Son intervention était très attendue, l’exercice, délicat. Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est présenté, pendant presque deux heures, le lundi 11 janvier devant les députés membres de la commission spéciale du projet de loi contre le séparatisme (rebaptisé projet de loi confortant le respect des principes de la République). Hospitalisé suite à une sciatique, il a fait entendre ses remarques sur le projet de loi une semaine après les représentants des autres cultes.
Il était auditionné alors que des tensions animent certaines des neuf fédérations qui composent le CFCM. En effet, le 28 décembre, Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la mosquée de Paris et vice-président du CFCM, s’est retiré brusquement du projet de Conseil national des imams (CNI), censé permettre de former les imams et mieux encadrer l’islam de France. Il dénonçait alors l’influence d’une “composante islamique au sein du CFCM”, laissant seul Mohammed Moussaoui sous la pression de l’Exécutif. Le CNI étant un projet directement demandé par le président de la République lors de son discours du 2 octobre aux Mureaux présentant les grandes lignes du projet de loi contre les séparatismes.
Devant la représentation nationale, Mohammed Moussaoui a dit ne pas réussir à “trouver de motifs clairs » quant à ce retrait, et accuse le recteur de la grande mosquée de Paris de “jeter l’opprobre sur l’ensemble des composantes du CFCM” en ne nommant pas clairement la ou les fédérations qu’il qualifie d’islamistes.
Depuis, les fédérations semblent s’être rabibochées. Le 17 janvier, Mohammed Moussaoui annonce l’adoption d’une charte des valeurs qui “réaffirme la compatibilité de la foi musulmane avec les principes de la République” dans un communiqué. “Dès sa validation [par l’ensemble des fédérations], une audience auprès du président de la République sera sollicitée pour la mise en place officielle du Conseil national des imams”, précise le communiqué.
Le risque d’un “délit de faciès sur personne morale »
Au centre du projet de loi, le statut juridique des mosquées. L’écrasante majorité d’entre elles est enregistrée sous un statut dit “mixte”. Autrement dit, elles ont comme support administratif le régime des associations de la loi 1901, prévu pour les associations à but non lucratif et non sous la loi de 1905, comme c’est généralement le cas pour les cultes — à l’exception des églises catholiques qui jouissent d’un régime légèrement différent —, car elles exercent à la fois des activités cultuelles et culturelles.
Le gouvernement souhaite voir basculer les mosquées vers la loi 1905, car celle-ci oblige les associations à plus de transparence et donne à l’État des outils de contrôle supplémentaires, encore renforcés par le projet de loi. Via la police des cultes, l’État peut ainsi empêcher la tenue de réunions politiques, interdites dans les lieux de culte, et veiller à ce que la pratique religieuse ne remette pas en cause l’ordre républicain. “Nous craignons que des fonctionnaires zélés utilisent cet outil pour embêter les bons élèves”, s’inquiète le président du CFCM devant la représentation nationale. Le Franco-Marocain demande des outils de contrôle pour éviter que se mette en place “un délit de faciès sur les personnes morales, comme il en existe sur les personnes physiques”.
Pour inciter le passage vers la loi 1905, le gouvernement compte aussi durcir le régime des associations mixtes et mettre en place des avantages fiscaux pour les associations enregistrées sous la loi 1905. Principal changement envisagé, la possibilité pour celles-ci de gérer la location d’un bien immobilier quand celui-ci est donné gracieusement par un membre de la communauté.
“Ce n’est pas intéressant, juge Mohammed Moussaoui. La disposition existe déjà sous la loi 1901, et ne permet pas d’inciter les mosquées” à changer leur statut. De plus, il juge que “les anciennes générations des musulmans ont un revenu modeste et n’ont pas constitué de revenu immobilier à léguer aux associations”. Le président du CFCM plaide pour que la loi aille plus loin et veut permettre “aux fidèles de doter leurs lieux de culte de biens immobiliers via une souscription collective”.
Il plaide aussi pour une défiscalisation plus importante pour les dons faits aux mosquées, “en les faisant passer de 66 % à 75 %, même si cela ne fait pas partie du projet de loi”. Car, en instaurant des contraintes nouvelles sur les mosquées, le projet de loi “risque d’engendrer des frais supplémentaires”.
Islamisme ou islamisme radical ?
L’autre bataille du président du CFCM est sémantique. Dans le projet de loi, il est écrit qu’un “entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste”. Islamiste, un mot qui fait tiquer à plusieurs reprises Mohammed Moussaoui. Pour lui, “avoir choisi de désigner cette idéologie par islamisme n’est pas judicieux. Jusqu’aux années 1970, le terme islamisme était synonyme d’islam”. Pour éviter tout malentendu avec le monde arabo-musulman où “le mot islamisme est souvent traduit par islam”, il souhaite que le mot islamisme “soit systématiquement suivi par les adjectifs radical ou extrémiste, pour marquer une certaine distance vis-à-vis de l’islam”.
[logora-synthese]
Le projet de loi continue à être étudié en commission, avant d’être débattu à l’Assemblée nationale à partir du 1er février pour deux semaines seulement, dans le cadre d’une procédure accélérée. Ce qui ne “permet pas le débat”, se désole le représentant du CFCM.
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