Sécurité. Les faucons de la police

Par Mohammed Boudarham

Depuis quelques mois, les Sokour sont de plus en plus présents dans nos rues, guettant malfrats et voleurs à l’arraché du haut de leurs grosses cylindrées. TelQuel est allé à la rencontre de ces policiers d’un nouveau genre.

Sur un grand boulevard du centre-ville de Casablanca, près d’un arrêt de bus, un jeune colosse gare sa moto : une belle Honda CG Titan grise. En jeans et T-shirt coupé près du corps, un casque flambant neuf à la main, il semble tout droit sorti d’une série américaine où des fils à papa bronzés et bodybuildés crânent avec leur grosse bécane pour épater les filles. Pourtant, il n’en est rien. L’homme est un faucon, c’est-à-dire qu’il fait partie des Sokour, la nouvelle brigade de police motorisée. Ses collègues et lui sont de plus en plus visibles dans les artères de nos villes. Leur mission : intervenir rapidement sur les actes de la criminalité quotidienne : vols à l’arraché, agressions, trafic de drogue… Et en quelques mois d’activité (ils sont présents sur le terrain depuis le printemps 2010), ils ont su prouver leur efficacité. Selon les dernières statistiques de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale), la criminalité a chuté de 19% au cours des cinq derniers mois par rapport au premier trimestre de 2012. Et ils y sont pour beaucoup, notamment quand il s’agit d’interpellations en flagrant délit.

 

Oublier les GUS

En mai dernier, sur le boulevard d’Anfa, deux Sokour ont sauvé un enfant d’une mort certaine. Abandonné et enfermé dans la voiture de sa maman partie faire des courses, il en a été sorti in extremis, au bord de l’étouffement, sous les applaudissements des badauds. “On ne compte plus les jeunes filles et femmes à qui on a restitué, sur le champ, pour l’une son portable, pour l’autre sa chaîne en or, subtilisés par des voleurs motorisés”, affirme un officier qui dirige une unité de Sokour. En tout cas, la population apprécie et cela semble lui faire oublier les fameux “GUS” (Groupements urbains de sécurité) mis en place par Hamidou Laânigri, ancien patron de la police. Les agents des GUS, ou “Croatia”, étaient souvent soupçonnés de rackets et de violences policières. “Mais il ne s’agit pas que d’une question d’image, explique une source à la DGSN, il y avait urgence”. L’urgence justement, c’est de remédier au sentiment d’insécurité qui a fini par s’installer chez les citoyens et dans la majorité des villes du pays. L’idée des brigades motorisées a commencé à germer dans la tête des responsables sécuritaires dès 2006, avec un début de concrétisation, dans les grandes villes, en 2008. Mais depuis l’arrivée de Bouchaïb Rmail, patron de la DGSN depuis février 2012, le projet a connu un nouveau départ. En septembre, par exemple, la seule ville de Casablanca a reçu 100 motos flambant neuves et les Sokour disposent de moyens plus sophistiqués pour intervenir. Une petite ville comme El Jadida en a reçu vingt.

 

Unité d’intervention rapide

Les brigades motorisées travaillent en groupes de dix et chaque unité est chapeautée par un officier de police qui coordonne leurs tâches. La mission des Sokour consiste à être constamment présents dans la rue, en groupes de deux, et intervenir pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Cela va de la constatation des infractions au Code de la route, à la fluidification du trafic, en passant par la lutte contre la délinquance. Leur devise, comme l’explique une source sécuritaire, c’est “la curiosité positive”. Soit un travail de prévention qui donne généralement de bons résultats. Pour réussir leur mission, nos faucons sont constamment reliés à la salle de trafic de la préfecture ou de l’arrondissement de police. Ils peuvent intervenir dans des délais qui n’excèdent pas quelques minutes. En cas d’interpellation ou d’infraction, les autres policiers, embarqués dans un fourgon, prennent le relais pour le reste de la procédure. Depuis quelque temps, une nouvelle initiative est venue leur faciliter la tâche : des dizaines de caméras de surveillance sont installées dans les grandes artères de villes comme Casablanca, Rabat, Marrakech et Fès. Alertés par le centre de contrôle (domicilié à la préfecture de police), ils peuvent intervenir en temps réel. Mais il arrive aussi que la brigade motorisée demande elle-même de l’aide. Plusieurs de ses membres ont fait les frais d’une résistance acharnée de criminels armés de sabres ou de dealers accompagnés de pitbulls. Les Sokour, qui travaillent en général huit heures par jour, peuvent être appelés à se sacrifier encore plus lors d’événements particuliers. C’est ainsi qu’il leur revient, en grande partie, le rôle d’intervenir lors des grandes manifestations sportives comme le derby casablancais ou lors d’un festival de musique comme Mawazine. Parfois aussi, pour mater une manifestation du M20…

 

Portrait robot

Avec cette police, la célèbre expression “tarou 3lih” (ils se sont abattus sur lui) trouve tout son sens. D’ailleurs, on ne devient pas “faucon” par hasard. On doit d’abord faire preuve de capacités particulières, comme le fait d’être sportif. “L’écrasante majorité des éléments des brigades motorisées ont pratiqué des arts martiaux ou du self-défense durant de longues années”, explique une source sécuritaire à Casablanca. Les recrues se doivent également d’être de grande taille (plus de 1,75 m), mais cette règle peut être contournée. L’âge, par contre, est plus contraignant et doit se situer entre 25 et 40 ans. Ils sont choisis “à la source”, à l’Institut de police de Kénitra, ou suite à une sélection opérée par les responsables de la hiérarchie. Une fois la sélection faite, ils reçoivent une formation spécifique de trois mois à l’école de police. Au cours de cet apprentissage, il n’est pas seulement question de manier de grosses motos. En effet, les petits nouveaux suivent des entraînements aux techniques d’intervention et à la gestion des crises. “Ce processus sera complété par des cycles de formation réguliers”, souligne une source à la DGSN pour qui il est question d’accompagner l’évolution de la criminalité. Mais combien sont-ils ? La question ne trouve pas de réponse précise auprès des responsables de la DGSN. Ils seraient de l’ordre de 2000 éléments avec une majorité affectée dans les grandes villes : Casablanca (plus de 200), Rabat, Marrakech, Agadir avec des effectifs situés entre 50 et 100. Quant à leurs salaires, être “faucon” ne signifie pas être un flic choyé. “Nous sommes alignés sur la grille de rémunération en vigueur à la DGSN. Nous n’avons pas d’avantages particuliers”, nous confie un membre d’une brigade motorisée. Soit 4500 DH pour le bas de l’échelle (brigadier) et 5500 DH pour un inspecteur… En plus d’un millier de dirhams de prime de logement pour tout le monde.  

 

 

Histoire. Souviens-toi Croatia

Qui se souvient encore des GUS, ou “Croatia”, ces jeunes policiers en bleu portant des casquettes à damiers rouge et bleu ? Les GUS avaient été mis en place comme une force de frappe de la DGSN. Bien accueillis au début (octobre 2004), ils multiplieront les bavures dans plusieurs villes, particulièrement avec la mort de plusieurs personnes à Laâyoune et Salé. En septembre 2006, Hamidou Laânigri, patron de la DGSN, est débarqué au profit de Charki Draïss, l’actuel ministre délégué à l’Intérieur. Un mois plus tard, les GUS, avec leurs voitures et leurs motos (tous en bleu), disparaissent de la circulation. Près de 6000 hommes ont été ainsi redéployés dans divers services de sécurité afin d’effacer ce mauvais souvenir des Marocains avec leur police. Les Sokour subiront-ils le même sort ? Seul l’avenir nous le dira…