Quatre ans après l’attentat de la mosquée de Québec, la peur des Marocains de la province

Le 29 janvier 2021 marquait le quatrième anniversaire de l’attentat de la mosquée de Québec. Depuis, le choc et la vague de soutien sont largement retombés. Le racisme continue d’alimenter les débats, mais la peur perdure parmi les populations musulmanes et d’origine arabe. Comment se sentent les Marocaines et Marocains au Québec quatre ans après ?

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Depuis quatre ans au Québec, le 29 janvier est synonyme d’unité. Cette année, l’anniversaire de l’attentat de la mosquée de Québec n’a pas dérogé à la règle. Plus de 600 personnes ont assisté, depuis leur écran, aux discours qui se sont tenus devant le mémorial de la Ville de Québec. C’est l’occasion de rendre hommage aux victimes, mais aussi de rappeler que le racisme et l’islamophobie n’ont pas disparu.

Le drame a eu lieu quatre ans plus tôt, le 29 janvier 2017. Il était 19 h 50, pendant l’heure de la prière. Le tueur a pénétré dans le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) pour s’en prendre aux fidèles. Six hommes ont été assassinés, 19 autres ont été blessés. L’une des victimes était Azzedine Soufiane, un épicier maroco-canadien de 57 ans, qui a donné sa vie pour un autre.

“On était choqués. Nous avions de la famille à Québec. On a ressenti comme une intrusion dans notre quotidien”, raconte Saad, étudiant en psychologie à Montréal. Sa famille et lui sont partis du Maroc pour s’installer au Québec en 2010.

Depuis, le 29 janvier amène chaque année un afflux de soutiens pour les musulmans du Québec. Mais une fois l’anniversaire fini et les discours prononcés, les mêmes problématiques continuent de rythmer les débats publics et la vie des Marocains et de leurs enfants au Québec. Elle est où la solidarité depuis l’attentat ? On a besoin maintenant. On vit toujours du racisme”, se demande Saad.

Discriminations systémiques

Le taux de chômage des personnes nées au Maroc est deux fois plus élevé (12,8 %) que la moyenne provinciale (7,1 %), selon les données du dernier recensement de 2016. 43 % des victimes d’actes haineux rencontrées étaient arabes et 59 % étaient de confession musulmane, selon une étude publiée en 2019 par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.

 Tout cela amène à nous questionner sur notre place ici 

Saad, étudiant marocain à Montréal

La loi 21 a catalysé ces actes haineux. En juin 2019, pour répondre à un besoin social”, le gouvernement adopte la Loi sur la laïcité. S’inscrivant dans plus de 15 ans de débats sur la religion, elle interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité ou aux enseignants du secteur public. “Tout cela amène à nous questionner sur notre place ici”, réfléchit Saad.

Une aggravation de la situation

“Je vois vraiment une aggravation de la situation”, affirme Inès*, une mère de famille vivant dans la Ville de Québec. “Quand on était enfant, il n’y avait pas tous ces problèmes. Chacun vivait sa vie sans se justifier”, regrette-t-elle.

Née au Maroc, Inès est arrivée au Québec au début des années 2010 avec ses parents. Comme beaucoup d’autres, elle se sent bien au Québec. La dernière année pourtant, elle a été confrontée à des gestes ou des remarques à cause de son origine ou de sa religion.

“Je suis allée voir une psychologue et pendant que je parlais, elle m’a regardé, très concentrée, et m’a dit : ‘Je suis fière de toi, tu parles bien français’”, raconte la jeune femme, excédée. Une autre fois, alors qu’elle discutait en arabe avec son mari devant un café, un passant leur aurait expliqué : Il faut arrêter de parler arabe et rentrer chez vous si vous ne voulez pas parler français.”

Ce sont autant de petites expériences qui, ajoutées aux discriminations et aux débats publics, la font craindre pour son enfant à qui elle apprend l’arabe : “Je redoute de devoir lui dire de ne pas parler arabe en dehors de la maison, de lui expliquer que ce n’est pas forcément accepté dans son environnement.”

Sentiment de peur

Ces remarques auxquelles Inès a fait face, Saad les connaît bien. Il raconte justement qu’il n’est pas rare de se faire insulter, de lire des commentaires haineux sur les réseaux sociaux, que des amies se soient fait arracher leur voile ou jeter des bières dessus. “Cela crée un sentiment de peur pour nos proches, mais on ne peut rien y faire”, déplore Saad.

Quatre ans après l’attentat, les Marocains du Québec et leurs enfants ont donc toujours peur. Et ce climat social n’est pas sans conséquence sur la santé mentale. “Je trouve que les insultes sont moins violentes que les commentaires sournois d’un collègue de travail”, affirme l’étudiant. Ce genre de situations sont pour lui les pires, car elles sont une grande source de stress. “Ça t’accompagne toute la journée, tu te questionnes, tu ne sais pas comment les interpréter”, poursuit-il.

Représentation

Au-delà de cette peur qui s’est installée, on déplore aussi le manque de représentation dans les médias et la mauvaise image des personnes musulmanes ou arabes. “Quand j’allume la télévision, je ne m’attends pas à être représenté”, déplore-t-il.

En décembre 2020, Adib Alkhalidey, artiste et humoriste québécois d’origine irakienne et marocaine, pointait du doigt la même situation lors de son passage à la très populaire émission Tout le monde en parle : “On est en train de priver une génération entière du droit de s’identifier au Québec”, s’emportait-t-il ce soir-là. Son émission Pause Khawa était l’un des programmes préférés de Saad. “Juste au titre, il y a quelque chose qui vient te chercher, toi”, rit-il.

On est en train de priver une génération entière du droit de s’identifier au Québec 

Adib Alkhalidey, artiste et humoriste québécois

Pour lui, ce sont ce genre de contenus qu’il faut développer pour aider au sentiment d’appartenance et réduire la méconnaissance. Car en dépit de ce climat de peur, des remarques et des agressions, la majorité des Marocains, voire des Québécois d’origine arabo-musulmane, continue d’aimer le Québec. “Je suis fier d’être ici. J’aime Montréal et tout ce qu’elle représente”, affirme Saad. Une fierté alimentée par l’espoir que la situation s’améliore.

*Pour respecter leur anonymat, ces prénoms ont été modifiés

Quelles réponses des pouvoirs publics contre le racisme ?

  • Le 13 janvier, Bochra Manaï est nommée à la tête de la Commission à la lutte du racisme et des discriminations de la Ville de Montréal. Une nomination critiquée par certains commentateurs, militants et chercheurs, mais aussi par le Premier ministre québécois François Legault.
  • Au Canada, le Premier ministre Justin Trudeau a fait du 29 janvier la “Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie”. Chose que le François Legault avait déjà refusé de faire.
  • Au printemps 2020, Québec avait mandaté un Groupe d’action contre le racisme (GACR) de produire un rapport sur cet enjeu. Les recommandations et un ministère dédié devraient être mis en place d’ici fin 2022.

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