L’Espagne envisage de retirer aux habitants de Tétouan et Nador le droit d’entrer sans visa à Sebta et Melilia

Le gouvernement espagnol envisagerait de renoncer au “régime spécial” de Sebta et Melilia dans l'espace Schengen, rapporte le quotidien “El País”. Dans ce cas, les résidents de Tétouan et Nador devront également passer par la case visa pour accéder aux deux enclaves.

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Sebta, ville jumelle de Fnideq, est à portée de vue. Quatre petits kilomètres séparent les deux villes intimement liées. Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Selon le quotidien El País, le gouvernement espagnol serait en train d’étudier la possibilité de mettre fin au “régime spécial” de Sebta et Melilia mis en place lors de l’adhésion de l’Espagne à l’espace Schengen, qui permet aux habitants de Nador de joindre Melilia et ceux de Tétouan de rallier Sebta en présentant simplement leur CIN. Ce projet a été présenté le jeudi 10 juin par le secrétaire d’État à l’Union européenne du ministère des Affaires étrangères, Juan González Barba.

Dans les faits, détaille El País, cela signifierait que les contrôles des passeports actuellement appliqués aux ports de Sebta et Melilia ainsi qu’à l’aéroport de Melilia se feraient également au niveau des passages frontaliers terrestres. Une telle démarche aurait un impact considérable sur plusieurs milliers de personnes, dont les “porteurs” qui faisaient, avant la fermeture des frontières liée à la pandémie, quotidiennement la traversée du Maroc vers Sebta ou Melilia pour importer des produits. Les travailleuses domestiques seraient également touchées.

Vers une “zone de prospérité partagée” ?

Si le projet aboutit, tous les Marocains auront donc besoin d’un visa pour accéder aux deux enclaves, à moins que l’Espagne et le Maroc ne parviennent à un accord sur le petit trafic transfrontalier, qui devrait être ratifié par la Commission européenne, précise le quotidien espagnol.

“S’ils ne veulent pas que Ceuta et Melilla se développent comme des péninsules, elles devront le faire comme des îles”

Une source diplomatique à El País

Dans tous les cas, il s’agit, prévient González Barba, “d’une question d’une importance énorme qui nécessite le maximum de consensus à la fois dans la ville et parmi les forces politiques espagnoles”, rapporte El País. Une source diplomatique espagnole indique que ce sont les événements “très graves” des 17 et 18 mai, lorsque près de 10.000 personnes sont entrées irrégulièrement à Sebta depuis le Maroc en 48 heures, qui ont conduit le gouvernement à envisager de prendre cette mesure.

En réalité, précise El País, l’Espagne tente d’anticiper les mesures que le Maroc applique unilatéralement : la fermeture du bureau de douane de Melilia à l’été 2018, l’éradication de la contrebande ou encore la fermeture de la frontière à cause du Covid. “S’ils ne veulent pas que Ceuta et Melilla se développent comme des péninsules, elles devront le faire comme des îles”, a déclaré une source diplomatique à El País.

Cependant, les mêmes sources soulignent que l’option privilégiée pour l’Espagne reste de miser sur une “zone de prospérité partagée” autour des deux villes, appliquant le même modèle négocié avec le Royaume-Uni pour Gibraltar.

Revoir le régime économique

Le gouvernement espagnol prépare un plan spécial pour Sebta et Melilia, qui prévoit la possibilité de demander l’entrée des deux villes autonomes dans l’Union douanière de l’UE et de revoir leur régime économique et fiscal spécial (REF).

Avant que Rabat ne décrète en mars 2020 la fermeture des frontières terrestres avec l’Espagne en raison de la pandémie, entre 5000 et 6000 personnes entraient à Sebta et Melilia, selon des estimations approximatives obtenues par El País auprès de travailleurs marocains et de sources dans l’enclave de Sebta. Ce sont les travailleurs dits transfrontaliers : travailleurs domestiques, maçons, serveurs, menuisiers… Tous se sont retrouvés du jour au lendemain au chômage et ont manifesté à plusieurs reprises pour réclamer l’ouverture des frontières.

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Par ailleurs, précise le journal espagnol, la Chambre de commerce américaine au Maroc, entité qui regroupe plusieurs multinationales américaines, a calculé dans un rapport de 2002 que la contrebande avec Sebta et Melilia au Maroc employait directement 45.000 personnes, indirectement 400.000 personnes, et représentait un volume de 1,5 milliard d’euros.

Du côté du Maroc, une étude estimait en 2003 que la contrebande à travers les deux villes générait des pertes de 1,5 milliard d’euros par an et 450.000 emplois.

Un économiste espagnol qui suit de près les événements de Sebta et Melilia a indiqué à El País que si les autorités espagnoles décidaient d’inclure les deux villes dans l’espace Schengen et d’exiger un visa pour entrer à tous les Marocains, les avantages l’emporteraient sur les inconvénients : “À Ceuta, la contrebande est déjà morte. Les gens comprendront clairement que ce qui les intéresse, c’est d’avoir des frontières sûres. Et à Melilla, ils ont peut-être plus de doutes, car il y a toujours de la contrebande avec Nador. Mais si Rabat a décidé de mettre fin à la contrebande avec Ceuta, elle le fera aussi avec Melilla.