Amine El Khatmi : “On peut très bien avoir une foi et être intégré dans la République”

Ex-adjoint au maire d’Avignon, co-fondateur de l’association du Printemps républicain, cet originaire de Casablanca a su faire sa place dans l’horizon politique français, avec notamment un cheval de bataille : la laïcité. Dans le contexte de la réflexion parlementaire récente sur la loi dite “séparatiste”, Amine El Khatmi nous livre ses arguments, ses positions et ses idées, parfois clivantes. 

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Diaspora : En tant que président du Printemps républicain, vous êtes favorable à la loi dite “séparatiste” présentée en Conseil des ministres le 9 décembre dernier. Comment justifier la défense de cette dernière, réputée discriminante contre les musulmans ?

Amine El Khatmi : Les dispositions que cette loi propose restent intéressantes pour plusieurs raisons. Par exemple, la disposition qui obligerait les associations recevant des subventions de la part de l’État à rendre des comptes est, selon moi, une évidence de transparence demandée pour de l’argent public reçu. On doit pouvoir savoir ce que chaque association fait de l’argent du contribuable. Cela reste valable pour toutes les religions, pas seulement pour l’islam !

La disposition liée à l’héritage, permettant aux femmes de percevoir autant que les hommes, est une disposition qui entre en cohérence avec les lois de notre République française, assurant l’égalité entre tous ses citoyens, hommes et femmes. Concernant l’interdiction d’exiger des certificats de virginité pour un mariage : cela ne vise pas seulement la religion musulmane. On trouve aussi ce genre de demande chez les chrétiens et les juifs. 

Aussi, cette loi prévoit la scolarisation obligatoire des enfants à partir de trois ans, évitant des situations vues et inacceptables, où certains d’entre eux, et notamment des fillettes, sont voilées, enfermés dans des locaux improbables, où on leur bourre le crâne de radicalisations en tous genres. Cela peut aussi arriver dans la religion catholique et juive. C’est pour éviter ces dérives religieuses, qui doivent être combattues, que la loi est largement défendable.

Enfin, l’article dit “Samuel Paty” rend passible de prison par le délit de mise en danger d’autrui, en rendant publiques des informations privées ou professionnelles sensibles, s’il y a un risque d’atteinte à sa vie. L’ensemble de ces dispositions vise à plus d’égalité et de respect de notre Constitution, quelle que soit la religion des citoyens. 

Vous êtes Marocain et musulman. On vous prête aussi parfois le statut de “laïcard”. Cette triple casquette est-elle sensible et sujette aux hostilités ?

Je suis laïc. “Laïcard” est un terme assez dangereux qui vient de la droite. Il ferait passer les défenseurs de la laïcité pour des personnes intolérantes, anti-religions, voire racistes. Les dispositions présentes dans cette loi visent à défendre les citoyens de dérives religieuses, et à faire respecter l’égalité hommes-femmes, le respect de la vie privée, à protéger les enfants des intégrismes religieux, de la haine, à vérifier l’utilisation des subventions publiques. Personne ne m’a reproché de défendre tout cela.

Je connais des musulmans au Maroc — des femmes surtout — qui ne comprennent pas pourquoi les hommes auraient droit à deux fois plus d’héritage qu’elles. Arrivées en France, elles voient que rien ne change ! Ce n’est pas respecter la laïcité française, qui est très précieuse et rare. Il suffit de regarder ce qui se passe dans des états non laïcs pour le comprendre. On peut très bien avoir une foi et être intégré dans la République. Il n’y a pas de contradiction entre le fait de défendre ces dispositions et d’être religieux. 

Une étudiante dans son amphithéâtre ne représente pas la République, un ou une élu(e), si. En représentant les instances républicaines de notre pays, il ou elle se doit d’afficher une neutralité, en respect de notre laïcité

AMINE EL KHATMI,
EX-ADJOINT AU MAIRE D’AVIGNON,
CO-FONDATEUR DE L’ASSOCIATION DU PRINTEMPS RÉPUBLICAIN

Riche en qualificatifs, vous êtes aussi souvent dépeint comme “symbole” de la laïcité, des divisions de la gauche, d’un islam déjoué des pièges islamistes, de l’universalisme… 

Je cumule les appellations, il est vrai, mais je ne me sens pas symbole de quoi que ce soit. Je tire mon expérience de ce que je vis, de ce que je vois. Ce n’est pas moi qui divise la gauche, mais M. Mélenchon qui va manifester avec des islamistes. Comme en 2015, où il avait signé un appel avec des imams suivis pour radicalisation. De mon côté, je ne trahis pas mon courant par de tels actes, je n’ai jamais sali la mémoire de Charlie.

Depuis la fin de mon mandat à la mairie d’Avignon, en juin 2020, j’ai décidé de venir à Paris et de participer plus au débat politique, notamment dans les médias. Tout se passe à Paris. Il était important pour moi d’être présent dans la capitale.

L’association que vous dirigez, le Printemps républicain, est en train de devenir un parti politique. Pourquoi cette évolution ?

Nous voulons peser dans le débat politique français et avoir des candidats aux élections. Nous nous sommes rendu compte que notre action était limitée en tant qu’association, car on passait notre temps à râler lorsqu’on entendait des choses qu’on n’aimait pas ! Nous avons eu alors un débat au sein de l’association, une réflexion avec des think tank, et il nous est apparu nécessaire de passer à cette phase. Il faut maintenant agir et aller à la bataille. Cela passe par une évolution vers un parti et un nouveau statut juridique. 

Amine El Khatmi – Discours de clôture de la journée « La République en première ligne », organisée par le Printemps Républicain. Crédits photo : Capture écran Printemps Républicain

En quoi la discussion parlementaire sur cette loi est une victoire pour le Printemps républicain ?

Cela fait deux ans déjà que la discussion a été lancée sur le sujet. Nous avons eu un rôle, certes, puisqu’on a été écoutés par des commissions spéciales. Mais, avec modestie, nous ne pourrions affirmer que c’est une victoire pour le Printemps républicain ! En 2017, ce n’était pas d’actualité, lorsque M. Macron a été élu. Puis il a considéré, au vu des événements, et notamment des attentats de 2015, de Charlie Hebdo, que c’était devenu une cause importante.

En tant qu’ancien maire adjoint d’Avignon, vous vous étiez prononcé contre l’interdiction du port du voile dans les universités et pour l’accompagnement scolaire, mais pour l’établissement d’une loi qui interdit aux élus d’arborer un quelconque signe religieux. Pourquoi faire une différence entre un citoyen lambda et un citoyen élu ?

Une étudiante dans son amphithéâtre ne représente pas la République, un ou une élu(e), si. En représentant les instances républicaines de notre pays, il ou elle se doit d’afficher une neutralité, en respect de notre laïcité. L’épisode retenu par les médias, quand je suis interviewé, reste celui de 2016, lorsque j’ai interpellé Fatiha Bacha, adjointe au maire d’Argenteuil, qui avait été prise en photo avec son voile pour représenter les élus de la ville.

Au même titre que des élus de l’Assemblée nationale qui portent une croix ostensible autour du cou, je ne trouve pas ça acceptable ! Je trouve aussi dérangeant que d’autres arrivent avec une kippa dans l’hémicycle (Meyer Habib, en hommage aux attentats d’Hypercacher). 

On ne peut pas imposer de mélange, et tant qu’il n’y en aura pas, on aura des ghettos, du communautarisme, et des problèmes d’égalité entre citoyens

Amine El Khatmi,
Ex-adjoint au maire d’Avignon,
co-fondateur de l’association du Printemps républicain

Concernant les sorties scolaires et les mères accompagnatrices, c’est une chose que j’ai pu observer en ma qualité de maire adjoint d’Avignon… Que faire quand, dans une classe, vous avez 90 % de musulmans ? Faut-il annuler la sortie parce qu’on ne tolère pas les femmes voilées, et ainsi priver les enfants de découvertes, de culture et de divertissement ? Il faudrait exploser la carte scolaire, et éviter les écoles presque totalement “blanches”. On ne peut pas imposer de mélange, et tant qu’il n’y en aura pas, on aura des ghettos, du communautarisme, et des problèmes d’égalité entre citoyens.

Issu d’une famille modeste de Casablanca, votre cas d’ascension sociale assez rapide est-il une exception ? Ou est-ce un exemple possible à suivre pour les jeunes Marocains d’aujourd’hui ?

Quand on commence ce type de métier, dans la politique, ce n’est pas la religion qui est un poids ; mais bien l’origine sociale. On le sent. Lorsque j’ai démarré avec Ségolène Royal les campagnes en 2006, j’étais avec des fils de préfets, d’ambassadeurs. Ils se connaissaient tous, partaient en vacances dans les mêmes lieux de rêve, allaient dans les mêmes écoles. Dans les dîners un peu chics, où il y avait trois fourchettes, trois couteaux et trois assiettes, au début j’étais un peu perdu, puis j’ai appris. Je me débrouillais même si j’étais le “Ghoubi” de la bande ! Ce n’était pas une question de religion ni de discrimination : il y aurait eu le même décalage pour un garçon sorti de sa France rurale. Aujourd’hui j’ai 33 ans, et je m’y sens comme un poisson dans l’eau.

Si j’ai un conseil à donner aux jeunes, qu’ils soient d’origine marocaine ou française : il faut y aller au culot. Il ne faut surtout pas écouter l’adage marocain que j’entendais enfant : “Hchem o scout!” qui signifie “Reste à ta place et tais-toi!”. Il ne faut surtout pas rester à sa place. Si l’on te ferme une porte, ouvre la fenêtre. Si l’on ne veut pas te recevoir pour un job, rappelle tous les jours. S’il y a un concours à tenter, un CV à envoyer, tente, ne lâche pas jusqu’à ce qu’on t’écoute, jusqu’à y arriver. Quand on vient d’un milieu comme le nôtre, sa place il faut aller la chercher avec les dents.

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