À Agadir, le 4ème Fidadoc, grand-messe du film documentaire, a réuni professionnels et cinéastes en devenir pour les accompagner lors du passage délicat de l’écrit à l’écran. Reportage.
C’est l’histoire de pêcheurs d’algues risquant leur vie pour une misère, de quatre Soudanais en road-trip, de l’espoir frustré des Algériens, d’une tribu berbère déracinée, de la troupe Dabateatr, d’une camerawoman de mariage ou encore d’un orphelin tangérois découvrant le pouvoir du cinéma.
De vraies histoires pour des films encore “imaginaires”, puisqu’ils n’existent pour l’instant que dans la tête de leurs auteurs. Souvent lauréats d’écoles d’audiovisuel, ils étaient une quinzaine (venus du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, du Liban et de Palestine) à se réunir fin avril au 4ème Festival international du documentaire d’Agadir (Fidadoc). Encore confidentiel, parfois assez brouillon, le Fidadoc n’en fournit pas moins un louable effort pour soutenir les réalisateurs de demain. Une belle façon d’aller de l’avant après la disparition, en décembre 2011, de sa fondatrice Nouzha Drissi. Car celle-ci n’aurait pas voulu autre chose : permettre aux jeunes de rencontrer des professionnels pour confronter leurs idées et leurs envies aux réalités du métier de cinéaste du réel. Certains sont là avec une idée à peine esquissée, laborieusement formulée à l’écrit sur une page recto. D’autres ont déjà fait des repérages, tourné quelques images, voire un court-métrage. A tous, les intervenants posent des questions simples, auxquelles il n’est pas si facile de répondre : “Que veux-tu raconter ?” ; “Pourquoi ce personnage ?” ; “Comment veux-tu filmer ?” ; “Où te places-tu ?”…
Un certain regard
“Il n’y a pas de documentaire sans intentions personnelles”, leur rappelle Jean-Luc Cohen, qui avait fondé Tact Production avec Nouzha Drissi. C’est cette intention qui rend unique le regard de l’auteur, et amène à des choix concrets de mise en scène (plans, cadrage, lumière) car le documentaire est d’abord du cinéma.
“Il ne faut jamais perdre de vue ce qu’on veut exprimer au départ”, témoigne Jérôme Le Maire, après la projection de Thé ou l’électricité (voir encadré). “Au début, je tournais des plans larges sur le village et la montagne, car les personnages vivent dans un décor qui les dépasse, qui écrase le quotidien. Peu à peu l’étau de l’électricité se resserre autour d’eux, et à un moment, hop, il les prend. Ce que je filme avec une caméra très proche, pour révéler la dimension dramatique de ce changement dans leur vie”. La force d’un documentaire est aussi d’être traversé par des questionnements sociétaux ou existentiels témoignant d’un vrai point de vue de l’auteur sur le monde. Dans son projet Non, on ne vivra pas longtemps, sur la transhumance contrariée d’enfants marrakchis vers un point d’eau pour se rafraîchir en été, El Mehdi Azzam veut exprimer la violence et les tabous qui pèsent sur l’éducation d’un enfant marocain. A l’issue du Fidadoc, il sera d’ailleurs choisi pour participer en juillet au FidLab de Marseille, une célèbre plateforme de soutien à la coproduction, où il rencontrera producteurs et diffuseurs devant lesquels il devra “pitcher” son film.
Mais avant d’en arriver là, il faut passer par un travail d’écriture, entre réflexion, notamment via le positionnement de la “note d’intentions”, et vision à la fois artistique et pragmatique du “dispositif filmique”. Quatre jeunes auteurs (Rim Majidi, Djamel Kerkar, Hicham Iladiqui et Nazih Bahraoui) ont été, eux, sélectionnés pour participer à un atelier d’écriture encadré par le cinéaste Sellou Dialo, en juin à Safi. Certains d’entre eux iront peut-être aux ateliers Africadoc, au Sénégal.
Speed coaching
Le Fidadoc lui-même n’est pas vraiment un atelier, l’ambiance est informelle et tient parfois plus du speed coaching improvisé que du rendez-vous pro. Parfois, les intervenants ne savent pas grand-chose des projets avant de s’entretenir avec les aspirants réalisateurs, d’où une certaine frustration. Mais si personne ne repart avec un contrat, des visages sont repérés, des connexions s’opèrent et des engagements se prennent, pour les projets les plus avancés.
“Six m’intéressent réellement en tant que diffuseur”, confie Reda Benjelloun, directeur des magazines d’information et de documentaire à 2M, qui est à la recherche de films pour la nouvelle émission du dimanche soir, “Des Histoires et des hommes”. Il a ainsi été interpellé par The Lost image, du Palestinien Mohammad Abu Sidu, qui raconte comment les guerres et l’emprise du Hamas ont bouleversé la manière de célébrer les mariages traditionnels et affecté le lien social à Gaza. “Un projet d’une humanité totale. Il y en a marre de ne voir Gaza qu’à travers les bombardements”, analyse Reda Benjelloun, très attentif aussi au projet de Marwane Bahrar sur les pêcheurs d’algues rouges à El Jadida. Après avoir visionné les premières images, il s’est adressé ainsi au jeune réalisateur : “Joli raccord et très beau mouvement. Ça fonctionne. Mais la bande-son en continu, c’est juste pour le trailer ou pour tout le documentaire ? Tu vas filmer tout le cycle de pêche ?”. Puis, à la vue du budget estimé par Marwane : “100 000 euros c’est trop peu pour être considéré par les coproductions étrangères. D’ailleurs as-tu un producteur ?” Une question qui tombe à pic puisque le réalisateur n’en a pas encore.
Cherche producteur désespérément
Les vrais producteurs sont très rares au Maroc, a fortiori pour du documentaire, considéré comme ni utile ni lucratif. “Un producteur ce n’est pas seulement un moul chkara qui fournit le matériel et l’argent. C’est un vrai regard, un parrain qui accompagne artistiquement l’auteur”, précise Reda Benjelloun. “C’est le chaînon manquant à l’industrie du cinéma”, déplore Hicham Falah, directeur du Fidadoc.
Des jeunes se lancent, à l’instar de Alaa Eddine El Jem, lauréat de l’ESAV à Marrakech puis de l’Ensas en Belgique, qui a cofondé Le Moindre Geste et prend le documentaire très au sérieux. “ Je n’ai pas de carte professionnelle, ce qui m’interdit l’accès à l’avance sur recettes du Centre cinématographique marocain (destinée à la fiction et au doc, ndlr), qui permettrait de signer des coproductions européennes ou sud-sud”, explique-t-il.
Un producteur, c’est aussi “un positionnement unique”, ajoute Aurélien Bodineaux de Néon Rouge Production, qui avertit les jeunes réalisateurs contre le risque de multiplier les ateliers, les rencontres, donc les avis extérieurs, au point de tourner en rond ou d’être désorienté. “Le plus important c’est le passage à l’acte, quitte à faire un projet plus intimiste, avec moins d’argent, en s’associant à des amis…”. Ou en frappant à des portes alternatives, comme les fondations, les petites chaînes câblées…
“Il faut arrêter avec ce syndrome du premier amour, le premier doc ne peut être parfait”, poursuit Reda Benjelloun. Le principal conseil à l’issue des rencontres du Fidadoc : “Il faut se lancer, insiste Jean-Louis Gonnet d’Africadoc. Ne serait-ce que pour se confronter à la caméra, à l’image, au plan, et voir si l’on est bien fait pour ce métier”.
Prix. Palme de courant “Je veux une route jusqu’à Ifri”, clame Jérome Le Maire en recevant le Prix Nouzha Drissi du 4ème FidaDoc pour son documentaire Le Thé ou l’électricité. En trois ans de tournage (et plus de 300 villages visités pour en trouver un sans parabole), le réalisateur belge filme l’électrification d’un douar du Haut Atlas, mais aussi l’inertie de l’Etat en matière de désenclavement. “Des thèmes maintes fois traités en reportages, estime Reda Benjelloun. Mais ce film (coproduit par 2M) pose des questions existentielles sur la temporalité, le rapport à l’autorité, à l’autre, à la modernité”. “L’électricité nous a brûlés”, lance un personnage. Avec lenteur, affection, humour et une pointe d’amertume, Jérôme Le Maire interroge le sens du progrès et ce que nous lui avons sacrifié. |
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