Vêtue de bottes en cuir assorties à son sarouel blanc et enveloppée dans une longue cape brodée de motifs floraux doublée de satin mauve et bleu, à la manière d’un jabador féminin, Talitha Getty prend la pause. À l’arrière-plan, son mari, John Paul Getty Jr., encapuchonné dans une djellaba couleur sable, en fait de même. Lui est debout, adossé à un muret, elle, assise, dans une posture lascive, jambes écartées.
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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine Icônes n°13, Autumn issue 2017.
En 1969, lorsque le photographe Patrick Lichfield capture le couple de socialites britanniques et véritables figures de proue de la mouvance du Swinging London, il est loin de se douter que cette photographie va faire le tour du monde. Le cliché pris sur le toit d’un riad de la médina de Marrakech va pourtant devenir l’un des emblèmes du style hippie chic et de la vie de bohème que mènent les riches étrangers installés dans la ville ocre.
À tel point que, 40 ans plus tard, le duo de photographes de mode Inez & Vinoodh reprend sans s’en cacher les codes de cette image mythique, dans une série mode réalisée au Maroc pour Vogue Paris. On y voit la top ukrainienne Daria Werbowy arborant tour à tour des modèles signés Emilio Pucci, Kenzo ou encore Etro, évoluer dans une chorégraphie sensuelle avec un homme vêtu d’une djellaba traditionnelle. En toile de fond, l’oasis évoque le paysage orientaliste par excellence.
Un imaginaire très prisé des marques internationales et magazines de mode, qui sont de plus en plus nombreux à venir shooter leurs campagnes et autres éditos mode au Maroc. “L’habillement, l’architecture et les paysages marocains sont très inspirants pour les créateurs d’image”, estime Sofia Benbrahim, fondatrice du site de mode Shoelifer, et qui a longtemps travaillé dans la production d’imagerie de mode. “Le mix de couleurs, les matières et broderies de l’habit traditionnel, les nuances de bleu dans le ciel ou encore de brun dans le désert sont une richesse que nous utilisons pour concevoir une imagerie onirique et moderne.”
Maroc en vogue
En 2013, le photographe Gun Ho Lee signait une fashion story dans les dunes marocaines intitulée “The middle east story” pour le Vogue Corée. En 2015, la top Imaan Hammam posait à Casablanca, sa ville natale, pour le Vogue Pays-Bas. Quelques mois plus tard, Jimmy Choo prenait ses quartiers à La Mamounia à Marrakech pour shooter sa dernière collection de chaussures. Plus proche de nous encore, en 2017, Chanel a réalisé le film de sa campagne “Collection Resort 2017” entre les murs bleus de Chefchaouen, tandis que le label français Chevignon a planté le décor de sa collection printemps-été 2018 dans le port de Casablanca.
Et la liste est longue : la marque américaine Jetset Diaries est venue shooter sa campagne Fall 2016 à Tanger. La marque de maillots de bain new-yorkaise Mara Hoffman, elle, a préféré Marrakech pour immortaliser les modèles de sa collection Swim 2016. Et c’est sans parler des éditos mode produits par de grands titres internationaux comme le Elle China (venu réaliser en 2014 une très belle série mode dans le désert avec le top canadien Coco Rocha dans le rôle-titre) ou encore Marie Claire Italie en 2013.
Des montagnes de l’Atlas aux plages paradisiaques de Dakhla en passant par les luxueux riads de Fès ou les plaines désertiques de Ouarzazate, magazines et photographes ont élu le Maroc comme terre iconographique. “C’est avant tout pour sa lumière si particulière que le Maroc est devenu un lieu très prisé”, explique Christine Alaoui, mère de la photographe Leïla Alaoui décédée en 2016. “Mais c’est aussi une destination qui permet aux photographes de venir avec leurs équipes – parfois nombreuses – à moindre coût et de profiter de conditions agréables durant leur séjour.”
Une destination “low-cost” et “bankable” en somme, qui présente des avantages au-delà de son seul intérêt esthétique. Même son de cloche du côté de Jérôme Prudhomme, directeur de création chez Manutti, qui vient de terminer le shooting de la dernière collection de la marque de mobilier belge au Maroc. “Les conditions climatiques favorables, les paysages époustouflants, l’accueil et le professionnalisme des Marocains en font une destination de travail privilégiée.”
Et une terre d’inspiration particulièrement propice à la création, pour le plus grand bonheur des amateurs de photographie, puisque certains clichés ont marqué l’histoire de l’art : Irving Penn a photographié sa muse Lisa Fonssagrives à Marrakech, tandis que les photographes de renom Peter Lindbergh ou encore Harry Gruyaert ont parcouru le pays pour y réaliser des séries mythiques, loin de tout folklore.
Un engouement photographique certain, qui s’entremêle aussi avec l’histoire de la mode, comme le rappelle Christine Alaoui : “Yves Saint-Laurent et son meilleur ami Fernando Sanchez, mais aussi Givenchy, Azzedine Alaïa, John Galliano, ou encore Armani… Nombreux sont les grands couturiers à avoir fréquenté assidûment le Maroc, et Marrakech en particulier.”
Et d’Yves Saint-Laurent, il est aujourd’hui plus que jamais question, puisqu’à l’occasion de l’ouverture, en octobre 2017, du musée qui lui est dédié à Marrakech, une exposition de photographies inaugurale baptisée “30 ans de la maison de couture à Marrakech” a présenté le travail du photographe allemand André Rau publié en 1992 dans le magazine Elle (France). Un bel hommage à la photographie de mode, en attendant, pourquoi pas, qu’une galerie d’art ou certains acteurs culturels s’attachent à la charge de réunir, sous forme d’exposition rétrospective, l’intégralité des clichés qui ont contribué à faire du Maroc une terre iconographique. En tout cas, l’idée est lancée.
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