À quoi servent les poudres ultra-fines ?

Elles seraient présentes dans sept produits sur dix. Composants très techniques, les poudres ultra-fines sont la spécialité depuis plus de vingt ans de l’entreprise SDTech, leader français du secteur, implantée à Alès (Gard). Les deux fondateurs, Aziz Aït Amer et Jalil Benabdillah, nous expliquent comment les fabriquer, et surtout pourquoi les utiliser si abondamment.

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Sur le grand écran de la salle de réunion vitrée attenante à son bureau de PDG, Jalil Benabdillah tient à nous montrer la vidéo réalisée pour vulgariser le dispositif “Avoid” d’Airbus, visant à repérer les nuages de cendres pour pouvoir les éviter et ne pas clouer les avions au sol durant plusieurs jours. Comme cela avait été le cas en 2010 lors de l’éruption du célèbre volcan islandais Eyjafjöll. “C’est une illustration très parlante pour comprendre ce que nous faisons”, justifie l’entrepreneur.

Un premier avion décolle de Toulouse pour larguer au-dessus du golfe de Gascogne des poussières qu’il disperse en spirale, avant qu’un deuxième aéronef s’approche, équipé de capteurs infrarouges censés détecter la perturbation à une centaine de kilomètres en amont. L’appareil peut ainsi dévier sa trajectoire à temps pour ne pas endommager ses moteurs et risquer un accident, épargnant des centaines de millions d’euros de pertes.

Fruit d’un partenariat entre l’avionneur européen et la compagnie Easyjet, le programme a intégré la PME Solides Divisés Technologies (SDTech) qui a fourni la matière première à pulvériser dans les airs. Mis au point à partir de composés de synthèse, l’or gris employé pour les essais “grandeur nature” a finalement été obtenu en broyant quelques tonnes de roche importées directement de la célèbre île de l’Atlantique Nord.

Pneus et cosmétiques

Une autre application concrète de la micronisation est le recyclage des pneus”, ajoute le DG, Aziz Aït Amer. Il mentionne un contrat de quatre ans avec le géant Michelin qui a abouti à la réutilisation d’un pourcentage significatif d’un spécimen usagé pour en concevoir un neuf, enjeu crucial dans ce domaine où l’écosystème est encore loin d’être circulaire. “Il y a aussi les cosmétiques avec L’Oréal”, renchérit son associé. Les exigences sont élevées puisque, suivant les cas, il faut que la substance ne soit pas trop épaisse pour pouvoir infiltrer facilement la peau, ou bien pas trop fine afin de ne pas pénétrer en profondeur dans le derme.

Chaînon manquant

Ces quelques exemples sont parmi les seuls que peuvent dévoiler les deux patrons, intervenant à un maillon stratégique où l’immense majorité des marchés sont conclus sous le sceau du secret industriel. La douzaine de grandes sociétés mentionnée sur leur site internet ne constitue qu’une infime partie de leurs clients, dont les plus importants œuvrent dans l’agroalimentaire.

L’idée d’investir ce milieu a germé dans l’esprit des deux Casablancais, inséparables depuis qu’ils se sont connus sur les bancs du collège d’El Fida, lorsqu’ils effectuaient chacun leur doctorat à cheval entre l’Université de Montpellier et le laboratoire spécialisé de l’École des mines d’Alès (IMT), où ils avaient obtenu leurs diplômes d’ingénieur quelques années plus tôt.

Jalil collaborait avec Lafarge, Aziz avec Ecoplast. Les deux dressent le même constat : au sein de ces grosses structures, les gigantesques broyeurs sont difficiles à arrêter pour faire des tests plus poussés sur des quantités moindres. Il manque une étape, un créneau est à inventer. Pendant deux ans, leur jeune pousse est incubée par l’IMT, avant une phase transitoire puis l’acquisition en 2006 de 1000 m2 de locaux au Parc technologique de la capitale de l’ex-bassin minier des Cévennes.

50 nuances de broyage

Dans le bâtiment ocre, situé à 500 mètres du siège actuel et dont la surface a aujourd’hui triplé, un laboratoire permet certaines mesures : la granulométrie, grâce à un appareil laser qui analyse la répartition et la taille des grains dans un échantillon où la poudre peut être mélangée à un liquide ; la morpho-granulométrie, quand tous les éléments sont dispersés sur une plaque pour connaître plus précisément leurs formes ; ou encore l’explosivité, afin de savoir comment le potentiel comburant pourrait réagir au contact de l’oxygène et d’une source d’énergie.

SDTech est spécialisée dans l’infiniment petit : 1 mm 3 de sable grossier peut par exemple contenir jusqu’à 120.000 particules.

Dans un sas, le visiteur enfile une blouse et des surchaussures, avant d’accéder au vaste couloir qui dessert plusieurs boxes où des ouvriers travaillent jour et nuit pour assurer les livraisons dans les délais. Chaque compartiment, d’une taille suffisante pour loger de hautes et larges machines – dont les prix sont compris entre 100.000 € et 750.000 € –, est séparé pour que les différents matériaux ne se côtoient pas.

Tout est fait sur mesure, en fonction du cahier des charges demandé. Ici, une “vis sans fin” fait tourner de l’azote liquide à – 176 °C pour briser par cryogénie du plastique, des végétaux ou encore du caoutchouc ; là, un système à air comprimé propulse les constituants les uns contre les autres dans le but de les concasser sans l’intervention d’un corps extérieur. Un “granulateur à lit d’air fluidisé”, sorte d’imposante cheminée, permet quant à lui d’accomplir l’action inverse, en agglomérant les résidus obtenus lors des opérations précédentes. “C’est avec ça qu’on peut fabriquer un produit de type Nescafé, explique Jalil. Il faut que les unités soient très fines pour pouvoir se dissoudre facilement dans l’eau, mais ensuite il faut les agréger pour qu’elles ne s’envolent pas dès l’ouverture du paquet!

SDPharma

Après des débuts dans l’univers des microparticules, le groupe d’une cinquantaine de salariés, qui investit chaque année 15 % à 20 % de son chiffre d’affaires dans la recherche et le développement, s’est doté d’un prestigieux comité scientifique et s’est attaqué en 2016 aux nano-, cousines mille fois plus petites. Dès cette année, il envisage de lancer une nouvelle filiale dédiée à la pharmacie. “C’est le nec plus ultra en termes de qualification et de réglementation. C’est un gros défi, mais la base, on la connaît !”, s’enthousiasme l’ambitieux duo.

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