Sortie. Requiem pour une fin

Coup de cœur à la dernière édition du Festival national du film de Tanger, The End de Hicham Lasri, actuellement en salle, est un film atypique, mais qui a tout pour être le précurseur d’un nouveau cinéma marocain.

Comment évoquer les derniers jours de Hassan II et les années de plomb sans tomber dans la dénonciation anti-makhzénienne et le devoir de mémoire ? En les utilisant comme trame de fond d’une histoire d’amour impossible, teintée de références geek et interprétée par des
personnages ubuesques. Le premier long métrage du cinéaste Hicham Lasri est un film atone et achrome, beau et crasseux, drôle et lugubre. Un ovni cinématographique où le réalisateur a exploré des territoires fictifs inhabituels au paysage marocain.
Juillet 1999. A quelques jours de la mort de Hassan II, L’mekki (campé par Salah Bensaleh) supporte tant bien que mal une existence pathétique, ponctuée de gifles et d’inhalation clandestine des volutes de cannabis brûlé par les forces de l’ordre. Sa vie prend une autre tournure quand il s’éprend de Rita (Hanane Zouhdi), sorte de poupée destroy laissée enchaînée dans la voiture de ses frères, un gang version halloween parti chiper des produits de première nécessité à un épicier gringalet. Daoud (magistralement interprété par Ismail Aboulkanater), surnommé le pitbull du système à juste titre, est un commissaire patibulaire semant la terreur dans ce fief casablancais et piétinant L’mekki, son indic.
Pour avoir la bénédiction des frères de sa bien-aimée, L’mekki doit les mener au pitbull, dans lequel ils voient la personnification du Makhzen, tenu responsable de la disparition de leur père.

Le bon, les brutes et le pitbull
Que ce soit dans les plans larges, les espaces déserts ou la course poursuite entre flic et hors-la-loi, The End obéit à des codes esthétiques propres au western. On s’en rend d’autant plus compte dans ce plan séquence de dix minutes –à ce jour, le plus long du cinéma marocain- qui part de la première apparition du pitbull (sorte de John Wayne marocain avec son bolo chérifien au cou et ses santiags imposantes) entrecoupant ses interrogatoires de crachats au sol et de gifles humiliantes, jusqu’à ce qu’il rejoigne sa femme invalide pour laquelle il laisse tomber son habit de tyran et revêt celui du serviteur. “Il est très difficile de tourner un plan séquence de cette longueur dans le chaos de Casablanca, d’un point de vue raisonnable je n’aurai pas choisi de le faire, mais l’idée s’est imposée d’elle-même. Cette continuité était la façon la plus limpide de montrer la dichotomie du personnage, son fascisme et sa douceur”, justifie Hicham Lasri.
Le film, exempt de musique et dépouillé de tout effort cathartique, aurait pu devenir exaspérant si sa lenteur n’avait été perturbée par la présence de la seule amie de L’mekki qui l’accoste pour lui raconter ses théories fumeuses sur le “M” de McDonald’s et le caractère scatophile de la discographie de Metallica. “Elle s’appelle Steal Toe (orteil d’acier). Je l’ai introduite dans l’histoire car il me fallait une femme forte, indépendante, avec un passé lourd mais gérable, de manière à contrecarrer la lourdeur du personnage de Rita l’enchaînée. Pour l’anecdote, c’est un personnage récurrent dans tout ce que je fais depuis dix ans, tantôt en femme, tantôt en homme”, précise Hicham Lasri.
On apprécie également les clins d’œil geek – le pacman sur le chapeau du sosie d’Al Capone et le flash info “à la mémoire de Larbi Slaoui, ex-joueur de l’Ubi-Kan Olympic”, en référence à la saga Star Wars dont Lasri est un fan invétéré- éléments fédérateurs d’une génération qui ne garde de Hassan II que le souvenir de sa mort et les larmes cathodiques de Mostapha Alaoui en live.

La fin d’une ère
Du désir de vengeance des frères nourris par les années de plomb au personnage du pitbull, The End est indubitablement une métaphore sur le Makhzen. Le Casablanca délabré y est une synecdoque d’un Maroc croulant sous le joug de Hassan II, l’épilation des narines une caricature de la torture dans ses geôles, et le pitbull une figure tantôt dictatoriale tantôt paternaliste qui rappelle le monarque et ses oscillations discursives entre “awbach” et “wlidati”. “En tant que geek, j’ai voulu dépeindre Hassan II sous des traits mythologiques, un peu à la Darth Vador”, s’amuse le réalisateur. Il pousse l’analogie encore plus loin, en abrégeant la vie du commissaire exactement au moment où les médias annoncent la mort du roi, comme subitement débranché de sa machine respiratoire.
The End retranscrit le broyage du faible par la machine makhzénienne, sans toutefois sombrer dans le pathos à deux sous. “Il est très facile de traiter des sujets brûlants et tomber dans la dénonciation. Mon choix était autre, celui de raconter une période sombre de l’histoire de mon pays sur un ton frondeur, presque immature, en mettant en scène des malfrats et des anti-héros”. Le film débouche sur le bout d’un tunnel au moment où la voix de Barry monte crescendo et, ironiquement, ne s’achève pas sur le mot “fin”.

 

B.O. Nass El Ghiwane 3.0
The End est un film taciturne, sans musique, où même les personnages parlent peu “parce qu’ils ne savent pas parler, ils s’expriment par la violence”, explique Hicham Lasri. Les rares fois où l’on entend des paroles rythmées, c’est quand le pitbull du système utilise Ma Hemmouni de Nass El Ghiwane comme stimulus pour endormir L’mekki. La même chanson est reprise par Barry au générique de fin, où sa voix se téléscope avec des sonorités, pêle-mêle, du ska au metal, en passant par le hip hop et le punk. Une façon de contemporaniser à la sauce 2010 une chanson des seventies pour clôturer une histoire sur l’été 1999, période charnière entre ces deux décennies d’un point de vue politique. La principale influence pour cette version remastérisée a été The Doors, groupe mythique dont l’œuvre renferme également un “The End”. “Au studio j’avais Take it easy baby de The Doors en tête. Cette chanson renferme un passage où la musique s’évapore pour céder la place au chant de Jim Morisson. J’ai voulu recréer cette même émotion dans la reprise de Ma Hemmouni”. Pari gagné pour le jeune réalisateur, la chanson nous tient par la main pour nous sortir doucement de l’atmosphère anxiogène du film.

 

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