouchaïb Doukkali El Hariri, Driss Ben Boubker, Saïd Bounaïlat, Bouaida et Mohamed Derham, ont intégré des Sahraouis issus de toutes les tribus du sud occupé. (…) L’Armée de libération du sud a engagé de grandes batailles et enregistré de véritables victoires, réussissant par là même à libérer plusieurs régions. Elle a cependant fini par être délogée de Sakia El Hamra, Oued Eddahab et du nord de la Mauritanie par l’armée française, qui s’est alliée aux Espagnols dans le cadre de la célèbre opération “Ecouvillon” dans laquelle des avions militaires et des blindés ont été utilisés (…).
Le prince héritier a toujours été soucieux de démanteler l’Armée de libération du sud et d’intégrer ses membres dans les rangs des Forces armées royales, ce que je considère comme l’une des plus grandes erreurs commises dans la gestion de la question du Sahara. Car si le Maroc avait maintenu l’Armée de libération du sud tout au long de la frontière avec Sakia El Hamra, et si l’État l’avait soutenue, le royaume aurait eu une institution non officielle présente dans la région et pouvait attendre l’opportunité historique pour parachever son indépendance. Cette opportunité s’est présentée quand le lien entre Français et Espagnols s’est dénoué à la suite de l’indépendance de l’Algérie en 1962. L’Armée de libération du sud aurait pu intervenir et mettre fin à l’occupation de Sakia El Hamra et Oued Eddahab (…).”
Franco prêt à lâcher le Sahara à Ibrahim
“Abdallah Ibrahim [président du Conseil de gouvernement de 1958 à 1960] avait initié un dialogue avec les Espagnols pour récupérer Oued Eddahab, Sakia El Hamra et Sidi Ifni. C’était la continuité du dialogue qu’avait entamé Haj Ahmed Balafrej [ministre des Affaires étrangères dans les deux premiers gouvernements d’après-indépendance] afin de récupérer Tarfaya. L’Espagne n’avait pas encore découvert les réserves de phosphate que recèle la région.
Les négociations auraient donc pu réussir, le général Franco ayant fait part de son accord pour la restitution de Sakia El Hamra et Oued Eddahab au Maroc, à condition que ce dernier cesse définitivement de réclamer la restitution de Sebta et Melilia. Mais pendant les négociations, le prince héritier a interféré en signalant à Franco qu’il était inutile de négocier avec le gouvernement d’Abdallah Ibrahim car il allait être remplacé prochainement. Franco a donc mis fin au dialogue sur le Sahara avec les responsables marocains. (…) Après la découverte de phosphate à Boucraa en 1964, l’Espagne s’est fixé comme objectif de maintenir son occupation, quitte à ce qu’elle prenne d’autres formes.”
Le Maroc et le Polisario, un rendez-vous raté
Les futurs fondateurs du Polisario ont cherché le soutien du Maroc pour libérer Sakia El Hamra et Oued Eddahab. Ils ont trouvé porte close du côté du royaume et se sont rabattus sur l’Algérie et la Libye. L’opposant à Hassan II Fqih Basri les présente à Houari Boumediene et à Mouammar Kadhafi qui leur fournissent argent et armes. Ignorés par le Maroc, les créateurs du Polisario deviennent séparatistes.
Oufkir réprime
“Le Mouvement national et l’Armée de libération désiraient intégrer les jeunes Sahraouis dans plusieurs écoles à Bouizakarne, Taroudant, Agadir et Casablanca ; dans le but de former une nouvelle génération capable de faire face à l’occupation. Ces jeunes, une fois à l’université, se sont confrontés au sentiment et à la foi que la zone occupée par l’Espagne était marocaine et qu’il fallait la libérer. Ils ont essayé de sensibiliser l’opinion publique marocaine sur la nécessité de se mobiliser afin de libérer ces territoires. Ils ont contacté les partis nationaux et pris part à des conférences et meetings dans ce but.
Je me rappelle notamment que ces jeunes ont assisté à une conférence organisée par l’Istiqlal en février ou mars 1972. J’y ai participé en compagnie d’Abdallah Ibrahim et de M’Hamed Douiri ; Allal El Fassi était également présent. Le premier contact avec ces jeunes a été établi par Abderrahim Bouabid à un moment où l’UNFP affrontait une crise interne grave. Quelqu’un avait donc proposé de faire intervenir la deuxième génération du parti. C’est ainsi qu’on m’a contacté. Au mois de mars, j’ai accueilli chez moi Mustapha El Ouali, Omar El Hadrami El Admi, Mae El Aïnine, Cheikh Biadillah, Laâroussi [fondateurs du Polisario], ainsi que Mohamed Aït Kaddour et Mohamed Lakhssassi [militants de l’UNFP].
Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises pour examiner les cas de Sakia El Hamra et Oued Eddahab, rassemblant des informations et des documents sur la situation politique et économique dans la région. Nous avons décidé d’un commun accord d’entamer la sensibilisation de l’opinion publique nationale sur la question. Malgré la crise que traversait la direction de l’UNFP, j’ai personnellement envoyé une note aux secrétariats provinciaux du parti afin d’inscrire la décolonisation de Sakia El Hamra et Oued Eddahab à l’ordre du jour des réunions des bases de notre formation politique.
En mai 1972, et à l’occasion du festival de Tan-Tan, ces jeunes ont organisé une manifestation populaire dans la ville afin d’attirer l’attention et entamer la mobilisation de l’opinion publique sur la nécessité de mettre fin à la colonisation espagnole dans la région. Sur ordre du général Oufkir, les autorités ont violemment réprimé cette manifestation nationaliste et pacifiste, sans conscience des répercussions destructrices que cette violence allait entraîner. C’était une grave erreur, car le roi aurait dû, au même titre que le gouvernement, se féliciter d’avoir une jeunesse sahraouie soucieuse de libérer les territoires du sud. Une jeunesse convaincue que ces terres étaient marocaines (…).
Les raisons de la répression du général Oufkir étaient obscures, mais il est clair que c’était une erreur politique car le dossier du Sahara s’est retrouvé entraîné dans un engrenage complexe. Cette répression a poussé une partie des jeunes Sahraouis à fuir le Maroc et à s’établir en Algérie, avec la participation des services de renseignements militaires et sécuritaires algériens.”
Fqih Basri, les ennemis de mes ennemis sont mes amis
“Je me rappelle que Fqih Basri avait présenté ces jeunes à Mouammar Kadhafi, qui a voulu les instrumentaliser dans le différend l’opposant à Hassan II, en leur apportant un soutien financier et en les armant. C’était la première erreur commise par Fqih Basri. La deuxième, encore plus grave, est d’avoir introduit ces mêmes jeunes auprès du président Houari Boumediene. (…) En présentant ces Sahraouis à Kadhafi, Fqih Basri leur a ouvert les portes de l’Algérie. Jusque-là, les Algériens se montraient réticents vis-à-vis du Polisario, dont les membres n’avaient pas été reçus au palais d’El Mouradia [résidence officielle du président algérien]. L’Algérie a fini par les accueillir après avoir été accueillis par le colonel Kadhafi. (…) C’est ainsi que la sécurité militaire algérienne a joué à fond la carte du séparatisme, instrumentalisant la direction du Polisario contre le Maroc. (…) Les dirigeants algériens ont fourni aux séparatistes des hommes et des munitions à profusion, les poussant à revendiquer l’autodétermination afin de mettre en place un État factice, tout comme l’avait fait l’Espagne avant eux (…).
La Libye a soutenu immédiatement ces Sahraouis en leur fournissant tout ce dont ils avaient besoin pour attaquer le Maroc : argent et armes. Une position qui n’étonnait pas vu les relations exécrables entre Hassan II et Kadhafi. Mais ce que beaucoup de gens ignorent, ce sont les raisons pour lesquelles le colonel Kadhafi a retiré son soutien au Polisario en 1984. En visite officielle au Maroc, le colonel s’est installé à la Maison d’hôtes (Dar Diyafa) à Rabat, où il a reçu les dirigeants des partis marocains.
Je faisais partie des conviés en compagnie d’Abderrahim Bouabid et de Khelili Mohamed Salem Rguibi, père de Mohamed Abdelaziz El Marrakchi [membre fondateur du Polisario et président de la RASD de 1976 à 2016], qui a fourni au colonel des informations et des explications dont il ne disposait peut-être pas à l’époque.
Tout de suite après cette rencontre, qui s’est déroulée dans une atmosphère cordiale, la Libye a complètement changé sa stratégie qui était jusque-là agressive vis-à-vis du Maroc, Kadhafi ayant décidé de ne plus soutenir le Front Polisario. Malgré cela, je pense que certains services et organismes libyens ont maintenu le contact avec le Polisario et le soutenaient en catimini. Mais de manière moins importante et affichée qu’auparavant.”
Boudiaf, trop marocain ?
“En 1972, un accord de traçage des frontières entre le Maroc et l’Algérie a été trouvé à Tlemcen. Les deux parties devaient remettre la convention aux institutions constitutionnelles de leurs pays respectifs. Toutefois, Hassan II n’a pas soumis cette convention au parlement marocain. Puis, en 1992, le roi a pris l’initiative de la publier au Bulletin officiel. (…) Cela constituait un soutien au nouveau président algérien Boudiaf, connu pour sa position tranchée sur la question du Sahara [il soutenait les revendications du Maroc] (…).
Le président Boudiaf a été assassiné en juin avant que cette convention ne soit publiée. (…) N’oublions pas que Boudiaf avait dit à nombre de responsables du Polisario qu’ils n’avaient pas d’avenir à Tindouf tant qu’il serait en vie, et que leur place se trouvait au Maroc. C’est ce qu’a entendu Brahim Hakim qui était alors ministre des Affaires étrangères du Polisario. (…) L’assassinat de Boudiaf n’a pas fait l’objet d’investigations suffisantes, si bien que sa famille continue de réclamer l’ouverture d’une enquête afin d’élucider les circonstances de son assassinat.”
L’impossibilité d’un référendum
Après le cessez-le-feu du 6 septembre 1991 s’ouvrait le temps de la diplomatie. Hassan II ressent l’urgence de régler ce conflit coûteux qu’il ne veut pas léguer à son successeur, le futur Mohammed VI. Dans une interview accordée au quotidien Le Monde en septembre 1992, il déclare : “Ce qui nous importe, même s’il faut encore attendre vingt ans, c’est une sanction internationale. Je veux que notre acte de propriété du Sahara occidental soit déposé à la conservation foncière des Nations Unies afin d’éliminer à jamais toute contestation.” Cela passe par un référendum d’autodétermination au Sahara : indépendance ou intégration au Maroc. Sauf que la consultation est reportée à plusieurs reprises en raison de divergences entre les deux parties sur la composition du corps électoral appelé à trancher. Durant l’année 1994, les choses semblent s’accélérer, le Conseil de sécurité ayant fait part de ses inquiétudes quant au retard pris par rapport au calendrier établi par l’ONU.
Elyazghi opposé au référendum
“Début 1994, Hassan II a invité les dirigeants de certains partis dans son palais à Skhirat. (…) J’ai assisté à cette réunion en ma qualité de premier secrétaire par intérim de l’USFP, en compagnie de Mohamed Lahbabi, membre du bureau politique. Hassan II nous a informés d’un nouveau développement dans la question du Sahara, à savoir l’éventualité d’organiser un référendum dans les provinces du sud dans un futur proche. “Qu’en pensez-vous ? En particulier si le référendum aboutit à un résultat contraire à nos ambitions ?”, nous a-t-il demandé (…).
À l’issue de la réunion, j’ai eu un entretien en tête-à-tête avec Hassan II où je lui ai dit : “Il vous est difficile d’accepter la tenue d’un référendum si les Marocains sahraouis ne sont pas inscrits sur les listes électorales, ils sont des dizaines de milliers. Leur non-participation à cause du veto brandi par le Polisario au sein de la Commission d’identification aura sans doute des répercussions importantes sur le résultat de cette consultation.” Hassan II m’a demandé : “Quel argument juridique pouvons-nous présenter à la communauté internationale pour justifier notre refus d’organiser un référendum ?” Je lui ai répondu : “Il faut souligner que ce référendum est non démocratique, car des milliers d’individus originaires de Sakia El Hamra et Oued Eddahab ne pourront pas y participer alors que c’est leur droit naturel. Les en priver retire toute légitimité à cette consultation (…).”
À l’époque, j’étais presque le seul à affirmer que le référendum était non démocratique. (…) Il n’y a aucun doute que Hassan II ait saisi le message, se rendant compte de la complexité de la situation. Il ne s’était jamais prononcé contre le référendum auparavant.”
Le Sud : ni est, ni ouest
“Le dossier du Sahara est un conflit régional entre le Maroc et l’Algérie et n’a aucune relation avec la Guerre froide. (…) C’est le gouvernement du général Franco, chef de l’État espagnol, pays membre de l’OTAN, qui a mis en œuvre le plan pour l’établissement d’un État dans le Sahara. Et non pas l’Union soviétique (…).
Qui plus est, on trouve en Occident de nombreuses organisations non gouvernementales – politiques, syndicales, culturelles et juridiques – qui apportent leur soutien à la thèse séparatiste. À titre d’exemple, la Fondation Kennedy qui a une grosse influence sur le Parti démocrate américain. Par contre, l’ex-Union soviétique, ou la Russie d’aujourd’hui, n’ont jamais eu de position hostile vis-à-vis du Maroc sur la question du Sahara. (…) Au pire, la Russie a une attitude neutre au sein du Conseil de sécurité (…).
C’est pour cette raison qu’il ne faut pas, à l’instar de ce que font quelques-uns de nos concitoyens et journalistes, demander au gouvernement algérien d’adopter une position nouvelle, car il doit tenir compte de la fin de la Guerre froide. (…) La question du Sahara n’a jamais rien eu à voir avec le bloc communiste, ni avec les régimes de ce bloc, ni avec les différends que ces régimes avaient avec les pays arabes. La Yougoslavie [elle n’existe plus aujourd’hui] était le seul pays à avoir reconnu le pseudo-État sahraoui. Elle n’entretenait pas de relations amicales avec l’Union soviétique, son choix était dicté par ses relations avec l’Algérie.”
Le pré carré de Basri
Sous Hassan II, le ministre de l’Intérieur, Driss Basri, avait les clés de la Maison Sahara qu’il gérait sans rendre compte au gouvernement. Quelques semaines après l’intronisation de Mohammed VI, Laâyoune est secouée en septembre 1999 par des émeutes que Driss Basri réprime violemment. Le nouveau souverain, mécontent de la gestion sécuritaire du ministre de l’Intérieur, le chasse quelques temps après, car il est désireux d’inaugurer une nouvelle forme de relation au Sahara qui ne soit pas subordonnée à la politique de la matraque. Dès le début, on a soupçonné Driss Basri d’être derrière ces émeutes. Mohamed Elyazghi, quant à lui, en est convaincu.
L’Intérieur négocie en douce
“Avec le gouvernement d’Alternance, le ministre des Affaires étrangères, Abdellatif Filali, a commencé à se mêler de la question du Sahara en Conseil de gouvernement. Il était en conflit avec Driss Basri sur la gestion de ce dossier. (…) Le ministre de l’Intérieur était intervenu dans les négociations avec James Baker, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU.
Des lettres connues sous le nom de “Lettres de Houston” ont été échangées directement entre Basri et Baker, et divulguées par le Polisario. Basri a également imposé la nomination du représentant du Maroc à l’ONU. Un représentant avec lequel le ministre des Affaires étrangères n’a jamais traité. (…) Si avec le gouvernement d’Alternance, l’Exécutif a commencé à s’occuper aussi du dossier du Sahara, Driss Basri n’en a pas pour autant mis fin à ses manœuvres, s’appuyant sur le réseau qu’il a établi dans la région.”
Des émeutiers sous influence ?
“Le gouvernement n’a pas été avisé des événements qu’ont connus les provinces du sud, qu’il s’agisse de leurs causes, leurs développements ou leurs conséquences [émeutes de Laâyoune en 1999]. Personnellement, et sur la base de données qui m’ont été transmises par des militants de l’USFP au sud, je considère que des mains invisibles étaient derrière ce qui s’est passé, en l’occurrence des membres des services administratifs du ministère de l’Intérieur ayant un lien direct avec Driss Basri.
L’objectif était de démontrer que l’approche sécuritaire est une nécessité dans tout rapport avec les citoyens. (…) Ces éléments ont poussé au déclenchement d’émeutes dans la région afin de s’imposer comme garants de la stabilité et de la sécurité. (…) L’objectif était d’ériger Driss Basri en personnage irremplaçable pour l’intégrité territoriale du Maroc et sa défense, et surtout de démontrer qu’il était indispensable dans la nouvelle étape qui s’ouvrait avec l’accession au trône de Mohammed VI (…).
Faute d’informations officielles sur la situation, j’ai maintenu un contact permanent avec les militants de l’USFP dans les provinces du sud. Ils me fournissaient des données précises sur tout ce qui se passait dans la région, sur le comportement de chaque élément des autorités administratives et sécuritaires, ainsi qu’au sein des tribus et des différents clans. (…) J’ignore quels détails sont parvenus au roi. Tout ce que je sais, c’est que le souverain et le Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, ont discuté du sujet en tête-à-tête et échangé des informations.”
Îlot Leila. Une affaire royale
En juillet 2002, six soldats marocains débarquent sur l’îlot Leila, considéré par l’Espagne comme lui appartenant bien qu’il soit situé à quelques encablures des côtes marocaines. Les Espagnols réagissent en envoyant des commandos pour déloger la poignée de militaires marocains présents sur l’îlot.
“J’avais mon analyse de la situation, j’ai donc évoqué la question en Conseil des ministres. (…) C’était une réunion ordinaire, et l’affaire de l’îlot Leila ne figurait pas à l’ordre du jour. (…) J’ai expliqué que cette opération a été menée à un moment où la popularité de José Maria Aznar [président du gouvernement espagnol] dans l’opinion publique espagnole était au plus bas. (…) Le timing était mal choisi car on lui offrait l’occasion d’apparaître comme une personnalité forte faisant face au Maroc sur un territoire revendiqué par le royaume et par l’Espagne. J’aurais pu éclaircir ma pensée davantage, mais la réaction du roi a été violente. Il a dit : “Que chaque ministre s’occupe de son département”, et d’ajouter : “Celui à qui cela déplaît peut présenter sa démission.” J’ai donc préféré ne pas engager un débat avec lui et me suis abstenu de discuter du sujet. (…) Aucun ministre n’a réagi. Je me rappelle que Driss Jettou, alors ministre de l’Intérieur, était assis à mes côtés. Il me répétait “assez, assez Ssi Mohamed !”, en touchant mon genou sous la table. En réalité, c’était au Premier ministre d’aborder cette question.”
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