Tribune. Et les stades, finahouma ?

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Au moment où les Lions de l’Atlas s’apprêtent à disputer la CAN en Afrique du Sud, la question est de savoir si le royaume est prêt à abriter la prochaine édition. Pas si sûr…

 

Le 25 octobre dernier, la ville de Durban a été l’hôte du tirage au sort de la Coupe d’Afrique des Nations, qui démarre en Afrique du sud le 19 janvier 2013. Cette cérémonie haute en couleurs, retransmise en direct sur les cinq continents, a rappelé aux téléspectateurs marocains que le royaume sera dans deux ans l’organisateur de la 30ème édition d’un des plus grands rendez-vous du football mondial. Une échéance pas si lointaine qui permettra aux meilleurs footballeurs africains de fouler  les pelouses de Marrakech, Tanger, Agadir, Fès, Rabat…et peut-être aussi Casablanca. Oui, je dis bien peut-être, dans la mesure où la capitale économique ne dispose actuellement d’aucun stade aux normes internationales. En effet, le complexe Mohammed V est loin d’être prêt pour accueillir la grand-messe du football africain. D’honor, comme le surnomment communément les Bidaouis, ne répond aucunement au cahier des charges de la compétition en termes de sécurité, confort, réceptif, accueil des équipes et des médias…à deux ans seulement du coup d’envoi de la seconde CAN made in Morocco après celle de 1988. Il est donc temps de tirer la sonnette d’alarme. Pour ne pas priver les Casablancais de l’évènement, et ne pas s’attirer les foudres de la CAF, le conseil de la ville, à qui appartient D’honor, se doit de le retaper. Et pour cause, le futur grand stade de la capitale économique, qui doit sortir de terre à Lahraouiyine, ne sera jamais livré à temps. Les gestionnaires de ce projet pharaonique depuis déjà trois ans, en l’occurrence la Société nationale de réalisation et de gestion des stades (Sonarges), n’ont même pas encore donné le premier coup de pioche à ce qui est annoncé comme l’un des plus grands stades d’Afrique. Sans oublier que D’honor, dans sa configuration actuelle, fait courir de grands risques au public. Nous avons pu à nouveau le constater lors dernier derby opposant le Raja au Wydad qui a failli tourner au drame. Un relifting de l’enceinte est donc impératif et urgent. Il n’y a pas d’autre alternative. Mais sur ce coup, pour une fois, soyons intelligents, opportunistes, visionnaires. Profitons de l’arrivée de la CAN pour mettre ce stade mythique aux normes, et lui apporter par la même occasion les aménagements nécessaires qui en feront un véritable lieu de vie, à l’instar des plus grands stades européens. Ainsi, nous pourrions y aménager un restaurant panoramique, un espace fitness, une piscine, une salle omnisport, une galerie d’art, une bibliothèque, un musée du sport, une crèche destinée aux enfants du quartier, etc. Un ensemble d’activités génératrices de revenus et créatrices d’emplois qui feront de ce site le véritable poumon sportif et culturel dont notre ville manque cruellement. Faisons en sorte que les Casablancais se réapproprient ce pan de leur patrimoine collectif devenu aujourd’hui  symbole de violence  et d’insécurité.

 

Avec ou sans Casablanca ?

Quid alors du projet de nouveau stade? Faut-il le jeter à nouveau aux oubliettes ? Pas du tout ! Au contraire, Casablanca a besoin plus que jamais d’une grande enceinte pouvant accueillir le large public du Raja et du Wydad, et bien sûr de l’équipe nationale, qui souffre régulièrement de l’étroitesse du complexe Mohammed V dont la capacité d’accueil, rappelons-le, est de 48 000 places assises. Celle-ci devrait même baisser en cas de rénovation.

Le nouveau stade, avec des prestations de qualité, pourrait attirer une nouvelle clientèle, plus aisée, habituée aux espaces VIP du Camp Nou ou du Santiago Bernabeu, et surtout faire revenir les nombreuses familles qui ont déserté D’honor pour les raisons que tout le monde connaît (inconfort, insécurité). Mais attention, ce projet ambitieux si attendu ne peut aboutir et porter ses fruits qu’à la condition de suivre le même cheminement, la même méthodologie de travail employée en Europe dans la construction de ce type d’infrastructures. Est-ce le cas ? Mmm…

Deux données importantes me plongent dans un scepticisme pour le moins justifié. A commencer par le choix du site devant abriter la future enceinte, Lahraouiyine, un quartier difficile dans la périphérie de Casablanca, mal desservi en routes et en transports en commun. Alors que l’environnement et l’accessibilité sont des facteurs essentiels à la réussite d’un stade… Pire encore, le lancement du concours international d’architecture, remporté par un groupe sud-coréen il y a plus d’un an, n’a été précédé d’aucune étude de marché censée répondre à un certain nombre de questions majeures : de quelle capacité  avons-nous besoin ? Combien de sièges VIP ? Combien de loges ? De places de parking ? De salles de conférences ? De buvettes ? Etc. Cette étude, systématique en Europe, garantit une exploitation future optimale dans la mesure où elle permet de créer un produit adapté aux besoins du marché ciblé. A Lahraouiyine, nous nous sommes contentés de faire appel à un spécialiste qui a élaboré une étude de programmation urbaine et architecturale sans se concerter avec les  futurs utilisateurs du stade, en l’occurrence le Raja, le Wydad et la Fédération royale marocaine de football, ni les associations de supporters, ni les services de sécurité, ni les médias sportifs, ni les promoteurs et organisateurs d’évènements, etc.

Est-ce que nous pouvons, en cette période de vaches maigres, nous permettre un investissement de plusieurs milliards de dirhams pour ce type de projet ? Il serait, à mon humble avis, plus judicieux de réaffecter la totalité de ces fonds vers l’aménagement de complexes sportifs de proximité (CSP), une priorité pour nos quartiers, notre jeunesse, qui en ont vraiment besoin. A titre indicatif, avec un milliard de dirhams seulement on pourrait construire 400 CSP…

Et le grand stade de Casablanca, comment le financer alors ? C’est très simple, il suffit de s’inspirer de l’expérience française où l’Etat ne finance quasiment plus ce genre d’infrastructures, privilégiant plutôt les partenariats public-privé (PPP). Du coup, les grands stades sont construits par des groupes privés, notamment des BTPistes comme Bouygues ou Vinci, en contrepartie d’une concession limitée dans le temps. Qu’est-ce qui nous empêche de faire pareil chez nous ?