J’aide parfois à faire des déménagements afin d’avoir un peu d’argent pour manger. Pendant trois mois, ma famille au Maroc a pris des crédits pour m’aider à payer mon loyer”, lance Anass, la voix fatiguée, presque agacée. Cet étudiant de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives, ndlr) de 23 ans est arrivé en France à la rentrée 2020. Il explique avoir reçu de l’argent de la part du club de foot où il jouait. Puis, tout a cessé au second confinement français. “Avant le couvre-feu de 18 h, j’allais boucler un contrat chez Decathlon et ça a été annulé. Tous les recrutements ont été suspendus. Je couvre les refus chez McDonald’s, chez Dominos et toutes les chaînes de services. J’en suis à environ 7 demandes par jour depuis novembre.” Vivant dans une chambre au-dessus d’une pizzeria à Paris, se nourrissant de paniers alimentaires obtenus à l’université, le temps se fait long pour le jeune homme.
Des limites hors réalité…
Théoriquement, avant chaque arrivée en France, les conditions financières sont évaluées, notamment pour l’obtention du visa long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) portant la mention “étudiant”, l’un des sésames pour entrer sur le territoire. Sont alors demandés : “un justificatif d’hébergement couvrant toute la durée du séjour”, “des ressources financières ‘suffisantes’ sur le compte en rapport avec la durée du séjour, justifiant le prix moyen d’un hébergement”, “le prix d’un billet retour pour le pays d’origine”, etc. Selon son statut d’origine, s’il n’est pas boursier du gouvernement français, s’il n’a pas réussi le concours d’entrée dans un établissement d’enseignement supérieur… l’étudiant doit dans les faits attester de 615 euros par mois sur son compte. Anass, comme d’autres, le reconnaissent : pour justifier de cette somme et avoir l’opportunité de venir en France, ils ont emprunté de l’argent à la famille ou sont arrivés avec quelques économies, pas toujours suffisantes.
En attendant de trouver un job fixe, Anass avoue avoir fait un peu de travail non déclaré. De l’aide au déménagement de manière ponctuelle, et des cours dans un club de foot avec les tout-petits, où il gagnait 20 euros la demie-journée. “On m’a aussi proposé de me prêter un profil Uber Eats, mais je n’ai pas le permis. On me disait : ‘Moi je travaille le matin, toi le soir’”.
Younes, jeune diplômé de 27 ans, se souvient également avoir entendu ce genre de propositions. “Le problème, c’est qu’effectivement, nous, étudiants marocains, n’avons pas le droit de faire des livraisons comme Uber Eats, etc. Parce qu’avec notre visa, nous ne pouvons pas changer notre statut d’étudiant pour être autoentrepreneurs, comme ils le demandent. Du moins, pas si facilement. Donc ceux qui le font, c’est principalement en rusant. Il y a des gens qui louent des comptes pour ça.” Aujourd’hui, pour s’assurer que cela ne se produise plus, la grande chaîne de livraison — pourtant bien connue des étudiants pour se faire de l’argent — se réserve le droit de demander des selfies à ses employés à n’importe quel moment de la livraison.
Et si pour certains étudiants marocains, la fraude est devenue une option à cause de l’absence d’offres sur le marché étudiant, d’autres s’y frottent de par les limites que leur impose leur visa. Le visa long séjour temporaire (VLS-T), par exemple, ne permet pas aux étudiants de travailler en dehors de leurs études. Le visa long séjour valant titre de séjour “étudiant” (VLS-TS) les limite à un temps partiel soit à 964 heures de travail par an (60 % de la durée légale annuelle de travail), pour un ratio de 18 à 20 heures par semaine. Un étudiant marocain, régi par ce visa, ne peut donc pas espérer toucher plus de 162,2 euros nets par semaine ou 7819 euros nets sur un an, s’il arrive à décrocher un job payé au smic.
… Réalisables sous conditions
En pratique, d’autres solutions se développent. Younes se souvient, il y a un an et demi, ne pas avoir trop traîné à trouver un travail chez Carrefour. Surtout, d’avoir pu compléter ses ressources d’une autre manière. “J’ai envoyé plusieurs CV et finalement j’ai trouvé cet emploi. Je travaillais environ 12 h tous les week-ends. Après, dans le sud de la France, j’ai l’impression qu’il y avait pas mal de travail, surtout saisonnier, pendant l’été.” Arrivé en France avec certaines économies, il reconnaît que la situation aurait pu se durcir rapidement sans emploi et solutions de repli. “Je touchais environ 400 euros grâce à mon job, et la deuxième année j’ai pu compléter avec l’argent que je gagnais pour mon stage, donc j’étais dans les 900 euros, plus la CAF. Sans mon stage, je ne sais pas si ça aurait suffi.”
Le jeune homme, désormais à la recherche d’un CDI en France, pense avoir eu de la “chance” de ne pas avoir été impacté directement par le Covid et d’avoir pu continuer à exercer son emploi alimentaire pendant son master. En France, selon le rapport “La vie d’étudiant confiné”, publié par l’OVE, on estime que 38 % des étudiants qui avaient un petit boulot l’ont perdu durant le premier confinement et 21 % ont dû réduire leur activité.
Un peu plus au nord de la France, à Nantes, les deux colocataires Acef et Hamza sont aussi quasiment passés entre les mailles du filet tissé par la crise sanitaire. Mais les deux futurs ingénieurs de 21 et 22 ans le disent : leurs heures de cours particuliers ont diminué à cause de la pandémie. “Au début du Covid, beaucoup de cours ont été annulés. Lors du premier confinement, surtout, ça devenait difficile à trouver. Il y a toujours des élèves en difficulté scolaire donc ça fonctionne. Mais je suis passé de 14 h par semaine à 6 h, payées 17 euros de l’heure”, raconte Acef. Cet emploi, il continue de l’effectuer en présentiel et trouve généralement ses clients sur Leboncoin. Heureux de transmettre son savoir, pour lui, ce job est là pour se faire un peu “d’argent de poche”. Hamza, de son côté, dit avoir complètement cessé de travailler pendant le premier confinement. Une volonté de sa part. Et si actuellement il donne environ 5 heures de cours par semaine, il prévoit d’arrêter dès que son stage de fin d’études commencera, jugeant son salaire “suffisant”. Entre un peu d’argent complémentaire, des subventions versées par l’État français, et des parents qui leur envoient des sous tous les mois, ces futurs diplômés envisagent le présent plus sereinement.
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