Un entonnoir en métal, orienté vers La Mecque. C’est là que les poulets, d’abord enfermés dans une pièce séparée puis transférés dans des cages en plastique, avant d’être amenés en salle d’abattage par groupe de six afin d’être le moins stressés possible, sont sacrifiés les uns après les autres, sans étourdissement, en prenant le soin d’invoquer Allah.
Ils sont ensuite placés tête en bas le temps de se vider de leur sang, puis échaudés, déplumés et accrochés manuellement sur des lignes semi-automatiques où leur préparation est achevée. Après tout ce processus qui se déroule en moins d’un quart d’heure, le client peut venir les récupérer en “click and collect”, directement au grand entrepôt vert situé au fond de la zone industrielle de Cournonsec, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Montpellier.
“Les volailles proviennent d’un grand élevage du Gard voisin, et nos acheteurs sont essentiellement des particuliers qui habitent dans les environs. Ils veulent être sûrs de manger de la viande fraîche”, explique Ali Hemmane, patron de cette structure de trois salariés qui assure un rendement de 2000 à 2500 carcasses chaque mois – les plus gros acteurs du secteur, eux, tiennent une cadence deux fois plus élevée en seulement une heure.
Bio et halal incompatibles ?
Ce type d’approvisionnement local ne représente qu’une “goutte d’eau” dans un marché national du halal évalué à plusieurs milliards d’euros. Il répond cependant à une demande réelle de la part de musulmans français qui recherchent une marchandise plus qualitative et plus respectueuse de leurs valeurs que via la production à grande échelle – à l’image d’une tendance qui émerge dans le reste de la société, et qui concerne d’autres denrées comme les fruits et les légumes.
La société Terres Fermes et sa marque Biolal, qui revendiquent la première boutique halal certifiée bio dans l’Hexagone, entendent bien satisfaire également ces nouvelles attentes. Ouvert en 2015 dans le chic sixième arrondissement de Lyon, leur magasin commercialise des morceaux choisis de bovins, d’ovins et de volailles issus de fermes implantées en Rhône-Alpes et dans le Limousin. “Il faut sans cesse faire les bons arbitrages entre proximité, durabilité et accessibilité socio-économique”, justifie Chakib Hayani, ex-consultant à l’origine du projet.
D’origine marocaine, celui qui veut lancer dans le royaume “d’ici à la fin de 2021” une filière de poules de chair et pondeuses se dit “blessé” par les décisions de justice successives qui ont établi l’incompatibilité de la mise à mort rituelle avec “la norme élevée de bien-être animal” prônée par l’agriculture biologique. En février puis en juillet 2019, ce sont respectivement la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour administrative d’appel de Versailles qui ont tranché dans ce sens, avant qu’un arrêt du Conseil d’État entérine le 31 décembre 2020 ces décisions en estimant qu’elles “ne portent pas atteinte à la liberté de religion et ne sont pas discriminatoires”.
Étourdissement et bien-être animal
Le fondateur de Biolal – qui a dû mettre fin à ses partenariats avec Biocoop et avec La Vie Claire – dénonce “l’hypocrisie” sous-jacente, l’assommement n’ayant “pas été initialement imposé pour des raisons de bien-être animal mais de productivisme”. Hanen Rezgui renchérit que la poursuite du profit contraint la “quasi-totalité” des industriels labellisés “halal” à recourir à ce préalable. La présidente de l’Association de sensibilisation, d’information et de défense du consommateur musulman (Asidcom) critique la “mauvaise qualité” générale de la carne halal en France et “l’opacité” des organismes de certification proches des trois mosquées autorisées à délivrer des cartes de sacrificateur.
Selon Félix Jourdan, qui prépare une thèse de doctorat à l’Inrae traitant des “abattages rituels musulmans à l’épreuve des systèmes industriels”, la “montée en puissance” des associations de défense du bien-être animal “s’inscrit dans une dynamique de fond qui remonte au XIXe siècle”. Visant la “promotion d’un abattage humanitaire”, ce mouvement porté notamment par des vétérinaires a abouti en 1964 à l’obligation de l’étourdissement, sauf pour les exécutions dans le cadre des rites juif et islamique.
L’abattage rituel menacé ?
Contrairement à une “idée reçue”, la majorité de ces interlocuteurs considèrent que le fait de trancher la gorge d’une bête consciente permet à cette dernière de moins souffrir que lors d’une “insensibilisation irréversible”. Ils citent tour à tour des observations directes, des références comme le boucher Yves-Marie Le Bourdonnec, ou encore des études scientifiques telles que celles conduites par la spécialiste américaine Temple Grandin.
Ils soulignent aussi l’importance du volet “bien-être” dans la formation dispensée tous les cinq ans aux personnes habilitées à tuer les animaux. Et ce, même si les opérations sont ponctuelles, comme en atteste Mohamed Seddiki, financier qui déploie depuis 2016 lors de chaque fête de l’Aïd un immense chapiteau à Montpellier pour immoler un millier de moutons dans des conditions hygiéniques, logistiques et religieuses conformes.
Dans la foulée de leurs victoires judiciaires de 2019 et de 2020, certains activistes espèrent aller jusqu’à obtenir l’interdiction totale du non-étourdissement. Hanen Rezgui n’y croit pas, car “tous les musulmans s’uniraient contre ce projet”, tandis que Chakib Hayani met en avant la nécessité d’engager un dialogue entre tous les maillons de la chaîne pour ne pas en arriver à cette extrémité. Quant à Ali Hemmane, le chef d’entreprise jure qu’il préférerait mettre la clé sous la porte plutôt que de poursuivre une activité qui irait à l’encontre de ses convictions les plus intimes.
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