Reportage. Terre des hommes

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Au cœur des montagnes du pré-Rif, un village a fait le pari de remplacer l’agronomie conventionnelle par la permaculture, un mode de production plus respectueux des êtres vivants et de la nature. TelQuel s’est rendu sur place.

A 22 km de Ouezzane, sur la route de Chefchaouen, un petit douar du nom de Ferraha surplombe les magnifiques vallées montagneuses. Des dizaines de mètres plus haut, au sommet de la montagne, trône une ferme très particulière qui met en pratique les techniques de “permaculture” ou agriculture permanente : un mode de production qui repose à la fois sur l’écologie, la solidarité et l’éducation. Arrivés sur place après une demi-heure de marche, un jeune trentenaire du nom de Abderrahim nous fait visiter les lieux. “Voici notre bébé”, s’exclame-t-il fièrement, avant d’expliquer qu’“il s’agit d’une ferme communautaire où habitants du douar et bénévoles œuvrent main dans la main pour transformer le lopin de terre en un petit paradis autosuffisant”. Une manière de dire qu’une alternative aux coopératives et autres organismes de microcrédit est possible, et que le désenclavement des douars déshérités n’est pas l’apanage des “fondations”.

 

Science et conscience

En pénétrant dans la maison, dénommée Dar Lil-Kul (Maison pour tous), on aperçoit un ensemble de fournitures scolaires, des tables et des chaises en bois, ainsi que plusieurs dessins accrochés sur les murs. Anglais, français, arabe… toutes les langues sont représentées dans les dizaines d’ouvrages soigneusement rangés dans la bibliothèque. Dar Lil-Kul offre aux enfants n’ayant pas la possibilité de développer leurs connaissances en langues étrangères à l’école publique de progresser et de s’ouvrir sur d’autres cultures. Mais alors qui finance ? La communauté reçoit une aide pécuniaire de l’association Ouazzaniyat (ouazzaniyat.org) qui, en partenariat avec la British moroccan society, sert de relais à la communauté. “L’association ne fait pas de charité et ne travaille qu’avec ceux qui le veulent bien”, tient à clarifier Nazik Moudden, fondatrice de Ouazzaniyat et propriétaire du lopin de terre sur lequel est située la ferme.

Tous les matins, le centre reçoit “les 3-6 ans ainsi que les adultes pour des cours d’alphabétisation et des discussions sur des sujets importants, qui touchent à l’environnement, la culture ou la société”, déclare Nazik pour qui, “il s’agit de développer un esprit critique chez les habitants, mais sans jamais prendre position”. Les après-midi sont quant à eux réservés aux adolescents, qui peuvent bénéficier gratuitement de soutien scolaire ou participer à des activités. “Ils ont accès à des livres et des jeux éducatifs, dans une ambiance chaleureuse. L’idée était de créer une sorte de cocon où règne une atmosphère bienveillante, propice à l’apprentissage, où chacun se sent libre d’essayer des choses, de poser des questions sans avoir peur de se tromper”, explique la fondatrice de Ouazzaniyat. C’est Abderrahim qui fait office de professeur, en plus de deux facilitateurs employés par l’association. Mais des dizaines de bénévoles, des étudiants étrangers pour la plupart, se rendent régulièrement au centre pour partager leur savoir.

“Une fois ici, les volontouristes, comme on les appelle, dorment chez  les habitants du douar, qui reçoivent en contrepartie une somme symbolique. Ce qui ne manque pas de créer des liens d’amitié et de confiance entre les individus”, se réjouit Nazik, avant d’ajouter que “tous les enfants de Ferraha n’auront pas l’occasion de voyager et de découvrir le monde. Ainsi, faire venir des volontaires étrangers est une façon de leur apporter le monde”. Certes, l’accueil de ces volontaires ne s’est pas fait sans difficultés, il a même suscité une certaine méfiance au départ. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre et ces étrangers sont à présent très bien perçus par la communauté.

 

In nature we trust

D’un point de vue pratique, les hommes et les femmes ont la possibilité de participer à des ateliers pour acquérir des compétences génératrices de revenus, comme par exemple la fabrication de savons, shampoings, tisanes, papier, etc. “Que l’association Ouazzaniyat achètera et revendra”, précise Nazik. “80% des profits iront dans la caisse de Dar Lil-Kul pour couvrir les frais de fonctionnement, organiser des ateliers spécifiques, mais aussi faire venir des enseignants”, poursuit-elle.

Encore au stade embryonnaire, le projet commence tout de même à prendre forme. Produisant différents légumes, plantes médicinales et arbres fruitiers, la communauté tient absolument à diversifier sa production, car son pire ennemi n’est autre que la monoculture. A Ferraha comme dans le reste du Rif, les cultures traditionnelles sont le kif et l’olivier, mais leur surproduction a fini par ravager l’écosystème et détruire la biodiversité. Pourtant, même morte, la terre peut encore être régénérée. “C’est le défi posé à la communauté. Notre objectif est de montrer aux gens qu’une autre façon de travailler la terre est possible”, explique Abderrahim. Ce qui différencie le centre des coopératives qui pullulent dans la région, c’est sa volonté de permettre aux habitants du douar de générer leurs propres revenus, de les associer au centre et de les inciter à leur tour à adopter la permaculture comme moyen de production agricole. Un moyen 100% écolo, puisqu’un système d’irrigation ingénieux, utilisant de l’eau de pluie, arrose la totalité des parcelles. Une fois ce système établi, compte tenu de la diversité des produits cultivés, il se régénèrera de lui-même. Tout ceci en utilisant des engrais naturels, composés d’herbes, d’épluchures de légumes, de compostes, et même de cartons ! Le douar de Ferraha, qui était sur le point de se vider, voit dans la permaculture un nouveau moyen de sortir de la misère tout en éveillant les consciences de ses habitants, au moment où le réchauffement planétaire atteint son paroxysme. “La permaculture est la meilleure solution contre la désertification et l’exode rural”, conclut Abderrahim. Qui dit mieux ? 

 

Permaculture. Une technique qui vous veut du bien

Issu de l’expression anglaise “permanent agriculture”, le terme “permaculture” a pour la première fois été utilisé en 1978, par deux scientifiques australiens, Bill Mollison et David Holmgren.  Influencé par le Japonais Masanobu Fukuoka, un pionnier de l’agriculture  naturelle, et par les techniques agricoles traditionnelles venues d’Extrême-Orient, le tandem a créé un concept très novateur qui renverse les dogmes de l’agronomie traditionnelle pour  proposer un nouveau mode de production agricole très économe en énergie (travail manuel et mécanique, carburant…) et respectueux des êtres vivants et de leurs relations réciproques. Ils publient ensuite un livre, Permaculture One, qui aura un succès fulgurant. Depuis, les deux Australiens ne cessent de sillonner les 4 coins du globe pour enseigner les techniques de permaculture. Des techniques qui se sont affinées tout au long des années et où le design joue un rôle central puisqu’il “aide à  planifier l’occupation terrestre humaine en fonction de l’environnement, de la culture, et du potentiel créatif et éthique des humains”, selon Mollison et Holmgren. Au royaume, un centre dédié à ces techniques a d’ailleurs été créé, l’Institut marocain de recherche sur la permaculture (IMRP).