Covid-19 : la levée des brevets sur les vaccins, remède miracle ou mirage ?

Le 5 mai, le président des États-Unis, Joe Biden, a annoncé à la surprise générale que l’administration américaine soutenait désormais la levée provisoire des brevets sur les vaccins contre le Covid-19 pour accélérer la lutte contre la pandémie. Quelques heures plus tard en France, le président français Emmanuel Macron lui emboîtait le pas, appelant à faire de la recette du traitement “un bien public mondial”.

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Les États-Unis et la France ont rejoint début mai la liste des pays qui demandent à exclure temporairement les vaccins contre la Covid-19 des règles en vigueur. Crédit: Sébastien Bozon / AFP

Avec ces revirements, les États-Unis et la France ont rejoint une liste de plusieurs pays, comme l’Inde et l’Afrique du Sud, qui réclamaient depuis plusieurs semaines à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de renégocier les règles de la propriété intellectuelle pour en exclure temporairement les vaccins contre le Covid-19.

Cependant, on peut s’interroger sur la multiplication de ces demandes de dérogation. En effet, des mécanismes en faveur de la sauvegarde de la santé publique et des outils permettant de passer outre les brevets des médicaments existent déjà dans les textes internationaux.

Des dérogations possibles depuis 1953

Le brevet d’invention est un titre de propriété industrielle octroyé pour vingt ans, qui protège une invention nouvelle, inventive et susceptible d’application industrielle. Il confère à son détenteur un monopole d’exploitation et plus précisément le droit de s’opposer à toute utilisation de l’invention par un tiers non autorisé. Seul le titulaire du brevet peut donc choisir la personne qui pourra reproduire son invention, louer le brevet (licence) ou le vendre (cession).

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Les médicaments, et plus précisément les spécialités pharmaceutiques (dont font partie les vaccins) bien qu’étant des produits à part — des biens de santé — constituent aussi des biens marchands, industriels, qui en tant que tels peuvent être protégés par un ou des brevets d’invention. En général, une multitude de brevets protège un médicament : des brevets sur la molécule elle-même (invention de produit), des brevets sur le procédé de fabrication (invention de procédé), des brevets sur l’indication du médicament (brevet d’application) et même sur les combinaisons de médicaments.

Cet ensemble de brevets, que l’on désigne parfois sous le terme de “grappe de brevets” a pour but de protéger l’invention que représente le médicament et surtout le capital investi dans son développement, car celui-ci dépasse désormais le milliard d’euros. En effet, le coût de développement d’un médicament est passé de 0,8 milliard de dollars en 2003 à plus de 2,5 milliards en 2016.

En France, le gouvernement avait compris dès 1953 qu’octroyer un brevet portant sur un médicament pouvait être problématique, en particulier s’il conduisait à une production insuffisante de médicament — ce qui est actuellement le cas avec les vaccins contre le Covid-19 — ou à un prix trop élevé. Il avait alors permis de déroger au droit du brevet dans l’intérêt des patients, c’est-à-dire autorisé que l’invention brevetée puisse, très exceptionnellement, être fabriquée par un tiers intéressé, avec ou sans l’accord du titulaire du brevet. Le principe de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique était né, comme une nouvelle arme entre les mains de l’État au service de l’intérêt général.

La solution, justifiée au nom de l’éthique et du bien commun, s’avère en réalité discutable

Désormais, cette licence existe dans 156 autres pays. En droit international, la quatrième Conférence ministérielle de l’OMC à Doha du 14 novembre 2001 avait adopté une déclaration sur l’application des Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) dans le contexte de la santé publique, qui prévoit expressément la possibilité pour les États de recourir à ce type de licence en cas d’épidémie comme celle que nous connaissons.

En dehors de cette licence d’office, qui vise le territoire national, il est aussi possible de produire des médicaments et de les exporter vers des pays connaissant de graves problèmes de santé publique, en outrepassant le brevet, grâce à une autre licence : la licence obligatoire.

Des usines déjà sous tension

Mais la mise en œuvre de telles licences serait-elle aujourd’hui efficace pour favoriser l’égal accès de tous aux doses de vaccin ? La solution, justifiée au nom de l’éthique et du bien commun, s’avère en réalité discutable. En effet, le brevet n’apparaît pas comme un facteur limitant, à la différence de la production des matières premières (substances actives et excipients) et de l’enflaconnage de ces produits nécessaires à la réalisation du vaccin.

Détruire le monopole d’exploitation dont jouit le titulaire du brevet ne permettrait pas l’acquisition de la technologie.

Pour que cette levée des brevets soit efficace, des laboratoires façonniers devraient déjà être dans les starting-blocks à travers le monde et donc prêts à produire les vaccins. Cela aurait peut-être pu être le cas avec des technologies classiques — et encore —, mais pas avec des technologies disruptives comme celle de l’ARN messager que des tiers ne parviendraient pas forcément à produire dans l’immédiat en cas de levée des brevets. En d’autres termes, détruire le monopole d’exploitation dont jouit le titulaire du brevet ne permettrait pas l’acquisition de la technologie.

Les cas où une invention est susceptible d’être exploitée à la seule lecture du brevet restent exceptionnels : le brevet ne contient que très peu de détails techniques et le savoir-faire s’adapte en fonction des circonstances particulières de son exploitation. Il faudrait ainsi des mois de rétro-ingénierie ou alors il faudrait forcer les laboratoires à faire un véritable transfert de technologie. Quand bien même, cela prendrait encore une fois des mois pour reconvertir des usines pour produire l’ARN messager et les excipients, et bien plus pour construire de novo une usine.

Quant aux usines d’enflaconnages, beaucoup sont déjà sous tension ou produisent déjà des vaccins sous licence. Pourrait-on en trouver d’autres, au risque d’arrêter des lignes de production de médicaments injectables essentiels pour le traitement d’autres pathologies ?

Course aux matières premières

De surcroît, un autre problème surviendrait si les brevets étaient levés et si quelques hypothétiques laboratoires étaient prêts : les laboratoires façonniers disposeraient-ils, dans le cas des vaccins d’AstraZeneca et Janssen, des mêmes vecteurs viraux qui permettent de faire entrer un fragment du matériel génétique du virus SARS-CoV-2 dans une cellule pour déclencher in fine une réponse immunitaire ? Si cela n’était pas le cas, de nouveaux essais cliniques seraient nécessaires…

Il n’est pas souhaitable de se focaliser aujourd’hui sur les brevets, mais plutôt sur les capacités de production et sur la souveraineté pharmaceutique

Autre problème, pour des vaccins comme ceux de Pfizer ou de Moderna, il pourrait se produire une course aux matières premières, notamment sur les excipients lipidiques, les substances qui protègent l’ARN messager et lui permettent de rentrer dans nos cellules, ce qui impacterait très négativement la production globale.

Mais ce problème inquiète désormais peu les États-Unis alors que presque 50 % des Américains ont reçu au moins une dose de vaccin… Cela pourrait d’ailleurs expliquer le revirement de position outre-Atlantique sur la levée des brevets.

Ainsi, on voit clairement que cette levée des brevets résoudra difficilement la question de l’accès au vaccin. Il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais plutôt d’un mirage quelque peu démagogique. Il n’est pas souhaitable de se focaliser aujourd’hui sur les brevets, mais plutôt sur les capacités de production et sur la souveraineté pharmaceutique.

Il est indispensable qu’un maximum de pays aient la capacité de subvenir à leurs besoins en matière de médicaments par la mise en œuvre de productions locales, et c’est seulement quand ces capacités existeront qu’une éventuelle levée de brevet pourrait être utile.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Clotilde Jourdain-Fortier, professeur en droit international économique – CREDIMI, Université de Bourgogne – UBFC et Mathieu Guerriaud, maître de conférences en droit pharmaceutique et de la santé, pharmacovigilance et iatrogénie – CREDIMI, Université de Bourgogne – UBFC