Italiens, Roumains, Marocains, Turcs, Néerlandais ou encore Français… La Belgique, pays d’un peu plus de 30 000 km², est un vrai melting-pot. D’après les derniers chiffres publiés par Statbel, office belge de la statistique, une personne sur huit vivant dans le pays serait de nationalité étrangère. Mais cette étude sur l’origine de la population belge de ces dix dernières années met également au jour une situation encore jamais vue jusqu’ici : la nationalité marocaine est en tête du top 5 des nationalités étrangères présentes dans le pays. Pour la première fois, les origines italiennes, françaises, néerlandaises et turcs sont devancées. Toutefois, cette première place, la diaspora la perd en Région flamande au profit des Pays-Bas, et en Région wallonne, dominée par l’Italie et la France. Elle reste cependant en tête dans la Région de Bruxelles-Capitale.
Pour Patrick Deboosere, démographe et professeur à la Vrije Universiteit Brussel, “ces chiffres confirment bien que la communauté d’origine marocaine est aujourd’hui en Belgique l’une des plus importantes, au coude-à-coude avec la nationalité italienne, la migration la plus ancienne du pays”. “On estime que 600.000 personnes ont un lien de parenté avec le Maroc. Pour 100.000 d’entre elles, ce lien est issu d’un mariage mixte”, ajoute-t-il. Depuis les années 1990, tous les ans, des milliers de Marocains traversent la Méditerranée, direction la Belgique. Dans le cadre d’un regroupement familial, mais aussi pour “trouver un premier emploi après son diplôme” ou “pour étudier dans les universités”, explique Patrick Deboosere. “Les changements de politique migratoire récents ont beaucoup limité l’accès à la Belgique par le seul et unique canal-travail, de type ouvrier”, confirme Hassan Bousetta, chargé de cours à l’Université de Liège. “Les Marocains qui viennent s’installer en Belgique ont, pour la majorité, un bagage universitaire”, termine-t-il.
Mais à y regarder de plus près, “cette migration n’est pas, en chiffres, très importante, puisque cela représente environ 3000 personnes”, souligne Patrick Deboosere. Si l’on prend également en considération le nombre d’enfants par femme issue de la communauté marocaine, relativement proche de la moyenne belge, à environ 1,6 enfant, comment comprendre alors les conclusions de Statbel ?
D’une migration de travail…
La réponse se trouve dans l’histoire migratoire de la Belgique. Après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique manque de main-d’œuvre, notamment dans les mines de charbon. Elle fait alors d’abord travailler les soldats allemands prisonniers, puis fait appel aux Italiens, qui s’entassent dans des baraquements vétustes bâtis pour les ouvriers. Mais le coup de grisou du 8 août 1956 survenu à Marcinelle, une commune près de Charleroi, change la donne. Cette catastrophe dite du Bois du Cazier, qui provoque la mort de 262 mineurs, est un choc. Elle met un sérieux coup d’arrêt à l’immigration italienne. La Belgique se tourne alors vers d’autres contingents : le sud de l’Europe, où elle trouve de la main-d’œuvre bon marché, la Turquie et le Maroc.
“Les échanges diplomatiques de l’époque relatent le manque de fiabilité politique des Algériens, auxquels la Belgique a d’abord pensé. Les autorités craignent des rebellions”, raconte Ahmed Medhoune, directeur d’administration à l’Université libre de Bruxelles et commissaire général de l’exposition “L’immigration marocaine en Belgique”. “Alors elles se tournent vers l’ambassadeur au Maroc. Celui-ci avance qu’une migration en Belgique serait également bénéfique aux Marocains, et notamment ceux originaires du nord du pays, dont l’économie est fragile. En d’autres mots, une opération win-win. C’est ce qui déclenche chez les Belges une vaste opération de recrutement”, ponctue-t-il.
… À une migration de peuplement
Un accord bilatéral belgo-marocain de main-d’œuvre est signé le 17 février 1964. Et ouvre la Belgique aux potentiels travailleurs. “À cette époque, les ouvriers obtenaient même d’abord leur visa avant le permis de travail. Les intérêts économiques primaient”, affirme Ahmed Medhoune. Rapidement, la migration économique se mue en migration de peuplement. Le regroupement familial favorise les nouvelles arrivées. En deux générations, la présence marocaine en Belgique passe de quelques centaines à plus de 200.000 personnes en 2004. “Si au départ, les provinces du Nord étaient les plus représentées, avec plus de 60 % des immigrés marocains originaires d’un territoire couvrant Tanger à Oujda, la population s’est par la suite beaucoup diversifiée”, souligne Hassan Bousetta. Aujourd’hui, on trouve des bases migratoires un peu partout au Maroc. Qu’elles fournissent une migration légale ou non.
En 1974, après le choc pétrolier, plusieurs pays du nord de l’Europe ferment leurs frontières. Les années 1980 voient alors les premiers flux de migrations irrégulières. Une tendance qui perdure dans les années 1990 et 2000. “Mais cette population a fini par se régulariser, par les procédures habituelles ou par le biais des mariages”, relève l’enseignant. La diaspora marocaine grossit en Belgique, ce qui compense, d’après Ahmed Medhoune, “la démographie vieillissante du pays”. Un bienfait de la migration parmi d’autres, comme “l’évolution des mentalités”, ajoute-t-il. “Si les nouveaux venus sont toujours victimes de discriminations ou d’idées reçues, leur présence permet aussi à la politique belge d’évoluer. C’est grâce à la migration que le pays s’est doté d’une loi contre le racisme. Qui profite à tous.”
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