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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine TelQuel n°743 du 9 au 15 décembre 2016.
Un Chef de gouvernement de gauche, progressiste, intègre et farouche adepte d’une monarchie qui règne mais qui ne gouverne pas. Une chimère, pourrait-on dire, désespéré, aujourd’hui. Pas en 1958. Nous sommes au lendemain de l’indépendance lorsque Abdellah Ibrahim, leader au sein de l’Istiqlal, prend les rênes du premier gouvernement de gauche au Maroc. L’homme providentiel a un programme ambitieux : effacer les traces du Protectorat, créer une monnaie nationale, marocaniser la justice et la radio, instaurer des réformes économiques et sociales… Le tout en exigeant que le roi et le prince héritier, futur Hassan II, ne s’immiscent pas dans les affaires de son cabinet.
“Vous voulez m’imposer les conditions que m’imposait Guillaume [Augustin Guillaume, résident général de 1951 à 1954]”, leur rétorquait Mohammed V, jaloux de ses toutes jeunes prérogatives. Mais son fils, préférant les actes aux paroles, mènera une guerre sur tous les fronts pour faire tomber un Abdellah Ibrahim indomptable. Multipliant les coups bas, le prince héritier, avide de pouvoir, ira jusqu’à perpétrer un coup d’État pour trôner en maître absolu à la tête du gouvernement. Mais les réformes menées par l’ancien résistant, qui a passé l’arme à gauche en 2005, ont survécu malgré soixante ans de turbulences.
L’homme providentiel
Deux ans après l’indépendance, le pouvoir est l’objet de disputes entre une monarchie fragilisée par un demi-siècle de Protectorat et un Parti de l’Istiqlal puissant mais divisé en deux camps. Pauvreté, analphabétisme, dépendance vis-à-vis de la France… le pays, où il n’existe pas encore de Constitution, et où aucune élection n’a encore eu lieu, est menacé par la crise.
Crise d’autant plus alarmante que le Rif, foyer de la résistance, est en ébullition depuis un an, devenant même hors de contrôle. “C’est là qu’Oufkir réprime la rébellion par l’armée sur ordre du prince héritier”, rappelle l’ancien résistant Mohamed Bensaïd Aït Idder. Le gouvernement d’Ahmed Balafrej, formé en mai 1958, est acculé à jeter l’éponge sept mois plus tard, après la démission de son vice-président et ministre de l’Économie, Abderrahim Bouabid.
“Pour résoudre la crise, Mohammed V a eu l’idée d’appeler Fqih Belarbi Alaoui pour convaincre Abdellah Ibrahim de former un nouveau gouvernement”, poursuit Aït Idder. “Mohammed V essayait à tout prix de trouver une solution, il a commencé d’ailleurs par appeler Allal El Fassi pour le nommer Chef de gouvernement. Mais après avoir pris connaissance des différends entre les clans au sein de l’Istiqlal, le roi a renoncé à nommer Allal El Fassi, lui préférant Abdellah Ibrahim qui était un homme de consensus au sein du parti”, explique Abdelhak Tazi, ex-ministre au fait des négociations.
Abdellah Ibrahim, droit dans ses bottes, refuse de lâcher du lest. “Mes conditions pour accepter étaient d’avoir toutes les prérogatives dans tous les secteurs ministériels (…) Parmi les autres conditions: rendre ses biens à la famille de Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi depuis son exil en 1926, le retrait des forces étrangères et la libéralisation de l’économie nationale”, égrène le signataire du Manifeste de l’Istiqlal, cité par le chercheur et ami du défunt, Mohamed Louma, dans son livre Des années de résistance au milieu de la tempête.
Mohammed V négocie avec Ibrahim durant deux mois, mais sans succès. “Quand on n’a pas pu arriver à un accord, il m’a dit clairement que si je n’acceptais pas, il voyagerait à La Mecque où il resterait jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée à cette crise”, poursuit Abdellah Ibrahim dans le même livre. Le gouvernement Abdellah Ibrahim voit finalement le jour le 24 décembre 1958. Epaulé de dix ministres, le Chef du gouvernement luttera contre vents et marées pour marquer son territoire. Affaire loin d’être aisée face au prince héritier Moulay El Hassan, qui agit déjà comme un roi.
Réformateur avant l’heure
“Il ne suffit pas de brandir des slogans”, se plaisait à dire Abdellah Ibrahim, selon son fils Tarik. Avec un Abderrahim Bouabid au département de l’Économie, conseillé par Abraham Serfaty, le nouveau patron de l’exécutif avait sur qui compter. Parmi les réalisations d’Abdellah Ibrahim : la création de Bank Al-Maghrib, du dirham marocain après avoir détaché le franc marocain du franc français. C’est aussi sous son gouvernement qu’ont été créés la Banque nationale de développement (BNDE), le Bureau d’études et de participations industrielles, la BMCE ou encore le Bureau de recherches et de participations minières. Le raffinage n’est pas en reste puisque la Samir est aussi l’œuvre du cabinet d’Abdellah Ibrahim.
Côté agriculture, il lance la réforme agraire en multipliant les incitations. L’État s’engage à fournir tous les outils agricoles, ainsi que les techniques de plantation, de moisson, de traitement et de commercialisation. Les agriculteurs toucheront ainsi un revenu de l’État en tant que propriétaires terriens, revenu doublé d’une somme supplémentaire s’ils acceptent de travailler sur ces propriétés comme agriculteurs. “Bien entendu, cette méthode est totalement différente des méthodes socialistes ou capitalistes, selon ce que j’ai pu constater durant mes nombreuses visites à l’étranger”, précise Abdellah Ibrahim dans l’ouvrage de Mohamed Louma.
Pour mieux mener sa réforme, l’homme arrache plus de 40 000 hectares de terres aux anciens colons, ce qui ne manque pas de les faire réagir. “J’ai reçu du procureur général du tribunal français de Kénitra une convocation pour répondre aux accusations des colons français contre moi (…), ce qui signifie que le procureur avait l’intention d’arrêter le Premier ministre marocain après l’indépendance”, ironise le leader de gauche, qui répond du tac au tac à son interlocuteur, rapporte Louma.
“J’ai convoqué le ministre de l’Intérieur, Driss Mhamdi, pour lui en faire part et lui demander de se rendre à Kénitra pour informer le procureur et ses juges français de quitter le Maroc dans un délai de 24 heures, sous peine d’être arrêtés par la justice marocaine”, poursuit-il, se félicitant que l’ordre ait été exécuté avant le délai fixé.
Il en fait de même avec les bases américaines, qu’il chasse après s’être entretenu avec le président américain Eisenhower. L’importance de l’affaire est telle que le New York Times lui consacre deux longs articles en octobre 1959. Déterminé, il poursuit ensuite sa réforme de Radio Maroc, entamée dès 1956 lorsqu’il était aux commandes du département de l’information. “Pour diffuser un communiqué, on lui disait de passer par Paris d’abord, comme si on était encore colonisés”, se rappelle Mohamed Louma.
Là encore, Abdellah Ibrahim a tapé du poing sur la table contre la dizaine de journalistes qui y officiaient. Et c’est Mehdi El Manjra qui prendra les commandes de Radio Maroc en 1959. L’antenne est ainsi libérée. Ibrahim n’a pas oublié non plus le combat des Algériens pour la libération, facilitant le transit d’armes par tous les moyens, ce qui déplaît au futur Hassan II.
Guerre d’usure
“Tu ne vois en moi que le prince héritier, alors que je suis militant comme toi, un humain comme toi, qui a l’ambition de jouer un rôle dans son pays. Tu sais que mon père est encore jeune et je n’ai pas l’intention de ne lui succéder que lorsque je porterai un dentier.” C’est ce que dira Moulay El Hassan à Abderrahim Bouabid lors d’un dîner en tête à tête. Une ambition démesurée qui fauchait tout sur son passage. Il commence d’abord par placer ses pions dans le gouvernement d’Abdellah Ibrahim, comme Mohamed Medbouh, Mohamed Bahnini ou encore Mohamed Laghzaoui, plus proche du Palais que du Parti de l’Istiqlal. La police, la gendarmerie et l’armée sont entre les mains du prince.
Ibrahim en fait l’amère expérience dès août 1959. Invité par le Chef du gouvernement, Che Guevara arrive au Maroc où il est cueilli par la police à l’aéroport, sans qu’Ibrahim n’en soit informé. Son hôte argentin est placé en résidence surveillée à l’hôtel Balima de Rabat. Un scandale aux yeux du Chef du gouvernement qui appelle illico Mohamed Laghzaoui, directeur de la sûreté nationale, dont la réponse renseigne sur le rôle du futur roi. “Il m’a expliqué qu’il appliquait les directives de Smyet Sidi. Je lui ai dit que ce comportement était inacceptable et que comme c’est mon hôte, sa réception m’appartient à moi seul”, rapporte Louma. Le révolutionnaire argentin est remis en liberté grâce à l’intervention directe d’Abdellah Ibrahim.
Mais le signataire du Manifeste de l’Istiqlal n’est pas au bout de ses peines. Quatre mois plus tard, Fqih Basri et Abderrahmane Youssoufi, respectivement directeur et rédacteur en chef du journal Attahrir, sont arrêtés à son insu pour atteinte à la personne du roi. Un coup dur pour Abdellah Ibrahim, dans la guerre de tranchées que lui livre le prince héritier. Dans la foulée, de nouvelles arrestations pour complot contre le prince ont lieu, pour “un motif fallacieux”, précise Bensaïd Aït Idder.
Même la rébellion du Rif est instrumentalisée pour faire tomber le gouvernement Ibrahim, en lui faisant porter la responsabilité des troubles. “Un jour, il [Moulay Hassan] a frappé à ma porte en me disant que, lors d’une visite dans le Rif, on avait tiré des coups de feu sur son hélicoptère pour l’assassiner. Je lui ai dit que j’étais prêt à revenir au même endroit à bord du même hélicoptère, ce qu’on a fait. (…) Il n’y avait aucun résistant”, se souvient Ibrahim, cité par Mohamed Louma.
Ahmed Réda Guedira, en bon serviteur zélé, crée les FAR, un journal dont la raison d’être n’est autre que de tirer à boulets rouges sur le gouvernement d’Abdellah Ibrahim. Lancé en 1957 par Mahjoubi Aherdane et Abdelkrim Khatib, le Mouvement populaire est un autre instrument de Sidna pour venir à bout d’Ibrahim. Et comme s’il n’avait pas suffisamment d’ennemis, le Chef du gouvernement est attaqué au sein de son propre camp, à commencer par Allal El Fassi.
Dès la formation du cabinet en décembre 1959, la figure historique de l’Istiqlal se fend à son tour d’éditoriaux virulents contre Ibrahim dans Al Ayam, hebdomadaire créé pour l’occasion (et qui cessera de paraître dès la chute de son gouvernement). “Le clan qui se revendique “progressiste” a décidé de rompre avec l’Istiqlal et de former sa propre formation politique. Cela a été un coup dur pour le Mouvement national. C’est ce que voulait le Palais en réalité”, estime Abdelhak Tazi. Au Mouvement populaire et au clan d’Allal Al Fassi se joint aussi le PDI (Parti démocratique de l’indépendance), appelé la troisième force.
Prince et putschiste
Ses coups bas pendant un an et demi n’ayant pas réussi à faire fléchir Abdellah Ibrahim, le prince héritier décide d’y aller franco. Le 20 mai 1960 au soir, à quelques mois des premières élections communales, il passe un coup de fil au Chef du gouvernement. Sa teneur : un rendez-vous pour le jour suivant où il y aura une passation de pouvoir. Ibrahim ne fait aucune objection sérieuse et se rend, le lendemain, à 8 heures du matin, au palais royal où l’attendent Moulay El Hassan et Guedira.
L’échange est tendu. “Le prince héritier a insisté pour que je m’assoie, ce que j’ai refusé, en lui disant que je pouvais travailler debout”, raconte Ibrahim dans l’ouvrage de Louma. Guedira, qui scrute les dossiers que lui tend Abdellah Ibrahim, lève la tête et lui lance : “Et où est la caisse noire ?” Et le Chef du gouvernement de répondre : “Je n’ai pas de caisse noire. (…) Puis, celui qui s’occupe des dépenses, c’est le secrétaire général, Bahnini, votre ministre. Donc pourquoi cette question ?” Abdellah Ibrahim quitte le palais, démis de son poste et escorté de blindés. “L’exécutif s’était retiré sous la menace des chars”, écrivait le journaliste français Roger Muratet. Le leader de l’UNFP cède ainsi la place à Moulay El Hassan, qui devient président du conseil, en plus de son titre de prince, de patron de l’armée et de la police.
Ibrahim, grand prince
Écoutez, vous êtes vraiment imbéciles. Vous attendez du roi qu’il vous donne raison contre son fils. Si vous souhaitez avoir l’oreille de Mohammed V, devenez plutôt l’ami du prince
Guedira aux leaders de l’Istiqlal
À la question d’Eric Laurent sur la nature du conflit qui l’opposait à Abdellah Ibrahim, Hassan II, laconique, a cette réponse qui prête à sourire dans Mémoires d’un roi : “Je crois, si je ne me trompe pas, que c’est Louis-Philippe qui affirmait que le roi Louis-Philippe avait honoré les dettes du duc d’Orléans. Eh bien, Hassan II a complètement oublié les querelles du prince héritier. Je ne me souviens plus, je suis amnésique.”
Sans nommer Abdellah Ibrahim, Hassan II rapporte, dans Mémoires d’un roi, les propos de son conseiller Guedira, lors d’une rencontre avec les leaders de l’Istiqlal : “Écoutez, vous êtes vraiment imbéciles. Vous attendez du roi qu’il vous donne raison contre son fils. N’escomptez jamais qu’il sacrifie le prince héritier pour vous. Si vous souhaitez avoir l’oreille de Mohammed V, devenez plutôt l’ami du prince.” Abdellah Ibrahim a choisi son camp et il a perdu son combat pour “une monarchie qui règne mais qui ne gouverne pas”.
Le seul homme sincère est Abdellah Ibrahim. Celui-là arrive de la planète Mars
Hassan II à Mahjoubi Aherdane
Il en gardera une blessure profonde mais n’en tiendra pas rigueur à Hassan II. “La relation entre les deux hommes était basée sur le respect”, nous dit son fils Tarik Ibrahim. Dans ses Mémoires, Mahjoubi Aherdane rapporte cette discussion en aparté avec Hassan II, qui témoigne du respect qu’imposait l’homme : “Allal El Fassi et Bouabid parlent et discutent en se disant que s’ils ne sont pas ministres, ils peuvent être députés. Ils veulent galoper sur deux chevaux en même temps. Le seul homme sincère est Abdellah Ibrahim. Celui-là arrive de la planète Mars.”
Plus tard, il refusera les traditionnels moutons de l’Aïd, offerts par le Palais, comme il refusera le selham qu’a voulu lui offrir Hassan II. Son combat, Ibrahim le poursuivra au sein de l’UNFP et à travers ses écrits, où il défend ses idées modernistes. Lui qui a fait ses premières études dans une école coranique, avant de rejoindre la Sorbonne où il aura comme enseignant le philosophe Jean-André Wahl.
Pensée. Du msid à la Sorbonne
L’islam à l’horizon 2000, Résistance dans la tempête, des recueils d’articles… le militant avait à cœur de transmettre la thèse d’un islam soluble dans la modernité. “Abdellah Ibrahim a cassé le mur traditionnel des années 1940, dominé par la culture de l’apprentissage par cœur et la répétition”, souligne un document transmis à TelQuel par la Fondation Abdellah Ibrahim pour les études, les recherches et le développement social.
Le natif de Marrakech, où il passe ses jeunes années à apprendre le Coran, publie ses premiers articles à l’âge de 14 ans. Mais la personnalité du futur Chef du gouvernement se forge en France, où il fait la rencontre, d’après son entourage, de Jean-Paul Sartre, François Mauriac et d’autres écrivains et penseurs du même calibre. Il sera un élève assidu de Jean-André Wahl, alors professeur d’histoire de la philosophie à la Sorbonne et auteur de plusieurs ouvrages sur Platon, Descartes et Hegel.
Des lectures qui façonnent celui qui refusera de se compromettre après son éviction en 1960. Fidèle à ses valeurs, il suit l’UNFP au détriment du camp conservateur. De même, son attachement à la question palestinienne et à la question algérienne jusqu’à l’indépendance de ce pays resteront intacts.
Exécutif. L’histoire bégaie
Les déboires du gouvernement d’Abdellah Ibrahim ne sont pas sans rappeler l’expérience d’Abderrahmane Youssoufi. Le premier, au lendemain de l’indépendance, croyait pouvoir user du poids de l’Istiqlal pour pousser la monarchie à se cantonner à un rôle d’arbitre.
Une sorte de pacte liait Mohammed V à Abdellah Ibrahim : un gouvernement indépendant, doté de prérogatives réelles, à même d’assurer la transition en attendant que les premières élections communales aient lieu. Mais à peine la “crise” est-elle surmontée que le prince héritier Moulay El Hassan, sûr de lui, fomente un putsch qu’il exécute un an et demi après la formation du gouvernement Ibrahim.
Le même pitch se répète en 1998 : après plusieurs rounds de négociations, Abderrahmane Youssoufi accepte de conduire l’alternance. Mais le pacte de l’alternance (consensuelle) conclu avec Hassan II est rompu en 2002 par le Palais, car à nouveau la crise a été surmontée.
“Le gouvernement d’Abdellah Ibrahim est né dans d’autres conditions historiques, un autre contexte”, nuance son fils Tarik Ibrahim. Toujours est-il qu’Ibrahim comme Youssoufi ont tous les deux souffert d’attaques au sein de leur propre camp, de scission, d’instrumentalisation de la presse et de coalitions cocotte-minute. Et les mêmes causes ont produit les mêmes effets.
Tarik Ibrahim : “Mon père a toujours été franc avec Hassan II ”
Le fils d’Abdellah Ibrahim a été l’un des confidents de son père. Il nous livre quelques confessions qu’il lui a faites.
Que vous racontait votre père sur son expérience gouvernementale ?
Mon père m’a toujours rappelé les conditions intérieures et extérieures très compliquées et dangereuses dans laquelle son gouvernement a été formé. Il insistait sur le fait que son exécutif était indépendant politiquement, responsable, s’appuyait sur une base populaire et avait une orientation sociale. Il rappelait qu’il avait été “Chef de gouvernement” et non un simple “Premier ministre”, à la suite d’un contrat clair passé entre Mohammed V et lui. Il m’a expliqué qu’il y avait unanimité sur un programme bien défini pour développer le Maroc du point de vue politique, économique et social. Ceci, malgré un certain manque de cohésion entre les membres de son gouvernement. Il voulait poser les bases d’un État progressiste respectant les droits de chacun et tenant compte des priorités du pays.
Comment qualifiait-il la chute de son gouvernement ?
Il avait une culture politique large et tenait compte de la situation interne compliquée. Aussi, il a mis l’intérêt du Maroc au-dessus de toute autre considération. Il reconnaissait cependant qu’il avait été remercié, et n’a jamais parlé de démission. Après cela, il n’a pas pour autant abandonné son action politique car il n’agissait pas dans l’objectif d’avoir le pouvoir pour le pouvoir. Il est resté actif comme opposant au sein de l’UNFP et d’organisations syndicalistes, avec toujours le même but : plus de démocratie au Maroc.
Après avoir été remercié par le prince héritier, futur Hassan II, quelle relation a-t-il entretenue avec lui ?
La relation entre les deux hommes était basée sur le respect. Hassan II appréciait la sincérité de mon père car il considérait qu’il ne tenait pas de double discours. Mon père a toujours été franc avec Hassan II.
Que pensait-il de l’expérience de l’alternance et du gouvernement Youssoufi ?
Pour lui, l’alternance des hommes n’était pas la solution si elle ne s’accompagnait pas d’une alternance de programme. Une alternance issue des urnes, accompagnée de moyens pour lui donner chair, soutenue par les institutions et protégée par la Constitution.
Comment jugeait-il Mohammed VI ?
Il considérait qu’il avait ouvert une nouvelle phase de l’histoire du Maroc. Mohammed VI avait une considération spéciale pour mon père auquel il a remis une médaille, la fois où il lui a rendu visite à notre domicile casablancais. J’étais là le jour où mon père a été reçu par Mohammed VI juste après être monté sur le trône. Il était très heureux de rencontrer le nouveau monarque.
Quelles sont les personnalités qui lui rendaient visite ?
La maison de mon père est toujours restée, jusqu’au dernier jour de sa vie, ouverte à tous les leaders politiques, aussi bien marocains qu’étrangers, mais aussi à de simples citoyens. Il recevait Abderrahmane Youssoufi, Allal El Fassi, El Hachemi El Filali (l’un des pionniers du Mouvement national) ou Mehdi El Manjra. À titre d’exemple, il a aussi accueilli le chancelier allemand Helmut Schmidt, le penseur syrien et cofondateur du parti Baas Michel Aflaq, et le poète Adonis.
Crédit des photos exclusives : Fondation Abdellah Ibrahim pour les études, les recherches et le développement social.
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