Cinéma. Zero est arrivé

Le troisième long-métrage de Noureddine Lakhmari débarque dans les salles obscures le 19 décembre. Zoom sur un film où le réalisateur de Casanegra allie avec panache l’esthétisme de la métropole à un scénario maté et colmaté.

Dans les dédales de Casablanca, crépusculaire et oppressante, rampe un homme dissolu. Préposé à la machine à écrire poussiéreuse en journée, le fonctionnaire de police Amine Bertale devient, la nuit venue, un petit flic escroc, de mèche avec une jeune prostituée pour extorquer à ses clients potentiels quelques billets. Du haut de sa misère, celui que l’on surnomme Zero (campé par Younes Bouab) observe dans l’ombre le manège véreux de ses supérieurs. La cour des grands, orduriers et propres sur eux. Celle de ceux qui n’ont peur de rien, pas même des lumières artificielles de la ville, reflétant à la face du monde leur souillure. Cette “chronique urbaine”, comme aime à le définir son créateur, est avant tout le passage à l’âge adulte du cinéma de Noureddine Lakhmari. Avec Zero, deuxième volet d’une trilogie consacrée à Casablanca et dépliée avec Casanegra, le réalisateur communie l’esthétisme sublimé de la métropole à un scénario maté et colmaté. Exposé au risque de calquer l’opus du premier succès ou d’échouer à l’égaler, Lakhmari surprend en traçant les contours de sa fascination des bas-fonds casablancais pour y incruster une ronde de figures solitaires. Puisant dans l’horreur de la violence ordinaire, des petits et grands malheurs, de la détresse et de la colère, Noureddine Lakhmari nous livre un conte haletant, semblable à un mauvais rêve dont on sort éreinté.

 

Casa loca

Plus que la trame principale, le spectateur se fait happer par les tentacules de la ville et les histoires qui s’y blottissent. Celle du père de Zero, campé par l’incroyable Mohamed Majd, vieillard impotent et aigri concentrant le peu d’énergie qu’il lui reste —insultant, hurlant et crachant à tout-va— à faire payer à son fils la médiocrité et les meurtrissures de sa vie. Celle de Mimi (la touchante Zineb Samara), belle-de-nuit prolétaire, insolente et vulnérable, vouant une fidélité à toute épreuve à Zero, qu’elle sermonne constamment tout en devinant les fractures de son âme. Celle aussi de cette mère venue de loin, qui écume les commissariats et les ruelles de Casablanca, montrant la photo de sa fille aux passants dans l’espoir de la retrouver. Moins crédible parce que trop stéréotypée au niveau des dialogues, l’histoire du Dr Kenza Amor, jouée par la gracieuse Sonia Okacha, belle bourgeoise endurcie par la réalité casablancaise, qui panse les blessures de l’antihéros de Lakhmari dans un hôpital public et qui fera trembler son cœur. Dans le clan des pourris, le bedonnant commissaire Zerouali (Aziz Dadas) et son sbire (Abdellatif Chaouki), écœurants de magouilles et monstrueux de brutalité et d’intimidation. Et au beau milieu de toute cette faune urbaine, Zero, superbement interprété par Younes Bouab. Comme un oiseau blessé, il se défait de ses tortures et de sa lâcheté pour devenir indomptable, s’affranchissant par la vengeance de tous les travers dont il a été le témoin passif ou le complice. Au-delà de la moralisation que l’on pourrait entrapercevoir, il faut retenir la complexité, l’humanité et la fragilité des personnages. Ils n’incarnent pas le bien et le mal. Ils débordent des deux.

 

La touche Lakhmari

Si Zero est moins naïf que Casanegra, la signature de Lakhmari est désormais apposée. Outre l’architecture art-déco, véritable poésie urbaine portée à l’écran, certains éléments de l’univers du cinéaste reviennent et deviennent, de fait, des références : le paternel infirme dont s’occupe un fils tourmenté, l’amour impossible entre un enfant du peuple et une nantie, un mercenaire aisé et menaçant, etc. Parmi les décors qui inspirent Noureddine Lakhmari, on retrouve les appartements enténébrés et maussades aux murs témoins de la misère humaine, les cabarets, hauts lieux de liberté conditionnelle, où ses personnages noient leur chagrin et boivent tout leur soûl entre deux prostituées cocasses et attendrissantes. Côté casting, le réalisateur offre à son public l’occasion de revoir Raouia et Mohamed Benbrahim, seuls comédiens —et quels comédiens !— rescapés de l’aventure Casanegra. Quant au langage utilisé par le réalisateur —décrié par ses détracteurs à la sortie de son deuxième long-métrage, qu’ils estiment trop vulgaire—, il ne souffre ici d’aucune gratuité. Mis au service de scènes poignantes, parfois terribles, il fait partie intégrante de la réalité casablancaise et rehausse la factualité de la narration. À la manière de Taxi Driver de Scorsese, Zero de Lakhmari est un voyage initiatique vers la délivrance, l’expiation violente d’un damné, enlaidi par la vie qu’il a menée.

 

Talent. Le chasseur d’étoiles

S’il y a une chose à propos de laquelle tout le monde s’accorde sur Noureddine Lakhmari, c’est qu’il a l’art de débusquer des comédiens talentueux. Après les très bons Anas El Baz et Omar Lotfi dans Casanegra, le réalisateur originaire de Safi offre à Younes Bouab (frère d’Asaâd, du même nom) un premier rôle dans lequel il excelle. Mais le cinéaste au passé norvégien ne fait pas que dénicher de nouveaux visages : il arrive à magnifier des comédiens, à l’image de Mohamed Benbrahim, irremplaçable Zrirek dans Casanegra, souvent mal dirigés ou mal exploités sur d’autres projets. La preuve dans Zero par Aziz Dadas, phénoménal de justesse et de crédibilité dans son rôle de commissaire véreux.

 

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