LGBTQI+, ils n’ont pu vivre leur identité qu’après avoir quitté le Maroc

Pressions sociales, promiscuité familiale, textes de loi pénalisant l’homosexualité… Difficile d’assumer son identité lorsqu’on est LGBTQI+ au Maroc. Conséquence, nombreux sont celles et ceux qui recourent à l’exil comme unique solution. Témoignages.

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Samy a quitté le Maroc sans valises, mais le corps et l’esprit chargés de traumatismes. Toujours en quête d’identité, le jeune homme ne se définit “pas comme homosexuel, mais plutôt bi ou pansexuel (attirance sexuelle ou sentimentale envers des personnes indépendamment de leur sexe ou de leur genre, ndlr)”. “Tout ce que je sais, c’est que je suis différent, et ce depuis l’enfance”, ajoute-t-il. 

Une enfance marquée par les coups que lui infligeait sa mère. “J’étais trop efféminé pour elle. Elle pensait qu’en me frappant j’allais entrer dans le moule et ne ratait donc aucune occasion de le faire.”  Samy le raconte avec légèreté, il en rit même parfois. Pourtant, son discours est glaçant. “Quand je ne me défendais pas pendant une bagarre à l’école, quand je faisais un bruit pas assez viril pour elle, quand je marchais d’une certaine manière, elle me frappait… Elle a même voulu me marier à l’âge de 16 ans. Heureusement, la fille en question a épousé un gars plus riche”, ironise-t-il aujourd’hui.

Six mois à trois ans de prison

Il n’arrive pas non plus à trouver refuge auprès des hommes qu’il rencontre sur certaines applications. “Les Marocains étaient violents. L’un d’entre-eux m’a étranglé dans les toilettes d’un bar quand j’ai refusé ses avances.” Les touristes, eux, ne se rendent pas compte du danger, “ils voulaient m’embrasser dans la rue car eux ne risquent rien”. Samy, lui, aurait pu se retrouver derrière les barreaux. Le Code pénal marocain qualifie les relations homosexuelles d’actes licencieux ou contre nature”. Elles sont passibles de six mois à trois ans de prison. 

Baccalauréat en poche, en 2015, le jeune homme profite d’aller faire des études en France pour y rester. “Ici, tout n’est pas toujours rose, mais le pire que j’ai pu expérimenter c’est des mémés qui crachent par terre parce que je les dégoûte quand je me balade en robe. Là-bas, ce n’est même pas envisageable de porter un vêtement dit féminin.” Après cinq années d’errance entre la France, le Maroc et d’autres pays d’Europe, Samy finit par obtenir son statut de réfugié. “Un soulagement”, souffle-t-il. 

En France, tout n’est pas toujours rose non plus

Samy, exilé en France

Comme lui, nombreuses sont les personnes qui quittent le Maroc pour vivre leur identité de genre, et leur sexualité. Mais difficile de donner un chiffre précis, car toutes ne demandent pas l’asile. Le dernier rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en témoigne : les demandes fondées sur l’identité de genre en provenance du Maghreb viennent principalement de ressortissants algériens. Le Maroc arrive en troisième position, après la Tunisie.

Séquestration et mariage forcé

Inès, 30 ans, vit avec son épouse à Paris. Quand elle vivait à Rabat, elle était loin de s’imaginer un tel dénouement. “J’étais dans un lycée assez populaire, et je voyais les garçons efféminés se faire lyncher. Forcément, je ne pouvais pas en parler”, se souvient-elle. Sa seule confidente à l’époque, sa petite copine. L’avantage, vu qu’on est deux filles, c’est qu’on pouvait dormir l’une chez l’autre sans soupçons.

Le stratagème ne tient que quelques mois. Lasses de vivre dans le secret, les amoureuses décident de quitter le Maroc. Visa, inscription universitaire, logement, tout était prêt. Mais l’été de notre départ, la mère de ma copine a lu un petit mot que je lui avais laissé. Elle a tout compris, l’a séquestrée, puis l’a mariée de force”, raconte la jeune femme, la voix teintée de colère autant que de combativité. Elle précise : J’étais décidée à partir de toute façon, mais cette histoire a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je ne pouvais plus rester.

Si Samy et Inès ont pu expérimenter les prémices de leur orientation sexuelle au Maroc, Assia, 27 ans, ne questionnait pas la sienne. Aujourd’hui, je sais que je suis homosexuelle, mais au Maroc, je ne me disais même pas que ça pouvait exister. Les lesbiennes n’étant pas visibles, je n’avais pas de modèle auquel m’identifier. Je m’en foutais des garçons sans penser que j’aimais les filles”, explique-t-elle. D’autant plus que la première fois qu’Assia est confrontée au mot lesbienne”, c’est lorsqu’elle se fait insulter au collège pour son look trop masculin”.

Au Maroc, les lesbiennes n’étant pas visibles, je n’avais pas de modèle auquel m’identifier

Assia, 27 ans

Ce n’est qu’une fois installée en France, et qu’une amie lui fait son coming-out, qu’Assia découvre ce terme sous un autre prisme. Cette fois, c’était une fierté et non une insulte. Mon amie revendiquait le fait d’être lesbienne, c’est là que j’ai compris que c’était pareil pour moi. Je me suis remémorée plusieurs épisodes de ma vie, puis je me suis dit : c’est ce que je suis en fait, je suis lesbienne.

Incompréhension et invisibilisation

Même si son arrivée en France a permis à Assia de mettre des mots sur ce qu’elle est, de vivre sans se cacher, elle ne se retrouve pas dans ce qu’elle appelle le milieu militant blanc”. On y subit du racisme ordinaire, nos problématiques ne sont pas comprises et on est stigmatisées comme étant la lesbienne arabe en rupture avec sa famille”, regrette-t-elle.

Et cette discrimination sévit même dans les lieux supposés être plus alertes sur ces questions. Elle se souvient de son expérience dans un bar parisien pour femmes queer : Je rencontre une fille, on rentre ensemble, et la nana me dit : tu penses quoi du voile islamique ?”  

Le problème c’est qu’on ne peut pas se réfugier totalement dans la communauté d’origine – arabe ou musulmane. Et on n’est pas forcément toujours à l’aise dans la communauté queer non plus”, soulève Nour, l’une des fondatrices des Mille et une queer, une organisation féministe réservée aux femmes LGBTQI+ originaires du Maghreb.

Elle déplore une accumulation des discriminations en tant que femmes, lesbiennes, perçues comme arabes et musulmanes”. Ce qui revient beaucoup chez les filles du collectif, c’est l’injonction au coming-out dans les couples mixtes, par exemple. Pas mal de femmes n’ont pas envie de rompre avec leur famille, et elles se heurtent donc à l’incompréhension de leur entourage.

D’autres associations, comme Shams France, viennent en aide aux personnes LGBTQI+ vivant en France et ayant des origines maghrébines et moyen-orientales. On n’est pas représentés en France. Dans les autres collectifs, on n’existe pas, et nos problèmes non plus. On doit se fondre dans la masse, tandis qu’ici, au moins, on partage les mêmes difficultés et on peut en parler”, conclut Yacine Djebelnouar, le président de l’association.

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